La grève du bac peut-elle réussir ? Si globalement la plupart des 1 280 000 candidats des 4 635 centres d’examen peuvent composer le 17 juin, le mouvement s’annonce plus important que prévu. En refusant tout dialogue avec les syndicats et en tenant des propos provocants, le ministre pousse une partie des enseignants vers la radicalisation. Au final ce sont bien les candidats qui vont payer le prix de cette politique.
Le refus des réformes des lycées
Lundi 17 juin , plus d’un million de jeunes entament les épreuves du bac. Plus précisément on compte 743 594 candidats de terminale auxquels s’ajoutent 536 724 élèves de première passant les épreuves anticipées de français. Pour les premiers, les épreuves écrites s’étendent du 17 au 24 juin. Elles sont suivies (et précédées) d’épreuves orales dont le calendrier est décidé localement. Le 17 juin, des enseignants sont aussi convoqués pour corriger des épreuves qui ont déjà eu lieu. C’est le cas par exemple pour celles du bac agricole STAV.
A l’origine de la grève du bac, onze syndicats (Snes Fsu, Snuep Fsu, Snetap Fsu, Cgt, Cgt agricole, Sud éducation, Sud territoires, Snalc, Sundep, Cgc) et 3 mouvements (Stylos rouges, Cnt, Chaine des bahuts). Ils appellent à la grève les premiers jours du bac (17 juin) et du brevet (27 juin). Ils protestent contre » les pressions et les méthodes de gestion autoritaires ». Mais ce sont surtout les réformes des lycées (général, technologique et professionnel) qui motivent le mouvement. « Les inégalités d’implantation des enseignements de spécialité et des options de la réforme du lycée, les difficultés d’emploi du temps, tant pour les enseignants que pour les élèves, le rythme effréné des évaluations et un baccalauréat à valeur locale ; les familles de métiers et la promotion du tout apprentissage en voie professionnelle ; jusqu’aux incidents récents qui ont marqué Parcoursup ; les sureffectifs des classes et les suppressions de postes en collège : tout concourt à accroître les inégalités », disent les organisateurs.
Ainsi un collectif des lycées publics de Besançon, pointe les économies réalisées sur le dos des élèves avec la réforme du lycée. « L’intérêt des lycéens n’est pas une priorité. Les chefs d’établissement tentent de mettre en oeuvre cette réforme sans considérer les aspirations des jeunes et de leurs familles ». Le collectif montre comment dans chaque lycée des élèves sont invités à changer leurs voeux. Il souligne aussi l’impact des classes à 35 élèves. A cela s’ajoute les nouveaux coûts opérés par la réforme que la région ne peut pas prendre en charge : manuels , nouveaux créneaux de transports. Tout cela justifie le rejet de la réforme.
Des centres préparés à la grève ?
Pour autant la plupart des centres d’examen devraient fonctionner le 17 juin. Les rectorats ont invité les chefs d’établissement à prévoir large le nombre de surveillants. Certains chefs d’établissement ont envoyé aux enseignants des ordres de réquisition. Tous mobilisent leur personnel administratif. Dans plusieurs centaines de centres on a prévu un tiers de surveillants en plus. A beaucoup d’endroits on a aussi pré-recruté des vacataires et on demande aux surveillants de venir très tôt pour pouvoir adapter le dispositif. Globalement il faudrait une grève extrêmement suivie pour bloquer le fonctionnement des centres. Or , ça n’a pas été le cas des grèves cette année dans le second degré. Et des syndicats n’appellent pas à la grève du bac (Unsa et Sgen Cfdt par exemple).
Pour autant l’impact de la grève devrait être plus grave qu’annoncé. D’abord parce que certains centres pourraient être en difficulté dès le 17 juin. Ce devrait être le cas de quelques lycées en Ile de France et dans les académies de Toulouse, Montpellier, Aix Marseille et Lille. Des corrections du BEP ont déjà été bloquées par des piquets de grève dans la Seine Saint Denis. La correction du bac STAV devrait l’être également le 17 juin. Là c’est l’ensemble des syndicats de l’enseignement agricole qui appellent à la grève des examens.
Le risque d’un mouvement long
Car ce que risque le ministère c’est que le mouvement continue. Les réformes des lycées ont été massivement rejetées par les syndicats en conseil supérieur de l’éducation. Le mécontentement envers elles est profond chez les enseignants qui constatent qu’elles servent surtout à réaliser des économies sur le dos des élèves. A cela s’ajoute le refus de toute discussion avec les syndicats et des propos ministériels sur les médias qui jettent de l’huile sur le feu. « Je prends très clairement l’engagement qu’aucune épreuve du bac ne sera annulée » , dit JM Blanquer sur Europe 1 le 31 mai, propos réitérés depuis. Il précise : « le dialogue social est nécessairement dans la durée. Je ne travaille pas sous la pression encore moins avec un quelconque chantage ».
Au lieu de tenter l’apaisement, le ministre choisit de pousser des enseignants vers la radicalisation. Ainsi les stylos rouges demandent 40% d’augmentation et l’arrêt des réformes. Résultat, les syndicats s’opposent sur la question du bac. Les organisations de lycéens aussi , avec l’UNL et la FIDL d’un coté, Avenir lycéen et le SGL contre la grève du bac. Les parents sont divisés également, la Peep exprimant son opposition ferme à la grève des examens.
La politique du pire
On a l’impression que la priorité est à affaiblir les syndicats, si ce n’est à les briser plutôt qu’à chercher une issue. Impression renforcée par la loi de transformation de la fonction publique. On a aussi l’impression que le ministre croit ainsi pouvoir imposer ses réformes et supprimer toute résistance.
Mais si c’était le contraire ? A force de se sentir méprisés, une partie plus importante que prévue des enseignants est probablement prête à bloquer les corrections et les oraux. Les blocages qui ont déjà eu lieu sont déjà bien plus importants que tout ce qu’on a vu ces dernières années. La grève pourrait bien continuer après le 17 juin.
Aussi, JM Blanquer travaille lui-même à la mise à mal de ses réformes. En cherchant à les imposer sans concertations, JM Blanquer affecte de croire qu’il suffit d’ordonner pour que les réformes se mettent en place réellement sur le terrain. Le colloque réuni du 12 au 14 juin par la Revue internationale d’éducation de Sévres montre que pour réformer il faut associer les acteurs. A défaut on a une application purement formelle de ce qu’on a vraiment voulu sans mise en oeuvre réellement effective. Avec 6% d’enseignants approuvant sa politique, en réformant sans le budget suffisant, et maintenant en provoquant les enseignants, JM Blanquer semble dans l’impasse. Il s’est engagé dans le jeu bien français de la réforme descendante et de la résistance à un niveau encore plus élevé que la réforme du collège. Il joue la carte du pire. Elle est rarement gagnante.
François Jarraud
L’éducation nationale dans l’attente de la grève