Par Lucie Gillet
Prof d’EPS, Serge Court enseigne depuis 16 ans au lycée Livet à Nantes, entre les cours et l’UNSS depuis 3 ans, il prend aussi en charge sur son temps de service une option intitulée « Arts du spectacle vivant », option dont il est le maître d’œuvre tant dans l’organisation que pour les contenus abordés. La majorité des élèves qui bénéficient de cette option s’inscrit dans le projet d’un rendez-vous annuel avec le Festival d’Avignon.
Cette option « Arts du spectacle vivant » est unique en son genre, comment est venue l’idée de la créer ?
C’est une longue histoire, j’ai créé il y a 16 ans « le Livet Circus », un atelier en Arts du Cirque. Dans le cadre d’un lycée technologique, c’était le moyen de faire entrer la pratique culturelle par le biais du Cirque dans un lycée de garçons (90 pour cent des élèves…). Mon choix modélisé a été le cirque du Soleil et le cirque Plume. C’était le début du cirque contemporain et j’ai utilisé ce mouvement contestataire culturel au service des jeunes pour leur proposer une orientation artistique différente. Cet atelier est offert dans le cadre de l’UNSS.
Au fil des années, j’ai mis en place une option « arts du spectacle vivant »qui permet à des élèves de suivre un enseignement théorique sur le spectacle et d’aller à 11 spectacles durant l’année dans les grandes salles de l’agglomération nantaise (le Lieu Unique, le Grand T, etc…..).
Le contenu des cours de l’option était cette année étroitement lié aux spectacles vus avec les élèves ; Pour chacun des spectacles, je leur apportais un enseignement où étaient présentés les grands courants en situant tel spectacle par rapport à des filiations ou encore des apports théoriques spécifiques comme le traitement de la scénographie dans un spectacle par exemple.
Le but en terme de contenu d’apprentissage est de développer des capacités argumentaires d’analyse, de dépasser le « j’aime » du spectateur lambda pour travailler le regard critique en étant outillé pour ça. On confronte des ressentis, on fait émerger des désaccords artistiques éventuels, on débat. C’est très proche des compétences développées dans le cadre d’un enseignement en philosophie par exemple.
Les « cours » sont donc organisés autour de mes apports et recherches en fonction du spectacle vu et également de rencontres avec metteurs en scène ou comédiens de quelques spectacles (4 sur les 11 vus dans l’année), là, encore, il s’agit de pouvoir discuter, « décoder » le travail des professionnels du spectacle, et nécessite un travail en amont pour savoir quelles seront nos attentes lors de la rencontre. Comme les cours ont lieu en fin de journée ou sur des samedis (le volume horaire est annualisé), je veux que ce soit un temps où les élèves soient au maximum acteurs, ce n’est pas la prise de note qui est intéressante, nous analysons à partir de supports DVD, à partir des spectacles vus, des dernières rencontres effectuées. Ensuite je communique aux élèves tous les apports théoriques formulés en séance, par mail, pour qu’ils en aient la trace.
Mais je réfléchis à comment je vais organiser ces contenus l’an prochain pour assurer une plus grande cohérence, rien n’est figé et il me semble intéressant de travailler par entrées thématiques, on pourrait par exemple comparer l’entrée clownesque en cirque traditionnel et en cirque contemporain pour dégager des similitudes…
Un stage avec Philippe Ménard, de la compagnie « Non Nova » pour travailler sur le corps et son utilisation, a été également l’un des grands temps forts de cette année, puisqu’avec cet artiste, les élèves ont été confrontés à une « leçon de vie ». Et pour moi, en tant qu’enseignant, une prise de conscience aussi au détour d’une petite phrase sur la place des souvenirs, je me rends compte que plus ça va, moins je suis nostalgique. J’arrête de regarder derrière et, chaque jour, je remets en question pour faire aujourd’hui. Cette option me bouscule aussi dans ma façon d’enseigner, d’aller voir les spectacles. J’ai de moins en moins de certitudes.
Quels sont les élèves qui participent à cette option ?
