La pédagogie peut-elle aider à combattre les replis identitaires pour faire cheminer les élèves vers la citoyenneté européenne ? « J’ai toujours trouvé que le sentiment d’appartenance européen des élèves était faible et empreint de clichés. Avec ce projet, je voulais leur faire prendre conscience des richesses culturelles européennes. » Ainsi Cécile Thomas, professeure des écoles à Cesson dans l’académie de Créteil, présente-t-elle le projet eTwinning qu’elle a mené dans le cadre d’un partenariat pédagogique entre cinq pays différents (la France, l’Italie, la Grèce, l’Espagne et la Pologne). Au programme de « Monumental Europe » : présentation de monuments locaux, réalisation de calendriers, mascotte itinérante, création d’un chant commun, réalisation d’une œuvre d’art en 3D. Eclairages sur les modalités et les enjeux d’une pédagogie de projet par-delà les frontières ….
Pourquoi avez-vous choisi le thème de l’héritage culturel comme thème fédérateur de votre projet ? Qu’est-ce qui vous a motivé dans ce choix?
La connaissance du patrimoine culturel européen est pour moi fondamentale dans le développement des élèves afin qu’ils deviennent des citoyens européens. J’ai toujours trouvé que le sentiment d’appartenance européen des élèves était faible et empreint de clichés. Avec ce projet, je voulais leur faire prendre conscience des richesses culturelles européennes. Le projet a tout d’abord abordé les éléments patrimoniaux tangibles (monuments) qui sont les plus faciles à appréhender mais il a également abordé les éléments de l’héritage culturel intangibles beaucoup moins aisés à comprendre pour les élèves.
Comment ce projet s’est-il mis en place ?
Le projet Monumental Europe est mon premier vrai projet. J’étais inscrite sur eTwinning sans vraiment avoir réalisé ce que je pouvais y faire. J’ai tout d’abord découvert le site eTwinning en mai 2016, puis j’ai laissé de côté car je n’ai pas compris tout de suite comment trouver un partenaire. J’ai pris le temps d’y réfléchir pendant les vacances d’été et avant la rentrée de septembre 2017, je me suis dit qu’il me fallait mener un projet qui motive ma classe et qui leur fasse pratiquer l’anglais. Je me suis donc rendue dans le « Forum partenaires » dans eTwinning Live et j’ai parcouru plusieurs dizaines de pages d’annonces postées par les collègues européens. Le descriptif rédigé par Fina (Catalogne) et Sophia (Grèce) m’a tout de suite attiré : le projet était ambitieux et bien construit, ce qui m’a rassuré.
Vous vous êtes inscrite à eTwinning en mai 2016, ce qui est assez récent. A ce jour, vous avez mené 9 projets eTwinning, dont « Monumental Europe » (votre 3ème projet). En quoi est-il différent des autres projets que vous avez menés ou que vous menez actuellement ?
« Monumental Europe » a fait office de déclencheur pour moi. J’ai eu la chance de rencontrer des collègues européennes expérimentées dans eTwinning. Elles étaient enthousiastes, avec cette envie de partager et d’être à l’écoute. J’ai fait des rencontres extraordinaires ! J’ai le sentiment d’avoir de nouvelles collègues dans d’autres établissements européens. Comme l’ont écrit mes élèves dans le chant multilingue inventé pour ce projet, on n’a pas la même langue, mais on peut rire tous ensemble !
Quels étaient les objectifs que vous souhaitiez atteindre dans ce projet ?
Mes principaux objectifs étaient de développer le sentiment d’appartenance européen chez mes élèves et la pratique des langues étrangères. L’approche par projet correspond à ma façon d’enseigner. J’estime que c’est le meilleur moyen de motiver les élèves. Nous avons la chance, au premier degré, de pouvoir proposer facilement aux élèves des projets pluridisciplinaires puisque que nous avons les élèves 24h par semaine.
De plus, le projet a été l’occasion de faire des découvertes pluridisciplinaires et de faire des liens avec nos autres activités de classe comme par exemple : découverte du Parthénon d’Athènes (œuvre autour de la mythologie étudiée en littérature), histoire (découverte d’un château du moyen-âge en Pologne), rédaction (écriture du couplet en français pour l’hymne du projet), arts visuels (réalisation d’une œuvre d’art en 3 dimensions à base de matériaux de récupération), éducation physique (danses collectives) et musique (chant).
Comment les élèves ont-ils interagi au cours de ce projet ? Que retiennent-ils de toutes ces découvertes et de tous ces échanges ?
