Pierre Frackowiak, inspecteur honoraire, revient sur la question de la formation des enseignants et sur la façon dont elle est mise en œuvre actuellement. « On sait que la formation sur le tas fait l’impasse sur toute une série de savoirs nécessaires : la psychologie des enfants et des jeunes, le développement des apprentissages et le fonctionnement du cerveau, l’histoire de l’école, la sociologie, la pédagogie. Certes la formation précédente en IUFM était trop légère et insuffisante. De là à la supprimer intégralement comme c’est le cas, il y a un gouffre dans lequel le système éducatif va plonger allégrement avec la complicité de prétendus experts zélés faisant fi du stress croissant des enseignants ».
Dans une tribune précédente (0), reprise sur de nombreux sites et sur divers médias, je mettais en évidence les erreurs fondamentales de la nouvelle politique de formation des enseignants et ses dangers pour l’avenir de l’école et de la société. L’accumulation de réactions, de témoignages, de documents reçus me permet de compléter ma réflexion et de démontrer que les dispositions prises sur le terrain dans ce domaine représentent une nouvelle supercherie.
Face à la contestation malheureusement tardive, des cadres zélés tentent d’expliquer aux enseignants et à l’opinion publique qu’il s’agit d’une « refonte » de la formation alors que tous les observateurs objectifs sérieux considèrent qu’il s’agit plutôt d’une « fonte » et d’une suppression de fait, car les dispositifs prévus pour dissimuler le mauvais coup porté à l’école ne résistent pas à l’analyse.
Le fait est que l’objectif essentiel du ministère était de contribuer à la réduction de la dépense publique : 16 000 postes de fonctionnaires stagiaires supprimés d’un coup, IUFM supprimés à court terme, en s’appuyant sur un crédo répandu insidieusement ou autoritairement, déniant la pédagogie. Effectivement, si la pédagogie n’existe pas, il n’y a pas besoin de formation, il suffit de reproduire des modèles, généralement ceux que l’on a vécus comme élève et que l’on a reproduits en jouant à la maîtresse d’école, et d’avoir du talent, du charisme ou un pouvoir de séduction pour résoudre tous les problèmes.
De la même manière que pour dissimuler la supercherie de l’aide individualisée (1), on confie à des groupes de « pilotes », « d’experts », le montage d’usines à gaz, de plans technocratiques, de power point sophistiqués, de tableaux et d’enquêtes, auxquels personne ne comprend rien mais qui donnent une apparence de modernité et de sérieux. Le « canada dry de la formation » peut sauver provisoirement les apparences, ce qui peut suffire dans une perspective électorale à court terme, mais qui présente des risques énormes à plus long terme. Que les recteurs et les inspecteurs d’académie fassent de la propagande pour les politiques ministérielles, c’est dans l’ordre des choses. Que l’encadrement intermédiaire, inspecteurs et principaux, au contact quotidien des réalités, au contact direct des personnels qui souffrent et s’inquiètent, relaie ou renforce leurs discours, fourbisse les outils de la supercherie, au nom d’une loyauté qui confine à la servilité, pose problème. A moins de penser qu’en cas d’alternance ou de nouveau projet éducatif, ils soient en mesure de faire preuve d’un zèle équivalent. Il faut savoir toutefois que leur volte-face par rapport aux politiques menées de 1970 à 2002 qu’ils ont pourtant portées, leur a fait perdre une part importante, voire la totalité, de leur crédit, de leur influence et de la confiance des enseignants.
L’exemple de l’usine à gaz mise au point par une équipe d’experts d’une inspection académique parmi d’autres est lumineux. Le plan d’accompagnement des professeurs stagiaires comprend 17 pages, pèse 147 kilo octets… Il est inutilisable. Il est complètement en dehors des réalités. Il est technocratique à souhait… Il soulève des tonnes de protestations et d’annonces de contournement, de rejets, d’éclats de rire, de haussements d’épaules et d’amertume. Comment peut-on ignorer à ce point l’humain, le réel, l’importance des conditions des apprentissages ?
La pièce jointe ci-dessous, 8 kilo octets parmi les 147 du dossier, est à elle seule révélatrice.