Chaque année, je sollicite mes collègues d’EPS d’abord puis les autres éventuellement, pour pouvoir présenter l’option en fin d’année à toutes les classes du lycée, mais celle-ci est facultative, ne compte pas pour le Bac, seule la note obtenue figure dans le livret scolaire. Les élèves sont issus de diverses sections : scientifiques, électrotechniques, électroniques, génie mécanique, arts appliqués. Ils reçoivent en fin de cursus une attestation du suivi de cette option qui peut être un plus selon le cursus qu’ils envisagent. Pour les évaluer ils ont des sujets écrits à travailler chez eux, l’idée n’est pas de valider leur aptitude à réciter un cours mais proposer un sujet dans lequel ils vont devoir mobiliser les contenus dont on a parlé ensemble.
En tant que prof d’EPS, pourquoi s’embarquer dans un tel projet ?
En tant que prof d’EPS, le corps reste ma finalité éducative. Les Arts du Cirque mêlent à la fois une pratique physique (sportive) et artistique (théâtre, danse, etc.). Cela me permet d’aborder d’autres pratiques culturelles que le sport.
En plus, je défends aussi que le lycée est un lieu de vie, un endroit que le lycéen doit pouvoir s’approprier pour mener ses projets et se cultiver dans tous les sens du terme. C’est mon métier d’enseignant de les y aider. Je peux critiquer telle ou telle orientation prise en politique éducative, mais ma mission d’enseignant est d’offrir du contenu de qualité aux élèves. Être un adulte référent c’est aussi ça que ça veut dire.
Et puis, mettre en place une telle option, cela me force aussi à bousculer mes propres pratiques, ma propre façon de voir des spectacles. J’ai du, moi-même, sortir de ce que j’ai l’habitude d’aller voir pour proposer aux élèves des spectacles variés, je ne leur apporte pas « la bonne parole » mais on se questionne ensemble. Je me suis appuyé sur les professionnels que sont les programmateurs de salle pour choisir avec eux un panel significatif. L’an prochain, comme certains élèves vont poursuivre l’option, ils sont associés au choix des spectacles et quelques uns viendront eux-aussi rencontrer les programmateurs.
J’estime que l’accès à la culture artistique est une nécessité au regard de la contre culture représentée par la télévision et la presse gratuite…. Ce n’est pas simplement aller au spectacle mais c’est une démarche intellectuelle qui va traduire des questionnements sur les spectacles vus (par rapport aux rencontres avec les artistes), une démarche réflexive sur l’ensemble des processus de créations, de mises en scènes etc…
Et le projet spécifique qui vous emmène pour 15 jours en Avignon, comment se décline-t-il ?
C’est un projet parallèle à l’option dans la mesure où la majorité des élèves qui y participe est issue de cette option (mais pas tous les élèves, s’inscrire à l’option ne conditionne pas un engagement à aller au festival). J’ai la volonté d’instituer un rendez-vous chaque année du lycée Livet avec le festival. Nous nous y sommes déjà rendus deux fois, nous serons présents en 2011 et j’ai également un projet qui émerge pour 2012. Chaque année, c’est une thématique différente qui nous porte dans une aventure exceptionnelle où nous allons poursuivre cet accompagnement culturel et l’analyse, faire vivre une création, vivre ensemble. Pour le lycéen participant, c’est l’occasion de s’exprimer et développer des compétences dans quatre champs bien distincts, en tant qu’artiste/acteur au festival, en tant que spectateur , en tant qu’animateur/formateur , en tant que citoyen. Selon les années et les problématiques en cours avec le groupe participant, évidemment, tel ou tel champ est plus ou moins développé, mais tous sont travaillés à chaque édition :
En 2010, chaque matin, les lycéens encadraient des ateliers pour initier des enfants de 6 à 9 ans au cirque, dans le cadre d’un partenariat avec les Français du Vaucluse. Ils venaient également présenter une déambulation urbaine, une parade intitulée « Des bâtons dans les rues » travaillée tout au long de l’année scolaire, mais à laquelle ils associaient sur le temps du festival les enfants des ateliers du matin (avec la nécessité de travailler cette collaboration), ils allaient assister à quelques spectacles pour poursuivre ce travail d’analyse critique, et d’une manière générale le » vivre ensemble » est la clé de la cohésion du groupe, on travaille aussi sur le fait que l’on représente le lycée, une ville, une région et qu’on défend donc une certaine image.