Les élèves ont tout d’abord interagi grâce à des vidéoconférences en ligne. Les moments où nous avons communiqué avec les classes des autres pays ont été des temps forts, mêlant excitation et plaisir de partager. La mascotte « ME Dragon » qui a fait le tour des partenaires a aussi été un support intéressant pour découvrir les coutumes des pays partenaires. Les enfants ont pris beaucoup de plaisir à le manipuler à se mettre en situation pour le photographier dans leur vie quotidienne d’écoliers (cour de récréation, espace informatique, cantine). Comme il est arrivé en France pendant un épisode de neige, nous lui avons confectionné une écharpe. Ils étaient très curieux de savoir où était la mascotte et ce que les partenaires des autres pays avaient noté dans le carnet de voyage (écoles, traditions culinaires, fêtes, principaux monuments).
Quels ont été les moments les plus marquants de votre projet ? Pourquoi ?
Le chant multilingue que nous avons coécrit et le fait de s’entraîner à le chanter a été un challenge que les élèves ont adoré relever. Il n’était pas facile de chanter en grec ou en polonais mais le plaisir d’entendre les camarades des autres pays dire qu’ils avaient compris fut pour nous un réel plaisir! La mascotte du projet a également rencontré un grand succès. Son livre de voyage dans lequel chaque classe a noté les activités et les rencontres a eu beaucoup de succès.
Avec 9 projets à votre actif, qu’est-ce qui vous motive à continuer l’aventure eTwinning ?
eTwinning a changé ma façon de voir mon activité professionnelle. Les langues vivantes et les mathématiques sont bien entendu des disciplines fondamentales que je traite en classe mais elles peuvent vite devenir répétitives. Les élèves d’aujourd’hui ont besoin de stimuli qui leur correspondent. Les outils numériques et l’ouverture vers l’international les motivent particulièrement.
Pendant mes propres études (il y a quelques années maintenant), j’ai pu profiter du dispositif Erasmus à titre personnel et j’ai passé une année en Grande-Bretagne. Cette année m’a laissé des souvenirs impérissables. J’y ai appris à travailler avec des personnes qui n’ont pas la même vision que moi sur les problèmes, sans parler de la barrière de la langue. Ces échanges m’ont enrichie et c’est ce vécu personnel que j’essaie de transmettre à mes élèves par le biais des projets eTwinning.
Avez-vous des thématiques de projets sur lesquelles vous aimeriez travailler dans vos futurs projets ?
Cette année, je travaille sur deux gros projets avec ma classe de CM1, un projet autour des arts et un projet en histoire. J’ai une formation initiale scientifique et j’espère bien pouvoir un jour mener un projet eTwinning de sciences ! Je suis certaine que cela viendra et j’ai déjà quelques idées, à peaufiner.
Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui hésite à s’inscrire sur la plateforme eTwinning ?
Il faut se lancer, il faut oser ! La maîtrise de la langue anglaise est, certes, un plus mais on peut mener des projets en Français, en Espagnol ou en Allemand ! Il ne faut pas avoir de complexes sur nos connaissances en langues vivantes. Pour l’instant, je n’ai pas fait de projet avec des enseignants dont la langue maternelle est l’anglais. Tout le monde est sur un pied d’égalité et quand on est motivé, on arrive toujours à se faire comprendre.
Il faut également être persévérant et ne pas abandonner trop vite si on n’est pas sur la même longueur d’onde que les partenaires que l’on rencontre. On a tous nos façons de travailler : c’est le cas avec les collègues de chaque établissement. Il y a des collègues dont la façon de travailler nous convient et d’autres non. L’avantage avec eTwinning, c’est que nous avons le choix parmi presque 700 000 enseignants européens!
Dans une recherche de projet, je conseille toujours d’interroger vos partenaires sur l’âge de leurs élèves plutôt que sur leurs classes. Les systèmes scolaires sont différents d’un pays à l’autre. Il faut aussi être conscient que dans certains pays, dont la langue maternelle est peu parlée dans le monde (catalan, hollandais), l’apprentissage des langues est intensif bien plus qu’en France et les élèves du même âge ont un niveau d’anglais supérieur. Ce n’est pas forcément un frein dans la mesure où le projet est centré sur une activité plus que sur les langues vivantes.
Enfin, il ne faut pas hésiter à solliciter les ambassadeurs eTwinning. Il y en a plusieurs dans chacune des académies. Ils ont l’expérience des projets et peuvent être aide précieuse. J’ai moi-même l’intention de devenir ambassadrice.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut