Par François Jarraud
Le président de la République a multiplié les discours sur la lutte contre la violence et l’absentéisme à l’école. Il a annoncé de nouvelles mesures qui balayent les conclusions des Etats généraux de la sécurité à l’école. L’Ecole est devenue un jouet politique avant de devenir probablement un objet de surenchères. Certains de ces dispositifs se heurtent frontalement aux valeurs de l’Ecole.
Attention un candidat peut nuire gravement à un président. Nicolas Sarkozy a prononcé le 5 mai un discours sur la lutte contre les violences scolaires devant les préfets, procureurs, inspecteurs d’académie et recteurs. Il a repris les mesures démagogiques qu’il avait annoncées le 24 mars et confirmées le 20 avril. Le 24 mars 2010, il avait déclaré. » Trop longtemps on a toléré que la violence pénètre à l’école, que l’agresseur soit traité avec plus d’égard que la victime, que le travail soit dévalorisé, que le mérite ne soit plus récompensé. Eh bien, je m’y engage, il n’y aura plus aucune concession…. L’absentéisme scolaire est un fléau. La responsabilité des parents doit être engagée, les sanctions en matière d’allocations familiales doivent être effectives, les jeunes qui ne peuvent pas suivre une scolarité normale seront placés dans des établissements adaptés où ils ne perturberont plus la vie des autres et où ils feront l’objet d’un accompagnement spécifique ». Depuis ces propos ont été repris par Luc Chatel, par exemple le 8 avril en clôture des Etats généraux de la sécurité à l’école.
Le 20 avril il était allé plus loin dans la précision. « Nous allons créé dès la rentrée prochaine et notamment en Seine Saint-Denis des établissmeent spécialisés qui permettront d’accueillir des jeunes de moins de seize ans qui rendent la vie impossible au sein de l’établissement dans lequel ils sont scolarisés », écrivait, texto, le site de l’Elysée, reprenant les paroles prononcées par Nicolas Sarkozy à Bobigny le 20 avril 2010. « Les fammilles ont aussi une responsabilité », continue le site… « C’est trop facile de déresponsabiliser les gens. quant une famille n’arrive pas à faire face, alors nous l’aiderons. inspecteurs d’académie,chefs d’établissement, services sociaux, nous les aiderons. mais quant on ne se préoccupe pas de savoir si son enfant va à l’école ou pas, il est normal que la société réagisse ». Le président de la République (qui n’est évidemment pour rien dans cette orthographe hésitante) avait annoncé trois mesures. D’abord la suspension « systématique » des allocations familiales en cas d’absentéisme scolaire « injustifié et répétitif » d’un élève. L’autre mesure concerne la création dès la rentrée 2010 d’internats spécialisés qui accueilleront les jeunes de moins de 16 ans « qui perturbent gravement la vie scolaire par leur comportement et qui ne relèvent pas des autres dispositifs ». Le président a précisé qu’ils se situeraient entre les classes relais et les établissements fermés et que les jeunes y seraient inscrits « par une décision judiciaire lorsque les parents refuseraient l’internat ». La troisième mesure concerne l’ouverture dans 53 établissements « sensibles » volontaires d’un bureau accueillant « quelques jours par semaine » un policier ou un gendarme référent qui pourra faire de la prévention et écouter les difficultés des élèves ».
Les mesures annoncées le 5 mai. Le 5 mai le chef de l’Etat est allé encore un peu plus loin. Une mesure renvoie à une constatation des Etats généraux de la sécurité à l’école. Le président souhaite « stabiliser les équipes enseignantes » dans 100 établissements difficiles. En effet de nombreux établissements en zone sensible ont un turn over important qui isole davantage les enseignants. Des incitations financières seront accordées dans ces établissements. Le proviseur pourra sélectionner son équipe.
