Peut-on désamorcer le débat sur l’évaluation ? C’est le pari tenté par Charles Hadji. Loin des débats fumeux sur la réforme de l’évaluation ou la défense des notes, son livre colle au terrain mais en revenant sans cesse aux finalités de l’évaluation. Pour tous les enseignants qui passent beaucoup de temps à corriger des copies et à concevoir des évaluations, en se demandant assez souvent à quoi ça sert, pour ceux qui en ont assez des débats de principe, ce petit livre ouvre des horizons théoriques et très pratiques à ne pas louper…
L’évaluation ça compte dans la vie d’un enseignant. C’est même l’activité qui identifie le mieux le métier d’enseignant. Quand on entend les enseignants on pourrait croire que c’est la part la moins appréciée du métier. En fait c’est celle où ils se retrouvent. En salle des profs on parle plus volontiers du dernier paquet de copies et des notes du petit Z que de pédagogie ou d’avenir de l’Ecole. C’est aussi l’activité la plus chronophage après les cours et leur préparation. Les enseignants lui consacrent en moyenne 3h36 par semaine dans le premier degré et 5h48 dans le second. La durée des corrections a à voir avec la hiérarchie symbolique des métiers enseignants. Le certifié corrige 6h40 par semaine, le professeur des écoles 4h09. Evidemment le professeur de français y passe plus de temps que celui de mathématiques. Mais l’essentiel c’est qu’aucun corps d’enseignant n’y échappe. Ainsi la maitresse de maternelle passe 1h43 à corriger les travaux de ses élèves. Le professeur d’EPS 1h49. Pas de correction, pas de professeur…
L’intérêt du livre de Charles Hadji, c’est la position qu’il prend. « Le présent ouvrage n’a pour ambition ni de faire un éloge d el’évaluation comme levier du changement, éloge que son aspect excessif rendrait contestable, ni de porter un regard moralisateur sur des pratiques…, ni de faire des paris hasardeux sur l’avenir des pratiques évaluatives. Son propos est de montrer.. qu’il peut y avoir une façon intelligente d’évaluer les élèves et qu’une évaluation est intelligente dans la mesure où elle participe à son niveau à la progression des élèves dans la construction de leurs connaissances et compétences ».
Ceci posé, le livre nous sort des débats de chapelle et des gourous officiels ou anti -officiels. L’ouvrage démine la question en constatant des points essentiels et incontestables. La question de la note c’est la question de la saisie objective du niveau d’apprentissage d’un élève. La question de l’évaluation bienveillante c’est en fait celle des meilleures conditions de sérénité pour l’évaluation. La question de l’évaluation des compétences c’est celle des pratiques d’évaluation. Celle de l’autoévaluation c’est celle de la place de l’élève dans l’évaluation. Le premier effet du livre de C Hadji c’est de nous sortir des faux débats.
Le second effet, une fois les finalités bien mises en perspectives, c’est d’aller d’envisager les modalités. La moitié de l’ouvrage concerne les pratiques d’évaluation. Le livre montre comment construire des outils d’évaluation qui tiennent compte des programmes et du socle. Il nous propose des grilles d’évaluation pour l’expression orale, le parler en langue vivante par exemple. Il se termine par des propositions de bulletins trimestriels qui privilégient soit l’entrée par disciplines soit l’entrée par compétences.
C Hadji croit qu’il est possible de progresser vers une pratique évaluative qu’il ne qualifie pas de bienveillante mais de constructive. Parce que pour lui l’évaluation doit être mise au service de la construction de la réussite de tous.
Charles Hadji, L’évaluation à l’école . Pour la réussite de tous les élèves. Nathan 2015. ISBN : 9782091222707
Charles Hadji : » On peut refuser la sélection malgré la pression sociale »
Le sous titre du livre de C Hadji donne la clef de sa démarche. C’est l’évaluation « pour la réussite de tous les élèves ». Mais à quelles conditions ?
L’évaluation des élèves est devenue une question chaude. Votre livre dépassionne ce sujet. Pourquoi est-ce un sujet si conflictuel ?
