« Non seulement ces chiffres nous invitent à regarder les choses telles qu’elles sont, mais ils sont les ressorts de l’action », dit JM BLanquer en préface à l’édition 2019 de L’état de l’école. Chaque année « L’état de l’école », une publication ministérielle, reprend des données sur les élèves, leurs parcours, leurs acquis et l’investissement mis dans l’éducation. Parmi les nombreux indicateurs retenus pour l’édition 2019, quelques pages méritent qu’on s’y arrêtent pour ce qu’elles montrent de l’état véritable de l’école. Et pour qu’elles invitent à l’action…
« En 2018, la population scolaire diminue très légèrement avec une baisse marquée dans le premier degré liée à la forte diminution des naissances des dernières années. L’effort de la nation pour l’École est important, mais la France apparaît encore en retrait sur le premier degré par rapport à la plupart des autres pays européens. En termes de résultats, sur le long terme, l’école a permis de diplômer et de qualifier beaucoup plus de jeunes, mais sans toutefois parvenir à faire disparaître les inégalités, en particulier celles liées à l’origine sociale, mais aussi entre filles et garçons ou territoriales. Enfin, toutes les évaluations de compétences mettent en évidence un pourcentage entre 15 % et 20 % d’élèves en forte difficulté scolaire et ceci très tôt dans leur scolarité ». A ce résumé rédigé par la Depp (division des études du ministère), nous ajouterons quelques coups de projecteurs sur quelques spécificités bien françaises.
Des cadeaux au privé…
Pour une fois nous n’aborderons pas les relations entre les enseignants et leur ministère sous l’angle du salaire. Le sujet a déjà été largement abordé et L’état de l’école y consacre une double page.
« Entre 2008 et 2018, les effectifs d’enseignants du premier degré privé sous contrat sont plus dynamiques que ceux du public, mais reculent en 2018. Dans le second degré privé sous contrat, les évolutions sont proches de celles du second degré public », note L’Etat de l’école. En fait ce que montre l’évolution des effectifs d’enseignants dans le privé c’est à quel point entre 2008 et 2012 l’enseignement privé a été systématiquement privilégié par les ministres qui se sont succédés : Robien, Darcos et Chatel.
Alors que ces ministres supprimaient près de 80 000 postes d’enseignants dans le public, ils favorisaient le privé. Si effectivement le nombre d’enseignants diminue dans le second degré privé parallèlement au nombre d’enseignants du public, il n’en va pas de même pour le premier degré. Alors qu’on passe de l’indice 100 à 96 dans le public, on passe de 100 à 102 dans le privé. Il faut savoir que ce n’est pas l’Etat qui répartit les postes entre1er et 2d degré dans le privé. Il affecte globalement des postes au privé qui ensuite les gère.
Sur ces années 2008-2012 les ministres de l’éducation ont supprimé beaucoup plus de postes dans le public que dans le privé. Ils n’ont pas respecté la règle du 80-20 qui s’est installée depuis les accords Lang Cloupet. Ensuite le privé a décidé de conquérir une part du marché scolaire dans le premier degré, jugeant peut-être son installation mieux assurée dans le second degré. C’est somme toute la même séquence que l’on va voir revenir avec la prise en charge des maternelles privées par les communes grâce à la loi Blanquer. Les écoles privées vont avoir des moyens supplémentaires pour se développer ou attirer de nouveaux publics.
Après 2012, les emplois augmentent dans le public et là l’Etat respecte le principe du 80-20, par conséquent les emplois du privé augmentent comme ceux du public. Dans le premier degré l’avantage donné de Robien à Chatel persiste.
Comment l’Etat traite les profs…
» Quelle que soit la dimension interrogée (gestion de classe, enseignement et engagement des élèves), les enseignants en France expriment un sentiment d’efficacité personnelle dégradé en 2018, tant par rapport à leurs homologues européens que par rapport aux enseignants français interrogés en 2013″, écrit la Depp. » Les enseignants se percevant comme les moins efficaces sont ceux qui déclarent avoir le moins recours à des pratiques identifiées comme de potentiels déterminants de la motivation et de la réussite des élèves, telles que les stratégies d’activation cognitive (comme le fait de donner des exercices sans solution évidente) ou les activités visant à développer l’esprit critique ou l’autonomie des élèves ».