La première réaction spontanée d’un formateur à la réception de l’ensemble a été l’effarement : « Pour ce qui nous est imposé au niveau de la « dé-formation » des jeunes, je suis vraiment plus qu’inquiet Je suis dans l’incapacité totale de comprendre ce qui est attendu… Les documents proposés sont parfaitement inutiles, inaccessibles pour certains. Je ne vois pas comment nous allons pouvoir nous servir de tout cela ». D’autres, moins polis, déclarent simplement : « Ils sont devenus fous », me faisant irrésistiblement penser au titre d’un des livres majeurs de Philippe Meirieu (2) , écrit avec Michel Develay : « Emile, reviens vite… ils sont devenus fous ». Ils n’ont pas tort. A la lecture de ces fiches, on a l’impression que leurs auteurs n’ont jamais fait l’école, qu’ils ne savent pas faire l’école, qu’ils fonctionnent complètement dans l’abstrait, ignorant les réalités, les représentations, les élèves, les contraintes, les obstacles, les états d’âme. La plupart seraient bien incapables de faire ce qu’ils attendent des stagiaires et de leur montrer. Il serait fort intéressant de les mettre au défi de le faire. Philippe Meirieu m’expliquait il y a déjà bien longtemps que la meilleure manière de montrer que l’on est expert, c’est de prendre la classe. Il avait raison. Aujourd’hui, on est aux antipodes de cette vérité. On devient expert si l’on est capable de fabriquer des power point glorifiant les politiques ministérielles.
Les experts prennent un référentiel de compétences qui a été élaboré pour définir les objectifs d’une formation initiale d’une année au moins, et d’une formation continue. Pour satisfaire au contrôle des dix compétences fixées, il était admis qu’il fallait une formation initiale de haut niveau, comprenant des cours et des stages, prenant en compte l’exigence difficile, jamais vraiment réalisée faute de formation de formateurs, d’une articulation forte entre pratique et théorie. Ils prennent le même outil pour « accompagner » des enseignants plongés dans l’huile bouillante sans la moindre formation. C’est la formation sur le tas.
Les « accompagnateurs » n’auront pas la tâche facile : peu de temps pour les dialogues, mauvaises conditions matérielles de communication (pendant la récréation, dans le couloir, ou en présence des enfants avec un niveau sonore qui grimpe vite…), incompréhension du discours des formateurs faute de langage commun, de savoirs pédagogiques de base, de culture sur l’éducation … Le dialogue est impossible. La tendance naturelle que l’on ne saurait reprocher aux formateurs dans un tel contexte est de jouer à l’inspecteur comme le stagiaire essaie de jouer à l’enseignant. On observe une séquence ou plusieurs, on critique et on fait des recommandations. Il s’agit rarement de conseils. Tout ce qui est présenté sous la forme de « aurait du, aurait pu, devrait, devra… » est de l’ordre de la critique, attachée à des observations factuelles ponctuelles et non à un effort de problématisation et de recherche commune formateur/formé. Les stagiaires sortent toujours démolis de ces épreuves avec une envie de crier « cause toujours ! » et de rechercher ailleurs des solutions pour simplement survivre.
Lorsque, pour remédier aux faiblesses qui ne peuvent que s’aggraver, on place les stagiaires en observation dans des classes, c’est pour mettre en œuvre mécaniquement « le modèle applicationniste » que j’ai décrit dans divers ouvrages : on observe, on note le déroulement, quelques trucs… et on est censé devoir reproduire, appliquer (d’où le terme ancien « école d’application »). On n’y parvient d’ailleurs jamais car c’est impossible, puisque le stagiaire n’est pas le maître et que les élèves ne sont pas les mêmes avec le stagiaire qu’avec le maître. On fait le pari qu’avec l’expérience, les années, le stagiaire parviendra à progresser, mais, avec les publics scolaires d’aujourd’hui, c’est toujours un pari perdu. Comme les formateurs ont une tendance naturelle à faire preuve de fermeté, d’une grande assurance, d’exigences incomprises, parfois même d’autoritarisme, les dégâts peuvent être considérables.
