Pourquoi tisser des liens avec les parents dans l’enseignement professionnel ? Parce que l’impact est mesurable sur les résultats et sur le comportement des élèves. Mais aussi parce que ça embellit le métier. Comment faire ? Claire Botella, professeure d’EPS au lycée polyvalent Jules Fil à Carcassonne, a eu l’idée de proposer un parcours STEP – Santé aux élèves et à leurs parents en lien avec le baccalauréat professionnel Accompagnement, soins et services à la personne. Récit d’une réussite qui lui a valu un prix national Unss éthique, santé et bien-être.
En quoi consiste votre projet ?
L’idée a été de proposer aux élèves et à leurs parents un parcours de santé à l’Association Sportive (AS) du lycée. Ce dernier s’est organisé à travers des séances à l’AS, en STEP le lundi soir et le mardi soir à travers différents exercices physiques (squat, corde à sauter, abdominaux, vélos rameurs). De plus, nous avons proposé un semainier avec différents exercices à réaliser pour permettre aux élèves de continuer le travail durant le reste de la semaine, dans une optique d’affinement de la silhouette. En complément, les élèves ont pu avoir un suivi par les infirmières de l’établissement, plusieurs séances avec le chef cuisinier du lycée, mais également, en partenariat avec un lycée hôtelier, un cours de 3h de cuisine puis un repas au restaurant pédagogique. Enfin, deux conférences avec une diététicienne ont permis d’associer nutrition et activité physique.
Pourquoi cette action ?
Il y a plusieurs raisons, parmi lesquelles le mode de rencontre au sein de l’UNSS. En effet, je ne me retrouvais plus du tout dans la logique « compétition » qui monopolise les pratiques à l’UNSS. Et je me retrouve davantage dans l’altruisme, dans l’entraide que dans « gagner par rapport aux autres ».
De plus, pour resituer le contexte, j’enseigne depuis presque 25 ans dont 8 ans au sein du lycée polyvalent. Et, il est vrai, que j’avais l’impression de perdre du sens dans mon travail, de ne pas me sentir utile… D’un côté, je validais de bonnes notes pour les bons élèves et je n’arrivais plus à faire progresser en EPS les élèves en difficulté. Ces derniers sont souvent en surpoids avec une alimentation non équilibrée. Par exemple, je les croisais souvent avec un paquet de chips pendant les pauses.
On se rend compte que l’habitus santé n’est pas construit au sein des CSP défavorisées car la barrière financière reste trop importante. Il y a une inégalité d’accès à la santé ! Les familles ne peuvent pas se payer une diététicienne, ou un coach sportif, ou aller dans des salles de sport… L’idée a été de rendre la santé accessible.
Oui mais comment faire venir les parents ?
En fait ce n’est pas si difficile que ça, même si au début certains élèves ont honte de venir avec leurs parents ou même si certains parents bien portant peuvent avoir des réticences. Très vite, pour de multiples raisons cela a été possible ! Tout d’abord, le prix, 20E à l’année, permet à des budgets très modestes de pouvoir venir. D’ailleurs les mamans me disaient « nous, on ne va pas dans les salles de sport car on a un peu honte et en plus c’est inabordable pour notre budget ».
Comment mettre en place justement cette action ? Avez-vous rencontré des difficultés ?
A ma grande surprise, rien n’a été difficile. Que ce soit, au niveau de mes collègues, de ma direction, des infirmières, du chef cuisinier ou même des personnes en dehors de l’établissement, comme la diététicienne qui est en libéral. J’ai ressenti chez eux beaucoup d’envie, de plaisir d’être sollicités et de pouvoir sortir de la routine du quotidien.
Au final, la dynamique a été vraiment enrichissante dans le sens où elle a permis de se rendre compte de l’importance de l’ensemble des acteurs du lycée. En ce qui concerne l’aspect financier, là aussi, nous avons pu compter sur l’aide du CESC et l’AS du lycée qui a pris en charge le repas pédagogique.
Mais, peut-on licencier les parents à l’UNSS ?
