Les jeux sérieux ont-ils leur place dans la classe ? Et si oui à quelles conditions et pour quoi faire ? Le petit livre de Julian Alvarez, Damien Djaouti et Olivier Rampnoux, vous dit tout, ou presque, sur les jeux sérieux. C’est à dire qu’il parle des apports mais aussi des limites des jeux sérieux et qu’il montre comment jouer sérieusement en classe. En une centaine de pages, l’ouvrage arrive à la fois à donner des pistes très concrètes pour jouer et une réflexion sur ce que ça implique comme stratégie pédagogique. Dans un entretien, les auteurs nous expliquent leur vision du jeu sérieux. Car dans jeux sérieux il y a sérieux…
« Le jeu c’est sérieux ! » André Tricot ouvre l’ouvrage par une remarquable préface qui part de cette constatation : les petits humains come les petits animaux jouent. Et s’ils consacrent tant d’énergie à le faire c’est que cette activité est utile et surtout utile pour apprendre.
C’est ce que vont démontrer les auteurs. Julian Alvarez est professeur à l’Université de Lille. Damien Djaouti est maitre de conférence à l’université de Montpellier. Et Olivier Rampnoux enseigne à l’université de Poitiers. Tous trois travaillent sur le ludo pédagogique depuis des années.
L’ouvrage aborde bien sur la question de la plus value en classe des jeux sérieux. Par exemple il cite la différenciation pédagogique ou, c’est sans doute une voie pour l’avenir, la stimulation des interactions entre élèves par le jeu. Mais il montre aussi les limites du jeu sérieux. Il ne suffit pas que le jeu trouve un bel équilibre entre ludique et sérieux, il faut aussi qu’il soit compatible avec la classe. Et si cette condition est réussie il faut qu’il le soit aussi avec l’approche pédagogique de l’enseignant.
C’est à la fois la chance et le handicap de beaucoup de jeux. Chance car il y a une variété de profils d’enseignants et il est possible d’adapter les jeux. Handicap car beaucoup ne sont pas compatible avec les suages de l’école, comme les contraintes de temps ou d’organisation.
Alors comment trouver le « bon » jeu ? L’ouvrage fait connaitre de très nombreux jeux et des sites où se tenir informé sur les jeux sérieux. Il montre comment analyser in jeu sérieux pour voir s’il est adapté ou pas à sa classe.
Il montre aussi comment organiser sa classe pour jouer. Les « 10 commandements » de l’utilisateur de jeu sérieux en classe valent le détour. Elle montrent qu’il faut à la fois faire attention aux conditions matérielles qu’à l’organisation pédagogique. Car le jeu ne vaut que par l’usage distancié qu’on en fait en classe.
Voilà enfin un ouvrage abordable, court et d’une grande richesse qui sait trouver l’équilibre entre les conseils pratiques et la réflexion sur le jeu sérieux. Il le fait avec une grande honnêteté en montrant que le jeu sérieux ne vas « sauver l’école ». Il peut par contre venir au secours des élèves ou de certains élèves sur des scénarios précis. Ce n’est déjà pas si mal…
François Jarraud
Julian Alvarez, Damien Djaouti, Olivier Rampnoux, Apprendre avec les serious games ?, Canopé, ISBN : 978-2-2400-4084-8
Julien Alvarez : Donner aux enseignants une culture ludique
Pourquoi le jeu entre-t-il si faiblement dans les salles et la formation des enseignants ? Que peut-on en attendre come outil pédagogique ? Julien Alvarez et Damien Djaouti, auteurs de « Apprendre avec les serious games », réagissent aux questions du Café pédagogique.
Pourquoi publier un livre sur les jeux sérieux en ce moment ? Le moment est-il venu de leur entrée dans les classes ?
Julien Alvarez : Je travaille à l’Espe de Lille qui est engagée dans le déploiement d’une stratégie numérique et dans l’approche ludo- pédagogique. Le livre est une commande de Canopé qui est engagé de façon identique. On voit donc des régions qui se positionnent sur le ludo-pédagogique.
Damien Djaouti : A Montpellier j’observe la même ouverture à l’Espe et au rectorat. Le jeu apparait comme une porte pour laisser entrer le numérique dans les classes. Le jeu est déjà très présent dans la société et dans des secteurs d’activités comme le médical. Il se développe plus lentement dans l’éducation. Il n’y a pas de révolution. Mais on constate chez les jeunes enseignants, qui ont cette culture du jeu vidéo, un intérêt certain.
JA : Je vois aussi des directeurs d’école demander de la formation sur le jeu alors qu’il y a 10 an cela ne concernait que des pionniers. On peut dire que maintenant la place du ludo-pédagogique est acquise au niveau des politiques et de certains établissements, même si ce n’est pas la seule approche numérique.
Il y a-t-il des freins à la diffusion des jeux sérieux dans l’éducation ?
Il y a déjà une condition qui doit être remplie c’est que l’enseignant aime le jeu.
