Conseillère pédagogique Arts Visuels, coordinatrice départementale « Ecole et Cinéma », Patricia Lamouche travaille en direct avec les classes pour faire vivre les instructions officielles. Elle réagit à la lecture du document proposé à la consultation pour les nouveaux programmes du primaire.
Le projet de nouveaux programmes pour le primaire vous semble-t-il en rupture avec les contenus et les manières de faire préconisés dans ceux de 2002 ?
Que dire ? Les cheveux se dressent sur nos têtes, les bras nous en tombent … Depuis des années, nous tentons de nous inscrire dans des propositions pédagogiques cohérentes et ambitieuses pour nos élèves, visant la construction d’une «vraie culture vivante » à l’école. C’est tout le contraire d’un empilement de savoirs sur l’Histoire de l’Art qui permettait tout au plus jadis au jeune citoyen de gagner au « jeu des mille francs » ou au Trivial aujourd’hui. C’est ce qui produit le contraire d’une attitude contemplative, qui laisserait les élèves dans un état de sidération devant les oeuvres du Patrimoine et dans un état de mépris devant l’Art Contemporain…
Vous dites une « vraie culture vivante »… ?
Vraie, car elle repose sur une alternance entre des pratiques d’ateliers de création et des moments sensibles d’éducation du regard tout comme alternent le lire/écrire, le parler/écouter. C’est cette alternance, accompagnée d’instants d’échanges, qui produit petit à petit les changements de comportements, les progrès des gestes, l’ouverture des esprits enfantins.
Vivante car elle s’appuie sur la construction de résonances entre des oeuvres d’hier ou d’aujourd’hui, rencontrées en classe ou dans des lieux culturels proches, seul ou à plusieurs. Mais surtout vivante car elle propose de créer des liens entre différents domaines culturels. Une peinture convoque un texte littéraire, qui renvoie à un spectacle de théâtre, qui fait penser à un film… et tout cet ensemble témoigne d’une époque, exprime une préoccupation, enrichit la pensée collective.
Ces nouveaux programmes ne comportent que quelques lignes pour les arts visuels, quand tous les maîtres affirment que ce domaine est un levier puissant pour les élèves en grande difficulté, ceux là même dont les nouveaux programmes visent à réduire le nombre. Les arts visuels offrent un moyen d’expression fort et un lieu de reconnaissance scolaire quand Lire, Écrire est encore trop difficile. Il génère de l’estime de soi , de la confiance pour partir à la conquête de la maîtrise de la langue.
Réfléchir, se questionner, comparer, analyser, comprendre autant d’actions initiées autour des images qui sont réinvesties autour des textes. Les échanges permettent à chaque élève de se construire de façon unique mais aussi à tous de construire ensemble, par l’esprit comme dans le geste dans les ateliers cette vraie culture commune.
Ce qui est prévu pour la maternelle vous fait aussi réagir, mais pour les autres cycles ?…
Pour l’Ecole maternelle, les mots se suffisent : « Utiliser le dessin comme moyen d’expression et de représentation »... quand le « gribouillage » est de fait encore à l’ordre du jour jusqu’au bon milieu de la moyenne section. Le dessin d’intention ne prendra place que quand le cognitif sera prêt.
« Adapter son geste aux contraintes matérielles »… quand l’acte de création ( réaliser une composition en plan ou en volume selon un désir exprimé) c’est apprendre à contraindre les matériaux et les médiums pour laisser les traces voulues sur la toile par exemple.
« Observer et décrire les oeuvres du Patrimoine »… Quid de la construction du regard sensible? Quid de l’Art Contemporain? Observer et décrire n’est-ce pas réduire ce premier contact aux oeuvres quand on peut se mesurer à l’oeuvre, l’interroger, donner son interprétation, émettre des hypothèses sur la technique employée, en percevoir la matière, comprendre le geste et l’intention de l’artiste ?
« Construire des collections ». Comment n’avoir ne serait-ce qu’une petite idée du concept sans aller au musée … aucune structure culturelle n’est citée… Aucun partenariat évoqué. Va-t-on traiter la notion de collection par le biais des mathématiques ?
Quelques lignes pour le CP, CE1 qui engagent vers des ateliers d’ expression par le modelage, le dessin et la peinture. Comment se limiter à cela quand créer des images, des objets ? Quid du collage, de la gravure, des différentes techniques de sculpture, de la pratique contemporaine de l’installation, de la pratique de la photographie,de la vidéo et du cinéma… Comment peut -on distinguer des grands domaines de la création artistique ( sept domaines seulement disparition du design, de l’architecture, de l’art des jardins…) sans une pratique d’atelier riche qui permet de cerner les domaines et les procédés propres à chacun des domaines. Comment fournir une « définition très simple de différents métiers artistiques sans avoir aucun contact avec les artistes ?
Quelques mots ( et non plus quelques lignes) pour le CE2, CM1, CM2 qui réaffirment l’attachement à la seule pratique du dessin, encore du dessin et toujours du dessin… Cela va sans doute satisfaire les angoissés de la tache sur le pull, du pot de gouache à terre mais frustrer complètement les élèves pour qui la variété des techniques peinture, collage, assemblage, moulage… garantissait des séances d’arts visuels dynamiques, motivantes et constructives.
Une liste d’oeuvres se plaque à ces quelques mots comme un clin d’oeil aux programmes de 2002 et à leur document d’application.
Ce ne sont donc que « quelques lignes » mais qui réduisent à peau de chagrin les enjeux de cette discipline. Cela risque de peser lourd sur les pratiques culturelles de l’école plus généralement.
Les enjeux de l’enseignement artistique sont pourtant majeurs dans la construction de l’ enfant. Ce sont ces enjeux, si précisément ciblés dans les programmes précédents que ce texte, lui, semble totalement abandonner. L’abandon de la richesse des possibles de la discipline est profondément alertant.
La pratique culturelle c’est le ciment du socle commun, c’est la garantie de la construction du « citoyen libre et éclairé » que l’on ne peut devenir sans apprendre à penser.
Pourtant, les programmes de 2002 ne vont pas de soi pour les enseignants ? Ils leur posent difficultés ?
C’est vrai. Ces programmes étaient dans la lignée du Plan Art et Culture de 2000. En ce sens, ils posaient des problèmes de formation, parce qu’ils ouvraient sur une diversité artistique à mettre en oeuvre dans les classes, demandaient de faire entrer les élèves dans de réelles situations créatrices, tout en construisant des compétences d’esprit critique, de sensibilité. Les classes à PAC obligeaient les enseignants à se poser les questions du partenariat avec des structures cutlurelles, en travaillant le même objet. C’est une source d’enrichissement, mais de difficultés, parce que cela demande un investissement important. Souvent, j’ai vu des écoles se mettre à oser faire ce que leurs voisins avaient mis en œuvre l’année précédente, alors que les précédents prenaient une année pour souffler… et prendre les bénéfices du travail mené l’année précédente. Ce qu’on peut dire, c’est que la lettre de ces programmes de 2002 est encore loin d’irriguer toutes les classes. Pour celà, il faudrait que les moyens de diffusion de ces démarches, les crédits, la formation soient organisés à dose moins homéopatique… Certaines années, nous avons été jusqu’à 400 pré-projets déposés par les écoles, et ça a baissé progressivement à partir de 2005. Pourtant, on avait là tous les moyens d’une ouverture de l’école…
Patricia Lamouche CPAV- coordinatrice Ecole et Cinéma 89.