« On me présente à tort comme un traditionaliste ». Cette phrase de Xavier Darcos devient crédible à la lecture des « points de convergence » rédigés par le ministère pour cadrer la discussion (on n’ose plus dire la négociation) avec les syndicats et que la plupart d’entre eux ont accepté de signer.
Le ministre y présente une série de mesures qui ne peuvent que nous être sympathiques.
Le document annonce « une nouvelle conception du métier » qui prendrait en considération « la diversité des situations éducatives » et le travail en équipe; du coté des enseignements « une nouvelle approche de l’organisation des études pour les lycéens » avec « une souplesse plus grande des parcours offerts » et une organisation modulaire. Enfin le document évoque une autonomie renforcée pour les établissements.
A partir de là les commentateurs s’interrogent pour savoir si c’est le modèle québécois ou le modèle finlandais qui a inspiré davantage X. Darcos. Ce qui apparaît c’est que le lycée français semble s’engager dans une réforme qui l’amènerait à s’aligner sur les établissements équivalents de nombreux autres pays développés : des élèves plus autonomes et libres choisissant des parcours diversifiés et personnalisés. On pourra s’en rendre compte en découvrant dans ce numéro les lycées finlandais, américain et anglais, tels que nous les présentent les meilleurs spécialistes (Paul Robert, Denis Meuret et Jeanny Prat). Et en lisant Philippe Meirieu qui a lui l’expérience du sujet. Puisque le ministre aime le mot « aggiornamento », on en aurait là un bel exemple.
Et ce ne serait pas la première fois que de fortes contraintes extérieures, dans ce cas précis celles du budget, permettent des avancées positives.
Mais les conditions pour une authentique réforme du lycée sont-elles réunies ?
Parmi les nombreux obstacles présents sur la route, quelques uns semblent difficiles à surmonter.
Et d’abord l’absence de volonté politique. Pas celle de Xavier Darcos. C’est l’Elysée qui compte et ses errances. Là a-t-on la volonté de bâtir un lycée réellement nouveau ? Il semble plutôt que la place soit occupée par les lobbys les plus conservateurs au point que le mot « pédagogue » est devenu une insulte.
Le ministre a-t-il le temps de construire une réelle réforme ? Son poids politique propre semble insuffisant pour garantir qu’il termine une deuxième année rue de Grenelle. Or rien ne serait pire qu’une réforme précipitée.
Il y a-t-il une cohérence entre la réforme du lycée et les autres chantiers éducatifs ouverts par X. Darcos ? On voit bien que non. On ne peut pas éduquer les jeunes dans la transmission, la reproduction et l’obéissance et leur demander tout à coup à 15 ans de devenir suffisamment autonomes pour bénéficier pleinement d’un nouveau lycée. Parallèlement, la réforme de la formation laisse envisager qu’on envoie des étudiants diplômés directement en lycée. Ca ne garantit pas qu’ils sachent accompagner des projets et des élèves autonomes.
Le ministre peut-il compter sur les personnels et les cadres intermédiaires sans lesquels il est vain de tenter le changement ? Je laisse chacun en juger.
Le ministre peut-il compter sur l’appui des collectivités locales ? Puisque les régions non seulement financent mais aussi sont en charge de la formation, aucune réforme n’est possible sans elles. Or on ne sache pas non plus que sur ce terrain le ministre puisse compter sur des appuis.
C’est ce qui nourrit la crainte que cette réforme se réduise simplement à un ajustement par le bas du bon vieux lycée qui permette de dégager les milliers de postes (au moins 20 000 par an) que le boulevard de Bercy exige de la rue de Grenelle.
Or maintenir le lycée à l’ancienne simplement en en réduisant le volume horaire ne fera que le rendre moins efficace et pousser davantage les enfants des « bonnes » familles ailleurs. Tant pis pour les autres…
François Jarraud