En effet, ca a été le petit « hic » au départ. J’ai donc appelé les IPR, ainsi que le directeur régional UNSS. Ils m’ont dit oui tout de suite. Mais sur le site, je ne pouvais pas les licencier en tant qu’élèves car la date de naissance ne le permettait pas. Par conséquent, j’ai dû les inscrire en tant qu’animateurs. Par contre, j’espère que pour l’année prochaine, le logiciel UNSS va évoluer afin que l’on puisse aussi licencier les parents !
Comment pourriez-vous caractériser cette relation parents/enfants ?
Malgré quelques craintes au début, on peut dire qu’il y a eu une véritable relation d’entraide et de solidarité entre parents et enfants ou jeunes et adultes. Beaucoup de rires et de soutien pour aider, expliquer, encourager, notamment lorsque l’effort devenait important. Par exemple, plusieurs défis se mettaient en place entre adolescents et adultes, mais toujours positivement. Souvent, certains parents « chambraient » les jeunes qui abandonnaient plus vite qu’eux ou qui avaient « moins la pêche » qu’eux. Tous ces échanges ont toujours été dans un esprit très positif, avec beaucoup de respect, notamment au regard de la différence physique.
Par ailleurs, plusieurs mères m’ont raconté que maintenant plusieurs élèves s’arrêtent pour leur dire bonjour lorsqu’ils les croisent. Des liens se sont tissés.
Et vous au sein de cette relation avec les parents et les élèves, quelle a été votre place ?
L’idée était de permettre l’acquisition de cet habitus santé ! Donc je faisais le maximum pour adapter les exercices, les charges mais aussi d’être bienveillante. Cependant je dois avouer que même si l’on peut prévoir de nombreuses choses, il y en a également beaucoup que l’on ne peut pas. Notamment, le fait de partager cet effort ensemble, de partager les humeurs, les hauts et les bas, font qu’à un moment ce n’est pas uniquement le regard de l’enseignant, mais un regard humain de confiance qui se met en place. Pour résumer, l’humain a pris le dessus sur le statut. Du coup, cela me permettait aussi de faire beaucoup de retour régulier, positif et informel aux parents sur le travail effectué durant la semaine par leur enfant (j’étais le professeur principal de nombreux élèves). Et je pense sincèrement que ce côté humain et ce suivi informel a permis de voir des améliorations en classe notamment sur l’attitude et même sur les résultats.
Justement, quels ont été les résultats ?
Nous avions deux publics différents. Le premier qui n’avait aucun problème de surpoids mais qui se caractérisait par un manque de confiance en soi, et le second qui avait pour objectif la perte de poids (désormais on mesure !).
Du coup, suite aux mesures : 66% des élèves qui avaient fait la démarche de rencontrer les infirmières ont vu leurs mesures baisser, quand pour le reste les mesures sont restées stables. Ce qui représente aussi une réussite.
Autre composante importante, avec les élèves dont j’étais le professeur principal, nous avons vu les résultats augmenter de 1 à 2 points, voire même une élève qui est passée de 8 à 14 de moyenne générale. De plus, j’ai eu beaucoup de retour des collègues concernant l’évolution positive du comportement des élèves.
Enfin, lors de la journée « portes ouvertes », un nombre vraiment important de parents ont manifesté leur volonté de venir l’année prochaine. Hâte d’y être !
A quoi ressemblera l’action l’année prochaine?
Je dois avouer que nous avons beaucoup de personnes qui se sont manifestées pour donner un coup de pouce au projet de façon bénévole. Par exemple, pour l’année prochaine nous aurons l’intervention d’un médecin sportif qui présentera les conséquences de la sédentarité, également un kinésithérapeute qui nous expliquera comment s’étirer ; ou encore l’intervention de l’association des diabétiques de l’Aude qui proposera une sensibilisation et des tests gratuits.
De plus, un grand chef viendra 3 fois dans l’année pour faire un cours de diététique avec des aliments peu onéreux.
Nous ferons également évoluer le semainier pour le rendre numérique via la section « systèmes électroniques et numériques » du lycée. Nous souhaitons aussi proposer un séjour « mise au vert » avant les examens autour du bien-être au sein de l’AS avec plusieurs activités.
Enfin, il me semble important de mettre en place plusieurs indicateurs pour percevoir l’impact de ces actions, notamment avec une échelle de bien-être afin de mesurer l’évolution dans ce domaine.
Par Antoine Maurice et Benoit Montégut