Mais on a toujours joué à l’école !
C’est vrai que le jeu sérieux ce sont aussi des jeux traditionnels. Dans la préface de notre livre, André Tricot explique qu’il y a eu des cycles d’ouverture et de fermeture au jeu dans l’histoire de l’Ecole. Ainsi au Moyen Age, l’Eglise a condamné le jeu en visant spécialement les jeux d’argent. Le jeu a été marginalisé et cela continue. De plus le jeu vidéo est stigmatisé, accusé de générer des violences. Ca aussi ça freine son entrée à l’école.
Pourquoi un enseignant devrait-il s’intéresser au jeu pour sa classe ?
DD : D’abord pour des raisons personnelles. Ensuite, sur un terrain plus pédagogique, parce que ça peut lui permettre de travailler de façon différente. Le jeu est un outil de plus dans sa trousse. Ce n’est évidemment pas quelque chose de « prêt à l’emploi ».
Par exemple le jeu peut aider à différencier ses approches. Ca permet aux élèves de procéder par essai / erreur sans susciter de jugement. On peut recommencer cent fois une tâche sans crainte. Avec un jeu on peut aussi collaborer avec des camarades.
JA : Le jeu aide aussi beaucoup à la conceptualisation. De nombreux exercices scolaires sont totalement étrangers à l’univers quotidien des élèves. Le jeu peut permettre de les rendre plus parlants, par exemple e maths ou en physique. Le jeu donne aussi l’opportunité d’aller dans des environnements où le jeune n’irait pas comme les fonds marins ou la planète Mars. Enfin, si l’enseignant est réceptif au jeu, leur utilisation peut susciter du plaisir chez les élèves.
A quoi un enseignant peut-il reconnaitre un bon jeu ?
DD : Un jeu pourra être jugé excellent par un enseignant et pas par un autre. C’est l’enseignant qui en le testant sait s’il est en adéquation avec sa pratique pédagogique. Mais pour aider les professeurs nous publions dans le livre une grille qui aide à caractériser le jeu et à y voir clair. Par exemple elle invite à vérifier l’équilibre entre le ludique et le sérieux.
JA : Il faut voir ce que le jeu apporte. Cela c’est l’enseignant qui va le définir. Et quand on a conscience de cela , on comprend que ce qui compte c’est la culture ludique de l’enseignant. C’est cette culture du jeu qui permet d’identifier le « bon » jeu. C’est ce que présente une seconde grille dans le livre qui balaie les critères et les pré requis.
DD : Cette culture du jeu est d’autant plus nécessaire qu’on ne produit pas en France de jeux sérieux pour l’éducation nationale. Le marché est trop étroit. Il faut donc aller chercher dans les jeux existants ce qui peut intéresser l’éducation. Et pour cela il faut une culture du jeu.
Le jeu peut-il perturber les apprentissages ?
JA : Dans l’ouvrage on fixe des limites à l’utilisation des jeux. Car ils n’ont pas que des avantages. Le premier problème c’est que le jeu soit adapté à la pédagogie de l’enseignant. C’est pour cela qu’il est important que le jeu soit paramétrable, que l’enseignant puisse se l’approprier. C’est pour cela que si l’enseignant a une culture ludique il a plus de chance de pouvoir trouver un jeu intéressant. Il pourra toujours modifier le jeu, agir sur le programme, les règles ou sur les décors.
DD : Evidemment le jeu doit s’intégrer dans une séquence pédagogique. Si on met juste l’élève devant un jeu on risque d’être déçu. Yvan Hochet, par exemple, montre comment il a utilisé Simcity après un cours sur la ville américaine. Le jeu a permis aux élèves de vérifier la conformité au modèle et de s’auto évaluer . Il aurait pu aussi mettre le jeu avant. Mais dans les deux cas ce sont l’avant et l’après qui font sens. Une recherche a démontré que pour un même jeu une remise en commun en fin de parcours a un impact très important.
JA : Il faut aussi penser à la façon dont on va amener l’élève à sortir du « cercle magique » du jeu. G Brougere pose par exemple la question d l’évaluation par le jeu. L’univers du ludique normalement n’a pas d’effet sur le réel. Si on évalue à travers un jeu on entre dans un paradoxe.
DD : Et on risque de perdre l’aspect ludique.
Aux Etats-Unis existent des jeux sérieux pour la formation des enseignants. Pourquoi n’y en a-t-il pas en France ?
En 2009, il y a eu un projet gouvernemental pour le financement de jeux pour l’éducation. Il y a donc bien un intérêt institutionnel pour le jeu. Mais il ne s’est pas traduit par des jeux de formation. Un jour ça viendra.
JA : On est encore dans une phase d’acculturation des enseignants. La priorité pou rnous c’est de former les enseignants à la culture des jeux. C’est la première étape pour voir arriver les jeux en classe.
Propos recueillis par François Jarraud
Enseigner avec le jeu, DOSSIER du Café pédagogique