Quelles évolutions pour l’enseignement des sciences ? Inspectrice générale, Florence Robine a coordonné le dernier numéro de la Revue Internationale d’Education du CIEP dédié au renouveau de l’enseignement des sciences dans le monde. Nous lui avons proposé de répondre à quelques questions sur les acquis des autres pays et les perspectives d’avenir de l’enseignement des sciences.
Dans votre introduction, vous affirmez que « les problématiques mondiales (…) requièrent à l’évidence des savoirs plus complexes et davantage décloisonnés. » L’introduction du Socle Commun au Collège, dont certains craignent qu’elle ne se traduise par un amoindrissement des acquis, ne peut-elle pas sembler contradictoire avec la complexification que vous appelez de vos vœux ? Par ailleurs, le décloisonnement n’a guère progressé depuis la mise en place des TPE, qui, au contraire, réduits de moitié, ont failli disparaître, comme ce fut le cas des IDD au Collège : voyez-vous des éléments qui permettraient d’espérer des progrès dans ce domaine ?
Je pense au contraire que le socle commun est une vraie occasion de promouvoir un enseignement décloisonné, qui prenne davantage en compte la formation globale de l’élève. Parlons par exemple des disciplines scientifiques : elles ont fait un réel effort pour exprimer de manière commune, avec le même vocabulaire, leurs attentes en termes de capacités et d’attitudes. Nous avons travaillé ensemble, nous nous sommes écoutés les uns les autres pour savoir ce que nous mettions sous des actions aussi évidentes pour chacun que « observer », « faire des hypothèses », « expérimenter », « valider ». Les équipes ont proposé des grilles de référence communes pour l’évaluation par compétences, ainsi que des objets d’étude plus complexes (mais pas forcément plus difficiles !) s’appuyant sur des situations de la vie quotidienne et faisant souvent appel à des savoirs croisés étudiés dans plusieurs champs disciplinaires. De même, le lien entre le pilier 3 (culture scientifique et mathématique) et le pilier 1 (maîtrise de la langue) est désormais patent. On sera de même amené à travailler sur les piliers 5 (culture humaniste) 6 et 7. Les frontières vont bouger, j’en suis convaincue, même si cela n’est pas facile et si cela demande beaucoup de travail d’équipe dans les établissements pour valider ensemble ces compétences, ainsi qu’un accompagnement fort au sein des académies.
Votre affirmation selon laquelle « la montée des obscurantismes (…) nécessite à l’évidence une vraie dimension épistémologique à l’enseignement scientifique et plus encore à la formation des maîtres » rencontre l’adhésion d’une part sans doute encore trop réduite des enseignants français. Avez-vous une idée de la façon dont cette nécessité pourrait se traduire dans les classes, davantage qu’elle ne le fait aujourd’hui, en sciences, où l’Histoire des idées est trop souvent simplement absente ?
On a trop souvent enseigné la science sous forme de petites briques disjointes (« la mécanique », « la génétique », « l’électricité », « les probabilités »), sans lien avec une quelconque problématique qui fasse sens pour les élèves, et sans insertion dans l’histoire humaine, dans la marche des idées. Le problème est que superposer toutes ces briques branlantes n’a jamais permis de construire un mur solide et homogène… Il est très difficile de comprendre les lois de la thermodynamique par exemple, qui régissent le fonctionnement des moteurs thermiques et des transformations de l’énergie, si on ne raconte pas Denis Papin et sa machine à vapeur, si on ne parle pas des théories de la chaleur qui circulent sous la Révolution Française, si on n’inscrit pas les lois modernes dans les recherches qui marquent le début de l’ère industrielle. Les élèves nous questionnent sans cesse sur le sens de ce que nous leur apprenons, et à juste titre. Ce sens se construit pour une part en lien avec des problématiques actuelles qui les intéressent et les concernent, et pour une autre part dans un continuum de pensées et d’idées qui font de la science une composante essentielle du patrimoine humain.
A propos de « l’évaluation des pédagogies actives et des démarches d’investigation », vous dites qu’elles ne semblent pas améliorer de manière significative les connaissances des élèves, mais qu’elles leur permettent de développer une image plus valorisante de la Science ainsi que « des compétences personnelles (autonomie, prise d’initiative, travail en groupe) plus affirmées », vers une « citoyenneté active », comme vous l’indiquez ailleurs. Pour ce qui est de l’enseignement obligatoire, ceci laisse entendre que ces pédagogies penchent davantage vers un primat au développement de compétences transverses, plutôt qu’à l’acquisition de connaissances. Que pensez-vous de cette dialectique, aujourd’hui ?
En réalité, il est difficile d’évaluer l’impact des pédagogies actives, en l’isolant de tous les autres facteurs qui influent sur la qualité des apprentissages. Simplement, tous les enseignants qui les mettent en œuvre disent avoir ressenti une réelle évolution de leurs élèves, au moins sur le plan des attitudes et des compétences transversales que vous mentionnez.
