Peut-on être expert en tout ? Les experts du Centre d’analyse stratégique (CAS), un organisme qui conseille le gouvernement, ont publié le 9 janvier 4 notes d’analyses sur l’Ecole. La première sur le bien-être des élèves fait des propositions où on retrouvera l’écho de politiques antérieures. Pour les trois autres notes, sur le handicap, le soutien scolaire et l’autonomie des établissements, les experts gouvernementaux partent de points de vue curieux, voire atypiques. S’il n’est pas facile de guider l’Ecole, c’est peut-être plus difficile quand on a toujours été bon élève, qu’on intervient dans tant de domaines différents et qu’on aime tant les tableurs et les bases de données…
Pour Vincent Chriqui, directeur général du CAS, l’école française « peine à concilier le principe d’égalité de traitement de tous les élèves et la nécessité de répondre à des besoins particuliers ». C’est ce qui justifie le choix de ces 4 sujets pour lesquels les propositions doivent « favoriser l’inclusion de tous les élèves ».
Partant de données de l’OCDE, le CAS rappelle qu’un tiers des élèves français considère être traités de façon injuste et qu’un tiers seulement aime beaucoup l’école, une proportion qui va d’ailleurs décroissante avec l’âge. Le CAS recommande « des programmes ambitieux pour lutter contre le harcèlement », un sujet en fait déjà largement pris en main par Eric Debarbieux. Le CAS recommande aussi « de nouvelles modalités d’évaluation », un aspect aussi déjà bien balisé par exemple par André Antibi. Le CAS veut aussi que se développent la coopération entre élèves et la réalisation de travaux collectifs longs. Avec la dernière proposition, celle d’une « base de données de bonnes pratiques », les experts du gouvernement retombent dans un créneau qu’ils connaissent mieux mais qui oublie une réalité de ce qu’est l’Ecole, justement le fait que les élèves, les enseignants et les classes sont différents…
La note sur la scolarisation des enfants en situation de handicap part de deux affirmations qui ne feront pas l’unanimité. Pour le CAS, la France n’a pas fait de choix net de scolarisation pour ces enfants, ce qui semble un résumé très simpliste depuis la loi de 2005. Les parents d’enfants handicapés apprécieront aussi l’affirmation selon laquelle « à ce jour aucune étude ne démontrerait la plus grande efficacité (de la scolarisation inclusive) par rapport à l’école spéciale en terme de réussite scolaire ». Le CAS propose en solution une bonne base de données pour enregistrer les diplômes, compétences et connaissances acquises par ces enfants selon les différents modes de scolarisation. Les associations de parents ont généralement des propositions plus pertinentes…
La troisième note sur le soutien scolaire tape à coté du problème. Allons droit à la solution. Ce n’est pas une base de données mais des services Internet mis à disposition des parents et des enfants sur les ENT. Le problème c’est qu’en éducation la ligne droite n’est pas toujours la plus courte. Le CAS n’a visiblement pas perçu ce qu’est la difficulté scolaire et ce qu’est l’aide et le soutien particulièrement pour les milieux défavorisés. Il n’a d’ailleurs pas vu que le soutien scolaire marchand et par Internet fonctionne plutôt pour les élèves moyens pour qu’ils participent à la compétition et que leur analyse est décalée par rapport à la question beaucoup plus urgente des sorties sans qualification. La seconde proposition, celle d’utiliser l’agence du service civique pour faire du soutien en zone rurale (sans doute parce que le haut débit y est absent) n’est pas plus pertinente. La leçon des dispositifs d’aide développés ces dernières années c’est que le soutien est à inventer en classe si l’on veut qu’il soit efficace.
On revient aux tableurs avec la dernière note sur l’autonomie des établissements. Le CAS arrive à la conclusion que « dans les pays où le système prévoit une plus grande autonomie des établissements les élèves ont de meilleurs résultats ». Dans la vision du CAS l’autonomie doit s’accompagner de « mécanismes de responsabilisation des établissements » avec évaluation et sanctions. On pense bien sur à ce qui se met en place dans les pays anglo-saxons. Mais voilà « aux USA les charters schools ne semblent pas plus efficaces », en Grande Bretagne « l’écart d’efficacité a disparu ». Il reste la Suède, le pays qui est allé le plus loin, et dont nous savons, nous mais pas le CAS, que le modèle est maintenant vivement remis en question. Tous ces échecs n’empêchent pas le CAS de nous proposer « l’autonomie en matière de gestion des personnels » et le renforcement des dispositifs d’évaluation (« évaluations externes par des inspecteurs, suivis d’indicateurs ») comme si le teaching for the test n’avait jamais existé et come si les effets ségrégatifs de ces évaluations étaient inconnus.
Le CAS avait publié en 2011 une note sur « l’effet enseignant » qui partait des mêmes bases idéologiques de « l’evidence based management ». Cette approche fait de sérieux dégâts dans le système éducatif américain et particulièrement dans l’école publique. Partant du principe que l’effet enseignant est évident et quantifiable, le CAS, comme ses référents américains, préconisait de détecter les « bons enseignants » pour les encourager et les « mauvais » pour les virer. Or si l’effet enseignant existe, sa quantification nous échappe. De là à penser que les démarches basées sur ces raisonnements sont inopérants en matière d’éducation, comme sans doute dans d’autres services humains, il n’y a qu’un pas que nous n’hésitons pas à faire. Le CAS n’ayant pas eu d’intérêt pour les vrais problèmes du système éducatif, les sorties sans qualification et la montée des inégalités territoriales en éducation, le gouvernement français devra chercher d’autres experts…
François Jarraud