Tout est dans ce graphique. On constate l’écart entre les enseignants européens et leurs collègues français. Chez nos voisins entre 2013 et 2018 les enseignants ont gagné en sentiment d’efficacité dans tous les domaines. Et ce sentiment est nettement plus élevé que celui des leurs collègues français. En FRance seulement 40% des enseignants sont certains de leur compétence à expliquer autrement à leurs élèves. C’est 20% de moins que chez leurs collègues européens et 20% de moins quasi par rapport à 2013. Les enseignants français qui affichaient plus d’aisance en 2013 que leurs collègues se sont complètement démoralisés en 5 ans. On observe la même chose pour « amener les élèves à respecter les règles en classe ». Près de 60% des enseignants avaient le sentiment d’y arriver en 2013 contre 43% chez leurs collègues européens. En 2018, c’est seulement 37% des Français contre 45% des européens.
Gageons que ces enseignants n’ont pas perdu en compétences en 5 ans. Ils ont perdu en sentiment d’efficacité. Le sentiment d’inefficacité est directement lié à la souffrance au travail. Et ce qu’on voit c’est l’extraordinaire démoralisation dans laquelle sont les enseignants, l’océan de souffrance où ils tombent. Comment a-ton pu e arriver là ? Probablement que les campagnes médiatiques, le déclassement social y ont leur part. Il y a aussi la part de l’institution dans les économies systématiquement faites sur la formation continue comme le montre encore le budget 2020 (baisse du budget formation du 1erdegré).
Ségrégations
» Parmi l’ensemble des élèves qui suivent une formation au collège, 36 % viennent d’une catégorie sociale défavorisée et 37 % viennent d’une catégorie sociale favorisée (y compris très favorisée). Les établissements publics accueillent deux fois moins d’élèves d’origine sociale très favorisée et deux fois plus d’élèves d’origine sociale défavorisée », dit la Depp.
Ces données sur les collèges marquent l’extraordinaire ségrégation sociale à l’oeuvre dans un système éducatif financé par l’argent public et donc qui devrait mettre en oeuvre l’égalité. Ainsi on comte seulement 20% d’élèves très favorisés dans les collèges publics contre 40% dans le privé sous contrat. Inversement près de la moitié des élèves sont défavorisés dans le public contre 18% dans le privé. Encore faut il ajouter que l’inégalité existe aussi à l’intérieur des collèges publics. On compte 74% d’enfants d’ouvriers et inactifs en Rep+ contre seulement 38% dans les collèges publics hors éducation prioritaire. Cette inégalité sociale se traduit en inégalité scolaire. 77% des élèves de Rep+ ont une note inférieure à 10 aux épreuves écrites du DNB contre 45% dans le public hors éducation prioritaire.
Les oubliés de l’Ecole
» La scolarisation des enfants de moins de trois ans reste stable. 11,5 % des enfants de deux ans sont scolarisés à la rentrée 2018″, écrit la Depp. C’est vrai mais la scolarisation des moins de trois ans a connu une chute vertigineuse de 2000 à 2012. Depuis 2012 la baisse est stoppée mais il n’y pas de retour à l’état antérieur. On est passé de 35% des moins de 3 ans scolarisés en 2000 à 10.5% en 2012. La scolarisation précoce a servi de variable d’ajustement au moment de l’effondrement des postes. Or cette scolarisation précoce est déterminante pour les enfants défavorisés. Le gouvernement a préféré rendre obligatoire l’école à 3 ans, âge où 98% des enfants sont déjà scolarisés, plutôt que consentir un effort pour la scolarisation précoce. L apriorité au primaire a ses limites…
Autre moment autre document. L’espérance d’obtenir le bac pour un élève de sixième tient pour beaucoup aux investissements scolaires. Pour avoir une bonne chance d’avoir le bac il faut déjà avoir une bonne chance d’aller en terminale. Or l’équipement en lycée n’est pas le même dans toutes les régions. Ce que montre la carte c’est que les régions rurales ne sont pas forcément désavantagée. Les montagnards du Massif central ou des Pyrénées ont autant de chances d’avoir le bac que les parisiens. Ce sont les anciennes forteresses ouvrières, les terres de l’éducation prioritaire qui offrent moins de possibilités. Or on sait que la réforme de l’éducation prioritaire devrait transvaser les moyens des Rep vers les campagnes. Là aussi les choix ne sont pas neutres.
François Jarraud