Je pense que l’on ne peut pas imaginer la construction de compétences sans les adosser solidement à des connaissances, lesquelles sont évidemment indispensables. On sait d’ailleurs que certains excès de pédagogies uniquement tournées vers les compétences, sans structuration rigoureuse des connaissances, défavorisent les élèves fragiles.
Les capacités (pour reprendre les termes du socle commun) que nous cherchons à développer chez nos élèves sont destinées à « mettre en musique » les connaissances que nous voulons transmettre ; elles doivent permettre la maîtrise effective de ces connaissances, dans des situations concrètes et variées. Savoir qu’un gaz est compressible est intéressant ; reconnaître dans une situation concrète que le phénomène mis en jeu est lié à cette propriété de compressibilité, être capable d’énoncer correctement l’assertion correspondante, et de mettre en œuvre une expérience pour vérification, démontre davantage une véritable maîtrise de la connaissance en question.
En Inde, à l’école primaire, sciences et sciences humaines sont regroupées dans les programmes sous l’intitulé « études de l’environnement ». Une telle approche pourrait-elle nous inspirer, que ce soit à l’Ecole ou dans l’enseignement secondaire ?
Je suis convaincue que cette vision originale peut être une véritable source d’innovation pour nous. Elle matérialise le lien essentiel entre les divers pans de la culture humaine. Elle légitime le fait que les sciences ont quelque chose à dire aux élèves qui se sentent davantage « littéraires » (pour autant que cela veuille dire quelque chose) et que les sciences humaines apportent du sens aux études scientifiques. Dans certains établissements ou écoles qui se sont emparés de leur droit à l’expérimentation, sont menés des enseignements innovants autour de thèmes fédérateurs (par exemple le défi énergétique, nourrir l’humanité) où les divers savoirs, issus de disciplines variées, sont convoqués en lien avec les programmes. On apprend de la géographie, de la physique, de la chimie, de la biologie ; on apprend à utiliser à bon escient la langue scolaire, à rédiger et à argumenter ; et tout cela au service de questions qui enthousiasment les élèves et les amènent à des productions de grande qualité. Pour ma part, je crois que l’on sous-estime ce que nos élèves sont capables de faire…
Dans l’enseignement secondaire, en Inde, la validation des curricula est faite suivant six critères précis : validité du type cognitif, validité des contenus, validité du processus, validité historique, validité environnementale, validité éthique. Cette réflexion ne pourrait-elle nous inspirer, en France, dans ce domaine, où l’élaboration des programmes disciplinaires n’est pas régie par de telles requêtes ?
La méthodologie indienne est en effet assez remarquable. Elle est rendue indispensable par le fait que ce très grand pays a un fort besoin de légitimer les curricula scolaires, face à la diversité de ses populations, de ses croyances, et des freins idéologiques quelquefois forts qui empêchent l’adhésion à l’apprentissage. De plus, et cela est bien pointé dans l’article, il y a loin de la coupe aux lèvres… et la dilution des objectifs entre les instructions du programme et la réalité de la classe est un vrai souci. Ce qui peut nous inspirer est l’idée qu’un programme disciplinaire ne doit pas chercher sa légitimité uniquement en lui-même, mais doit être au service du développement personnel de l’élève, de la découverte de ses points forts et de ses centres d’intérêt, doit être légitime et authentique sur les savoirs qu’il véhicule, et doit de plus prouver qu’il promeut des attitudes éthiques et de respect de l’espace dans lequel nous évoluons.
Les programmes de Terminale S 2003 avaient vu l’émergence d’un fructueux travail en commun des rédacteurs des trois disciplines scientifiques. Par ailleurs, en Lycée, les enseignants de SVT, de Physique-Chimie, de Mathématiques ont pris l’habitude, et apprécient dans leur grande majorité le travail qu’ils font en commun en TPE. Cette heureuse convergence des disciplines vous semble-t-elle appelée à s’amplifier, à l’heure où une refonte des programmes des disciplines scientifiques des Lycées s’annonce ?
Je ne peux guère que réaffirmer ce que je vous disais plus haut. Enseigner les sciences comme des éléments déconnectés les uns des autres, et de plus déconnectés des problématiques contemporaines ou issues de la vie quotidienne, n’est plus d’actualité dans aucun pays d’Europe. L’autre point important est que nous devons absolument tenir compte des compétences attendues par l’enseignement supérieur, afin que les sciences enseignées au lycée favorisent une poursuite d’études de qualité, tant du point de vue de la vérité de l’orientation que de la réussite des futurs étudiants.
Florence Robine
Interview : Didier Missenard
Enseigner les sciences, une question internationale, Revue internationale d’éducation de Sèvres, septembre 2009
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