Ma récente visite en Normandie sur des lieux du Débarquement est à l’origine de cette chronique ou quand le professeur d’histoire retrouve certains lieux près de quarante ans ans mélangeant ainsi sa mémoire à ces lieux de mémoire. Mise en abîme et reportage photos en prime.
En ce début d’une journée d’octobre 2014, je me rendais en direction de Bayeux, première étape d’un périple normand. Le temps était frais surtout au guidon de ma moto. Ma première rencontre avec le D-Day, comme les différents panneaux l’indiquent aujourd’hui sur le territoire français, survint par surprise à la sortie de Saint-Lambert-sur-Dives lorsque j’aperçus un drapeau canadien et une table d’orientation au sommet de la colline. Je m’arrêtais curieux.
Saint-Lambert-sur-Dives – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
Je montais la rampe, observais le paysage aux alentours et je m’informais en lisant les panneaux. Je découvrais ainsi un « Observatoire de la Bataille de Normandie » et plus particulièrement l’évocation des combats des 18 et 20 août 1944 [1]. Pourtant, immédiatement ou presque, il n’y a plus de discours historique ou sur le couple histoire/mémoire qui tiennnent.
L’âpreté des combats vécus dans le bocage normand – comme sa spécificité d’ailleurs expliquant les difficultés de l’avancée des troupes – vous saisit et le paysage n’est plus anodin. Il devient l’incarnation des combats passés.
Les drapeaux, petits ou grands, symbolisent les hommes morts ici et là aux combats si loin de chez eux.
Saint-Lambert-sur-Dives – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
A Bayeux, il existe une certaine distance au conflit. Ville d’histoire, elle n’est pas toute entière tournée sur le seul Débarquement. Néanmoins, des traces la jalonnent comme avec ses faux-anciens panneaux de direction renvoyant à des lieux de combats de juin 44 :
Bayeux – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
La guerre, mais celles d’aujourd’hui, est présentée en ville à l’occasion de l’édition 2014 des rencontres Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre (6 au 14 octobre 2014) et de ses expositions en ville.
« 200 000 Syriens » de Laurent Van des Stockt, exposition à la Cathédrale de Bayeux (6 octobre au 10 novembre) – http://www.prixbayeux.org/blog/?p=1808. Bayeux – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
Au cœur de la cité, L’Ukraine ou la Syrie font écho en 2014 aux combats de juin-juillet 1944 en Normandie.
« Ukraine : République populaire du chaos » de Maria Tuchenkova – http://www.prixbayeux.org/blog/?p=1828. Bayeux – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
A Colleville-sur-Mer, j’avais découvert, il y a presque quarante ans en compagnie de ma mère, le cimetière américain surplombant la plage d’Omaha Beach. Le mémorial et les tombent suffisaient alors à vous plonger au cœur des combats et du conflit. En cet automne 2014, le dispositif s’est complexifié.
L’arrivée au cimetière est ternie, à mon avis, dans le rond-point d’accès au Cimetière par les éléments du désormais tourisme de la mémoire (musée « Overlord Omaha Beach » inauguré en juin 2013, crêperie et hôtel).
Vue sur la plage et la mer à la sortie du Visitor Center. Colleville-sur-Mer 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
Dans le cimetière, la visite commence au Visitor Center. Après avoir franchi le portail de sécurité, 5 soldats morts en Normandie sont évoqués notamment dans un film au travers de leur dernière lettre et le témoignage de proches. Je note le ton volontairement enjoué de ces lettres écrites juste avant l’assaut, le parachutage ou la mission aérienne ainsi que les évocations du quotidien qui doit être celui de leurs proches alors si loin.
Une fois dehors, la beauté du paysage est saisissante, plus particulièrement celle de la plage en contre-bas. Aujourd’hui, il offre le calme et la sérénité qui conviennent à un cimetière. Soixante-dix ans en arrière, tout n’était pourtant que bruit et fureur.
Colleville-sur-Mer 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
Beaucoup d’anglo-saxons, principalement américains, déambulent entre les tombes. La plupart sont de la génération 39-45. Smartphones, iPad et appareils photos arrachent un témoignage, l’évocation d’un nom ou la beauté des lieux.
Colleville-sur-Mer 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
Impossible de ne faire que passer. Dans un premier temps, c’est l’œil est saisi par l’alignement géométriques des croix et le ballet des visiteurs entre ces dernières. Imperceptiblement le regard est attiré ensuite par un nom sur une croix, puis par un autre. Soudain, l’oeil percoit ,au milieux des autres croix, une étoile de David. L’espace d’un instant le nom inscrit devient un proche, puis il est happé par les suivants. Inlassablement, le scénario se répète. Seule la mémoire de nos boîtes à images pourront les fixer plus longtemps.
Colleville-sur-Mer 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
La suite de mon périple me conduit à Arromanches et à Graye-sur-Mer. A Arromanches, j’y apprends que, de village de pêcheurs, la localité s’est transformée en cité balnéaire. 39-45 y a provisoirement mis fin.
Vestige des caissons du port artificiel du port de Mulberry. Arromanches – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
En 2014, l’activité balnéaire a repris ses droits à laquelle s’ajoute désormais un tourisme du souvenir, amplifié par les commémorations de cette année. Le tourisme de la mémoire offre en plus des activités toutes trouvées les jours de pluie. Pratique.
Graye-sur-Mer – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
La fin de la journée approchant, je prends alors le chemin du retour. Tous les artifices du tourisme du D-Day et ma science historique n’arrivent pas à occulter les images de ces différents lieux et des 76 jours de la Bataille de Normandie, ni l’évocation des visages ou noms de soldats rencontrés ce jour et ayant débarqué sur ces plages. Une nouvelle fois l’émotion était là. Je ferai de l’histoire une prochaine fois.
Graye-sur-Mer – 14.10.2014 cc Lyonel Kaufmann.
PS : reprenant ma casquette professionnelle un court instant, cette chronique parle aussi en creux de l’exercice difficile de la sortie scolaire ou de l’empathie historique. Histoire sensible dans toute son acception, il importe que les élèves puissent exprimer leurs émotions et leur ressenti par le texte et l’image ainsi que par une discussion avec le groupe-classe. Là aussi, la leçon d’histoire attendra…
Pour l’ensemble des photos prises en Normandie :
http://lyonelk.smugmug.com/Travel/Normandie-1944-2014-1/
Lyonel Kaufmann, Professeur formateur,
Didactique de l’Histoire, Haute école pédagogique du canton de Vaud, Lausanne (Suisse)
[1] Lors de la fin de la bataille de Normandie, le village de Saint-Lambert est situé à la jonction entre les troupes canadiennes et polonaises au nord et américains au sud, permettant de fermer la porte de Chambois. Le village est ainsi libéré le 20 août 1944 par les troupes du Major David Vivian Currie après de violents combats. Dans les deux jours précédents, les restes des armées allemandes tente de s’échapper par un étroit passage de 3 km de large entre Saint-Lambert et Chambois, avec seulement deux points possibles pour franchir la Dives en véhicule, par un pont à Saint-Lambert et par le gué de Moissy. Ce passage pendant ces deux jours sera sous le feu constant de l’artillerie et l’aviation alliées provoquant de nombreuses pertes allemandes et conduisant à surnommer ce passage le « couloir de la mort » au vu du nombre de cadavres d’hommes mais aussi de chevaux retrouvés sur cet étroit passage.
Source : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Saint-Lambert-sur-Dive