On sait que la formation sur le tas fait l’impasse totale sur la liaison théorie/pratique qui est déterminante dans l’efficacité de l’acte pédagogique. Cet objectif est impossible à atteindre sans formation initiale et sans reformation des formateurs.
On sait que la formation sur le tas fait l’impasse sur toute une série de savoirs nécessaires : la psychologie des enfants et des jeunes, le développement des apprentissages et le fonctionnement du cerveau, l’histoire de l’école, la sociologie, la pédagogie. Certes la formation précédente en IUFM était trop légère et insuffisante. De là à la supprimer intégralement comme c’est le cas, il y a un gouffre dans lequel le système éducatif va plonger allégrement avec la complicité de prétendus experts zélés faisant fi du stress croissant des enseignants.
En fait, les objectifs du ministère sont d’abord budgétaires et idéologiques. Ils sont fondés sur le déni de la pédagogie qui saute aux yeux depuis 2007 à travers les programmes, la technicisation, l’évaluationnite aigue, l’aide individualisée censée donner un voile de bonne conscience à l’ensemble, le renforcement de la place des disciplines scolaires traditionnelles cloisonnées, le pilotage par les résultats transposé de la banque et de l’industrie à l’école.
A chacun de se débrouiller pour survivre
Essayez de prendre une classe de 25 ou 30 élèves, même si vous avez bac + 3 ou 4 ou 5, avec des élèves qui apprennent plus sur Internet et dans la rue qu’à l’école, qui ne comprennent rien aux apprentissages scolaires même quand ils sont de milieux dits favorisés, qui attendent l’heure de la sortie… Essayez de « faire cours » : présentation d’une notion, explications magistrales utilisant un questionnement fermé inducteur, exercices d’application, contrôle… Et vous verrez. Vous attendrez vous aussi avec angoisse l’heure de la sortie !
Demandez alors aux décideurs et à l’encadrement de faire !
Le métier d’enseignant est de plus en plus complexe. Il exige de la formation professionnelle (3) vraie, initiale et continue, avec des formateurs compétents formés eux-mêmes à l’analyse des pratiques, experts des apprentissages, et non des technocrates scrutant les résultats des évaluations en étant incapables de les mettre en rapport avec les pratiques qui les produisent, et non des maîtres chevronnés dont l’attente naturelle est de voir appliquer leurs propres pratiques considérées comme performantes puisque ce sont les leurs. Il exige un accompagnement, humain, repensé qui ne soit pas de l’évaluation/remédiation. Il exige de l’écoute, du partage, de l’enthousiasme, de l’intelligence et de la liberté…
« On peut mourir de deux manières, disait un jour H. Desroche, par excès ou par défaut d’utopie ». Et il est vrai, qu’il est des enseignants qui, au regard de tels projets, ne peuvent plus guère supporter la médiocrité du quotidien. Certains finissent même par en mourir. Il y en a plus qu’on ne croit, dans ces cohortes de jeunes instituteurs et professeurs qui débarquent chaque année dans les établissements scolaires, qui ‘éteignent ainsi doucement, en se laissant en quelques sorte happer en quelques mois par l’entropie scolaire ou bien, brutalement, dans un geste dérisoire ou terrible dont le bruit est vite absorbé par l’ouate institutionnelle. Il en est aussi qui hantent les couloirs sans apercevoir à l’horizon le moindre possible, sans rien d’autre où accrocher leur regard dans la routine scolaire, que la perspective des vacances. La triste répétition du même cours, les corrections fastidieuses, la solitude et l’incompréhension, un petit goût d’absurdité reste leur lot quotidien et ils n’imaginent pas qu’il puisse en être autrement.
Peut-être toutefois, est-ce trop demander à la « pyramide hiérarchique » qu’elle nous fournisse des raisons de vivre ? Mais au moins peut-on attendre qu’elle nous en donne d’espérer. »
Ce texte écrit en 1989 (4), légèrement adapté (il parlait des instructions officielles au lieu de la pyramide hiérarchique) est aujourd’hui d’une actualité brûlante comme le bain dans lequel on plonge les nouveaux enseignants sans formation.
