« Le jeu doit être utile aux apprentissages disciplinaires ». Peut-on réellement apprendre de l’histoire et de la géographie manette en main ? Professeur au collège Les Perrières d’Annonay, Sébastien Verney utilise des jeux vidéos en classe. Une utilisation qui est intégrée dans des scénarios pédagogiques et qui doit respecter trois principes dont l’appel à l’esprit critique. Des pratiques pédagogiques qu’il partage dans des vidéos sur Youtube. Il partage son expérience lors du Forum des enseignants innovants réuni à Paris le 23 novembre.
L’utilisation du jeu en classe est une pratique pédagogique au moins aussi vieille que l’école. Elle interroge ce qui se passe dans cet utilisation du jeu : peut-on vraiment apprendre avec le jeu vidéo et si oui quoi ?
Personnellement dans mes cours j’utilise les jeux vidéos en respectant trois principes. D’abord le jeu vidéo peut être un apport documentaire. Par exemple je peux utiliser la bande annonce du jeu Watch Dogs pour une découverte de la ville américaine. Le jeu se passe à Chicago. En 6ème on peut demander aux élèves de remplir un questionnaire sur les différents quartiers. C’est l’utilisation la plus simple.
Il y a ensuite le travail critique : comparer le jeu et la réalité. Par exemple en 5ème, Assassins Creed Unity permet une découverte du Paris révolutionnaire. C’est une vraie découverte du patrimoine, Notre Dame par exemple. Mais les élèves sont amenés à comparer ce qui est dans le jeu à ce qu’on sait de Notre Dame et de la Révolution. Il y a tout un travail critique à faire.
Troisième situation : on peut faire jouer les élèves vraiment , manette en main. Par exemple en 3ème, lors d’une séance sur la première guerre mondiale avec le jeu Soldats inconnus. Les élèves suivent le parcours de 4 personnages bousculés par la guerre. Le jeu fait découvrir leur quotidien. Les élèves remplissent un questionnaire en utilisant le jeu et sa base documentaire.
Mais finalement qu’est que ça apporte par rapport à d’autres supports documentaires ?
Le principal apport c’est la motivation des élèves. Ils sont davantage acteurs de leur apprentissage. Le jeu peut aussi valoriser des élèves particuliers. Dans un jeu sur la crise migratoire, par exemple, les élèves devaient prendre des décisions pour trouver de l’argent, se nourri etc. Dans la classe un élève kurde de Syrie a pu partager son expérience avec ses camarades. Le jeu a facilité son intégration en classe et a finalement eu une utilité citoyenne. La limite de ces usages c’est la gestion du temps : il faut prendre garde que l’utilisation du jeu ne soit pas chronophage par rapport aux objectifs pédagogiques.
Dans tous ces usages c’est finalement le coté sérieux du jeu sérieux qui l’emporte. Il n’y a plus de place pour le jeu ?
Je ne conçois pas que le jeu vidéo soit purement du jeu. En classe il faut un but derrière. Mon usage est toujours vraiment scolaire.
Les élèves ne se sentent pas floués ?
En classe il faut un cadrage avec des objectifs nettement indiqués. Il y a toute une phase d’explicitation où on passe du cours classique à la séquence de jeu. Par exemple si on utlise Sim City ou un de ses clones (Pocket City, Epic City) cela intervient après un travail classique sur la ville. Les élèves sont invités à créer une ville du futur d’abord sur le papier puis à tenter de la réaliser dans le jeu. Là ils se rendent compte si leur ville idéale fonctionne ou pas.
City Skylab permet une approche un peu plus exigeante en matière de pollution ou d’équilibres urbains. Les élèves perdent parfois des habitants dans le jeu. Ils doivent comprendre pourquoi et revoir l’organisation ou leur gestion de la ville. Au final tout cela apparait dans la remise en commun en fin de cours.
Vous avez développé une chaine Youtube sur le jeu vidéo en classe. Pourquoi ?
Au départ ça a été une réaction à l’incendie de Notre Dame de Paris. L’événement m’a touché et j' »ai voulu montrer que ce patrimoine est toujours là à travers le jeu vidéo. La chaine veut aussi lutter contre la mauvaise réputation du jeu vidéo et montrer qu’il peut être utilisé en classe. Evidemment le jeu ne règle pas toutes les difficultés pédagogiques. C’est une pratique parmi d’autres.
Depuis des siècles des enseignants utilisent le jeu en classe. Depuis des décennies certains font appel au jeu vidéo. Pourtant ces usages sont très minoritaires . Pourquoi cela ne se développe t-il pas ?
Le jeu vidéo a pris une place économique et culturelle importante dans notre société. Il s’est popularisé sur des tranches d’âge variées. J’ai connu le début des jeux et il était totalement absent de l’école. Pourquoi ce bouleversement devrait rester en dehors des classes ? L’école n’est pas un sanctuaire imperméable aux évolutions de la société.
Le jeu vidéo apporte de l’attrait et de la motivation dans les cours. Il peut aussi porter des idéologies qui doivent être critiquées et apporter sa contribution à l’enseignement des médias.
Pour vous l’école doit suivre les pratiques culturelles des élèves ?
Elle doit éviter le jeunisme. Le jeu se justifie en classe quand il est utile à l’enseignement. S’il n’a pas d’intérêt pour les apprentissages il n’a pas sa place à l’école.
Propos recueillis par François Jarraud