En 2011, le projet s’articule autour de l’affiche de théâtre en milieu urbain. A l’issue du festival, les élèves devront avoir réuni de la matière pour produire une exposition montrable dès septembre. Les lycéens seront acteurs du festival par le biais de la tenue d’un blog au quotidien, il leur faudra être réactif pour rebondir sur chaque opportunité de rencontre d’un artiste ou le témoignage d’un spectateur anonyme et saisir sur le vif des bribes du festival. Certains seront chargés des prises de vues photographiques, d’autres lycéens s’inscrivent pour un travail de croquis, d’autres pour un travail d’écriture sur le blog créé par les élèves. Chaque jour, un conseil se réunira pour choisir la matière retenue pour l’expo qui devra être prête en septembre. Je proposerai aux élèves de travailler la technique de crieur de rue sous forme d’un temps de stage et peut être aurons-nous également l’occasion de nous « produire » sous cette forme dans le off du festival. Comme pour chaque édition, les élèves assisteront à un panel de spectacles. Je choisis ceux-ci souvent en fonction des lieux dans lesquels ils sont diffusés afin d’avoir un échantillon assez représentatif de la sélection.
Pour 2012 je pose les bases d’un travail en collaboration qui réunira les lycéens et d’autres jeunes de 16 à 19 ans handicapés, scolarisés dans un IEM. Le but sera de « faire corps commun » pour produire une création contemporaine jouée dans le cadre du off, et d’aller également voir les spectacles avec l’ensemble de ces jeunes valides ou non.
On perçoit bien l’aspect enthousiasmant de la dynamique, quels en sont les écueils, ce qui ne marche pas toujours comme prévu ?
J’ai l’habitude de comparer le métier d’enseignant avec celui d’intermittent du spectacle, pas pour l’aspect précarité, mais sur le fait que l’on doit toujours repartir dans une nouvelle dynamique, s’adapter à son public, aux jeunes qui composent le groupe. C’est certain, il y a des moments d’usure, les contretemps, l’aspect organisationnel des choses qui mangent beaucoup d’énergie. Je peux également être très remonté quand des élèves ne viennent pas assister à un spectacle (le coup de celui-ci est pris en charge par le lycée), c’est pour moi inadmissible et je le signifie, ça peut arriver. J’essaie de varier ma façon de présenter l’option, mais j’ai toujours peur de passer « à côté » d’un élève qui aurait pu être intéressé et serait intéressant. Cela m’est arrivé cette année, un lycéen qui ne s’est pas inscrit à l’option (alors qu’il pratique les ateliers cirques) alors qu’il est très pertinent dans ses analyses.
Quelquefois selon le degré de maturité des élèves et selon la difficulté d’accès du spectacle, il peut leur être difficile de se décentrer de leur émotion première pour accepter de jouer le jeu du parti pris du metteur en scène et « entrer dedans » le temps du spectacle, même si ça ne nous plaît pas. Mais ça se travaille. A côté de cela, c’est très gratifiant de les voir évoluer dans leurs capacités à analyser, à produire aussi quand je leur propose des situations façon « exercice de style ».
Et du côté du lycée, comment est perçue la démarche ?
J’ai toujours été soutenu par la direction du lycée, tant financièrement que du point de vue éducatif. Avec le temps, j’ai une certaine légitimité pour monter ces projets. Mais je suis assez isolé. Si j’arrête, tout s’arrête également.
Et participer au forum ?
J’ai regardé les projets présentés, il y a des choses vraiment intéressantes et j’ai hâte de rencontrer les collègues pour échanger avec eux, en particulier avec ceux de ma discipline, l’EPS.
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