Il n’y a aucune raison d’espérer aujourd’hui. On le constate en observant le scepticisme généralisé, la crainte de voir des enseignants fuir rapidement leur poste, la difficulté à recruter des tuteurs, contraignant l’encadrement à faire pression sur des jeunes enseignants peu expérimentés pour en faire des formateurs, les efforts faits pour maîtriser la communication : choix des stagiaires qui rencontrent les autorités et les journalistes et briefing intensif, parfois menaçant…
Il y a cent raisons de s’inquiéter.
Il y a mille raisons d’agir pour exiger un véritable projet éducatif moderne, humain, généreux, démocratique pour les 20 ou 30 ans qui viennent, susceptible de mobiliser la plus large majorité possible de la Nation.
Pierre Frackowiak
Notes :
(0) voir :
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/09/Frackowiak_Supprimerformation.aspx
(1) On sait que le système « détection précise de la panne/réparation » fonctionne pour l’automobile mais ne peut pas fonctionner sur les apprentissages. Remédier ce qui n’a pas été « médié » n’a pas de sens. Ajouter des exercices et des explications magistrales à ce qui n’a pas été construit, c’est comme faire ingurgiter de force une cuillère d’huile de foie de morue à un enfant qui vomit dès qu’il en sent l’odeur. Aujourd’hui, même les rares syndicats qui avaient approuvé cette mesure reconnaissent qu’elle est inefficace et qu’elle engendre un surcroît de fatigue chez les élèves et les enseignants.
(2) ESF, 1992
(3) A ne pas confondre avec la formation disciplinaire
(4) Enseigner, scénario pour un métier nouveau. ESF 1989.
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Fiche d’évaluation actuelle d’un stagiaire :
Accompagnement de l’entrée dans le métier des professeurs des écoles stagiaires
Guide d’élaboration du compte rendu de stage ou de visite
Nom, prénom du professeur stagiaire
Ecole Circonscription
Niveau de classe Effectif
Nom du conseiller pédagogique
Date et n° de la visite Période de stage du au
Posture professionnelle
Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable (C1)
– Relation maîtres /élèves, utilisation de la sanction avec discernement
– Intégration au sein de l’équipe enseignante / directeur
– Sérieux des services/ sécurité lors des sorties
Maitriser la langue française pour enseigner et communiquer (C2)
– Langage oral (formulation, niveau de langue)
– Langage écrit (documents du PE)
Maîtriser les disciplines et avoir une bonne culture générale (C3)
– Recherche documentaire en amont
– Maîtrise des contenus, conformité aux programmes
Outils de pilotage pédagogique
(de l’enseignant, des élèves)
Concevoir et mettre en œuvre son enseignement (C4)
Prise en compte de la diversité des élèves (C6)
Regard sur le choix des outils du PE, justification quant à ces choix : cahier journal, préparations (situations adaptées au cycle, aux élèves,
prise en compte de la différenciation, définition cohérente des objectifs d’apprentissage, projet de classe, progressions, programmations,
manuels utilisés, cahiers mis en place…..)
Communication – relationnel – vie de classe
Maitriser la langue française pour enseigner et communiquer (C2)
Maîtriser les TICE (C8)
Travailler en équipe et coopérer avec les parents et les partenaires de l’école (C9)
Mode de communication (de proximité, individualisé voire personnalisé, collectif)
Place de la parole de l’élève
Place et rôle du maître
Utilisation des outils de communication (tableau, Tuic, affichage collectif…)
Analyse didactique et pédagogique de la séance
Maîtrise des disciplines et culture générale (C3)
Concevoir et mettre en oeuvre son enseignement (C4)
Organiser le travail de la classe (C5)
Evaluer les élèves (C7)
Se former et innover (C10)
A compléter à l’issue de l’entretien :
– Rappel du contexte (PE, classe, école, réussites et difficultés repérées…)
– Implication et pertinence du PE dans l’analyse de la séance décentration
Réussites
Objectifs prioritaires à atteindre
Contrat : déterminer 3 axes de progrès avec le PE