La motivation, l’ambition et surtout l’ardeur au travail sont des qualités largement indépendantes du milieu. Les élèves de familles peu favorisées savent en faire preuve… C’est ce dont témoigne Sylvain Gressot, proviseur.
Né en 1953, ancien élève de l’ENS, Sylvain Gressot a commencé sa carrière comme professeur de Lettres à Paris. Il s’est ensuite tourné vers l’entreprise au service parascolaire des éditions Hachette. De retour à l’Education nationale dès 1993, il a exercé aussi bien en ZEP et est proviseur à Paris au lycée Lavoisier depuis 2005
Que vous inspirent les propos prétendant que quelques lycées de Paris n’ont que peu de mérite d’obtenir de bons résultats compte tenu des origines socioculturelles favorables de leurs élèves ?
Globalement, ces propos semblent fondés, à Paris comme ailleurs ; ils appellent cependant des nuances car les enjeux sont plus complexes qu’il n’y paraît. L’argumentation mériterait un long propos. Faisons bref au risque d’être quelque peu caricatural…
D’emblée, force est de constater que le système parisien d’affectation informatisée des élèves en 2nde (Affelnet) ne favorise pas assez la mixité socioculturelle. Il octroie en effet à chaque candidat un bonus de proximité de 600 points s’il appartient au district de l’établissement (autrement dit si ses parent logent tout près ou dans des arrondissements contigus), 600 autres points étant basés sur les résultats en 3ème. La domiciliation dans un quartier, le prix du mètre carré, donc la sélection sociale (certaines agences immobilières allant jusqu’à pratiquer un supplément de prix pour proximité avec tel ou tel lycée) pèsent donc pour 50% dans le devenir de l’élève ! En conséquence, un élève brillant d’un quartier défavorisé du nord-est parisien n’a aucune chance de franchir la Seine, fut-ce par le pont des Arts… puisqu’il lui manquera 600 points pour être admis dans le lycée de son choix.
Ceci dit, il est indéniable qu’un élève de famille privilégiée bénéficie d’un environnement culturel plus porteur, d’une sorte d’héritage de savoir-faire social qui lui confère une certaine aisance, et de parents qui sont mieux armés pour se mouvoir avec lucidité et efficacité dans les arcanes complexes de notre système éducatif, notamment en matière d’orientation.
S’agit-il d’un déterminisme social inéluctable ?
Le déterminisme n’est heureusement pas absolu. La motivation, l’ambition et, surtout, l’ardeur au travail qui reste le facteur essentiel de la réussite sont des qualités largement indépendantes du milieu. Les élèves de familles peu favorisées savent en faire preuve. Mon expérience en ZEP me l’a amplement confirmé. Inversement, certains élèves de milieu aisé ont tendance à considérer que tout leur est acquis ou, pour le moins, leur est dû : d’où parfois un investissement très relatif qui leur porte préjudice et qui nécessite de la part des équipes pédagogiques une forte mobilisation pour convaincre de la nécessité de l’effort et dynamiser les talents.
Chaque milieu a ses « pathologies » spécifiques. Par exemple, les familles socioculturellement privilégiées exercent souvent une forte pression sur leurs enfants, cumulant pour eux un maximum d’options et de nombreuses activités extra-scolaires, avec l’obsession du résultat, au point près, au risque de les rendre anxieux et malheureux… Ou elles leur imposent la filière scientifique, au détriment de leur sensibilité ou de leurs goût, sous prétexte qu’il n’y a point de salut hors de la « S ». S’y ajoutent parfois des conditions de travail spécifiques aux cadres supérieurs qui éloignent fréquemment les parents du foyer : « l’adulescent » se retrouve alors davantage livré à lui-même dans une période qui requiert pourtant un encadrement familial soutenu.
Peut-on parler d’une spécificité du lycée Lavoisier ?
Trois spécificités caractérisent Lavoisier. La première est quasiment d’ordre géopolitique. Environné par trois établissements (Louis-Le-Grand, Henri IV et le lycée privé Sévigné) qui recrutent leurs élèves en les sélectionnant sur dossiers dès l’entrée en 2nde, Lavoisier, a contrario, ne « choisit » pas son public et revendique pourtant l’excellence, selon un critère républicain : la méritocratie ; il y réussit ! sans « trier » les élèves ni à la source, ni d’une année sur l’autre.
La seconde relève d’une culture-maison : établissement à forte dominante scientifique, il consacre cependant une large part aux humanités et promeut avec conviction, vigueur et succès la filière littéraire.
La troisième, plus récente, se traduit par une ouverture linguistique et culturelle très affirmée. Outre le réseau de belle envergure tissé en Europe, Lavoisier se singularise par deux appariements audacieux, en Inde et en Amérique du Sud, qui donnent lieu à des échanges d’élèves, parfois déstabilisants, toujours enrichissants : l’un avec Sanskritti School de New Delhi, l’autre avec le Colegio nacional de Buenos Aires.
Quelle est la question que l’on vous pose le plus souvent sur le lycée Lavoisier ?
Trois questions reviennent souvent. La première : « Comment faites-vous pour obtenir vos excellents résultats ? ». Réponse : fixer une ligne d’horizon pour chaque élève, associer le principe de plaisir au travail, et disposer d’une équipe pédagogique créative. La seconde : « On m’a dit que c’est un établissement d’esprit familial ; c’est vrai ? ». Réponse : si par familial, vous entendez que votre enfant sera en sécurité et bénéficiera d’une attention bienveillante, c’est exact et la taille raisonnable du lycée favorise ce climat.
La troisième : « Il paraît que vous notez très sévèrement ? ». Réponse : à Lavoisier, le but n’est pas simplement d’obtenir le baccalauréat ; il s’agit de préparer les élèves à un cursus réussi après l’examen : nos exigences sont donc importantes ; mais nous notons « juste », c’est-à-dire sans sévérité excessive mais sans démagogie non plus, ce qui confère en outre une forte crédibilité aux dossiers de nos élèves qui candidatent dans le supérieur.
Propos recueillis par Gilbert Longhi