Parce que l’évaluation débouche sur des enjeux sociaux très importants, dans un contexte économique où la réussite est très importante. C’est pour cela aussi que le sous titre du livre est « pour la réussite de tous ». On se dit que ce n’est pas possible et que seuls quelques uns peuvent réussir. Mais l’école doit au moins viser la réussite du plus grand nombre. Tous devraient être capables de savoir lire, écrire, s’exprimer. Derrière cette question il y a des débats pédagogiques. Et on a vite fait de déboucher sur des guerres de religion dont on a tout intérêt à sortir.
L’évaluation juste c’est un mythe ? Dans ce cas faut il cesser d’évaluer ?
Qu’en est-il de la justice en évaluation ? Dans un précédent livre j’étais parti dans la quête du bon usage de l’évaluation sur les plans méthodologique et éthique. Evidemment les enseignants s’efforcent d’évaluer de la façon la plus juste possible. Chacun est animé par ce souci de justice. Mais qu’est ce qu’une évaluation juste ? Une évaluation sans piège, qui donne aux élèves la possibilité toutes leurs chances de montrer leurs capacités.
Mais même avec ce souci, on n’est pas assuré d’évaluer de façon juste. On pourra tendre vers plus de justice si l’on s’inscrit dans une démarche permettant de bien faire ce que l’évaluation est censée faire. On entre là dans la dimension méthodologique de la justice.
Faute de justice, ne faudrait-il pas arrêter d’évaluer ?
L’évaluation doit à la fois être permanente et ne pas être pesante. Comment faire face au paradoxe ? En distinguant deux types d’évaluation, selon deux usages. Un usage formatif où l’évaluation aide l’élève à apprendre. Cette évaluation doit être permanente. Et puis il y a un usage sommatif : l’évaluation devient un bilan certificatif. Cette évaluation ne devrait être faite qu’en fin d’apprentissage. Il ne faut pas arrêter l’évaluation formative mais freiner la sommative. Le drame c’est qu’elle a tendance à étouffer l’évaluation formative.
Vous dites dans l’ouvrage qu’il faut avoir une vision claire de la formation sociale de l’évaluation. Le maitre peut-il échapper aux pressions sociales sur l’évaluation ?
Le maitre n’est pas libre à l’égard des instructions officielles. En revanche, dans sa classe, il est libre de ne pas subir le joug des usages sociaux. Il n’est pas contraint d’accepter l’idéologie dominante. Il n’est pas contraint de transférer toute l’évaluation sur une évaluation certificative. Mettre en oeuvre l’évaluation par compétences du socle commun n’implique pas qu’il fasse de toute évaluation une mesure de sélection. On peut refuser la sélection malgré la pression sociale.
Il y a un débat sur la notation. Faut-il maintenir les notes ?
Le problème essentiel n’est pas celui-là. C’est un faux débat. La vraie question c’est l’évaluation objective.
Comment adapter son évaluation aux nouveaux programmes ?
J’essaie de le montrer dans mon livre. Il faut suivre la méthode que je présente qui vise à dégager l’essentiel des programmes. Je propose des tâches précises pour montrer comment faire pour que l’élève acquière des compétences.
L’évaluation concerne aussi les parents ?
Oui dans la mesure où ils doivent être informés de ce que font leurs enfants et où ils se fondent sur ces résultats pour construire le projet de leur enfant. C’est tout le problème du bulletin scolaire. Des équipes ont fait des efforts pour construire un bulletin informatif. Les parents ont besoin de comprendre ce dont parle l’institution scolaire. Il faut que ls choses soient claires.
Le socle rend les choses plus transparentes pour les parents ?
On a eu des exemples de bulletin clairs et lisibles lors de la conférence nationale sur l’évaluation. Mais il faut évidemment simplifier le socle. Dans le socle de 2005 il y avait 110 items : c’était incompréhensible. Il faut remarquer que les bonnes vieilles notes ne donnent pas d’information claire et utile aux parents et ensuite aller à l’essentiel. Observons les travaux des équipes qui ont travaillé sur ce point et suivons les.
Propos recueillis par François Jarraud