Les autres mesures ont déjà été communiquées en mars. Des diagnostics de sécurité seront faits dans tous les établissements secondaires d’ici 2011. Ils serviront pour demander du matériel de sécurité… qui sera à la charge des collectivités locales et non de l’Etat. Les allocations familiales seront supprimées aux familles des absentéistes.
La mesure la plus importante concerne l’ouverture « d’établissements de réinsertion scolaire » où seront envoyés pour au moins un an les élèves de 13 à 16 ans « les plus durs ». Pour ces internats, dont on ne sait s’ils seront ouverts ou fermés, on mettra en place « une pédagogie qui mettra l’accent sur l’apprentissage de la règle, le respect de l’autorité et le goût de l’effort ». Elle sera délivrée par des enseignants, des éducateurs de la PJJ et des volontaires du service civique. « Outre la maîtrise des savoirs fondamentaux, l’enseignement accordera une place importante à la pratique du sport tous les après-midi et à la découverte des métiers », a déclaré N Sarkozy. On sait que certains élèves ont besoin de respirer hors du collège ou du lycée. Et vice-versa. C’est à cela que servent les classes relais qui souvent apportent une aide précieuse et réparatrice aux jeunes. Mais le passage en classe relais ne dure pas une année au moins et elle ne coupe pas les relations du jeune avec ses camarades. Les « établissements de réinsertion scolaire » seraient d’une nature bien différente puisque les élèves y feraient des séjours longs et à l’écart de leur environnement. Cette mise au ban de l’école dès 13 ans est évidemment très inquiétante pour l’avenir des jeunes. On a connu ces structures ségrégatives destinées aux « fortes têtes ». Des colonies scolaires aux maisons de redressement ce n’est pas par hasard qu’elles ont disparu. Tenter de les ressusciter constitue un véritable défi au projet éducatif et au projet républicain. Le premier repose sur le principe d’éducabilité. Revenir sur ce principe c’est plonger l’Ecole dans un gouffre. Le second repose sur le principe de l’égalité des droits. Or c’est bien instituer la ségrégation sociale que décider la mise à l’écart d’une partie de la jeunesse. On a là un projet politique cohérent, celui qui tend à détruire ce qui fait société.
Les réactions aux mesures Sarkozy. Les syndicats ont accueilli très négativement le discours présidentiel. Pour le Snes, » alors que ce sujet ne devrait pas prêter à la caricature, si l’on en croit Nicolas Sarkozy, tous les établissements scolaires seraient en proie à la violence, théâtre d’actes graves justifiant un arsenal de mesures répressives sensées établir « autorité », ordre et respect. La communauté scolaire aux yeux du Président serait clivée entre les irréductibles délinquants, condamnés à être exclus et enfermés, et les bons élèves « méritants » des milieux défavorisés promis aux internat d’excellence ». Le syndicat estime que » ce ne sont évidemment pas des mesures de la nature annoncée qui pourront permettre de juguler la violence sous toutes ses formes, de lutter contre les inégalités et l’échec scolaire ».
Le Se-Unsa n’est pas plus tendre. « Le Président de la République stigmatise une fois de plus la jeunesse de notre pays, vécue comme un danger. C’est l’arsenal répressif et judiciaire qui est encore dégainé, jusqu’à annoncer une modification du droit pénal des mineurs »,écrit Christian Chevalier. « Seule nouveauté : la création « d’établissements de réinsertion scolaire » accueillant des jeunes « condamnés à la délinquance ». Après les internats d’excellence, on entre ainsi dans une logique de tri et de fragmentation de l’Ecole. Les bancs de l’Ecole de la République seraient-ils trop étroits pour accueillir tous les jeunes ? Etrange conception du « vivre ensemble » ! »
La Fcpe évoque elle aussi la stigmatisation. « On a beau jeu de stigmatiser les élèves absents alors que les absences d’enseignants ne sont toujours pas remplacées… La FCPE ne peut que répéter que chercher une solution aux difficultés de l’Ecole implique une formation accrue des enseignants, non pas aux contenus disciplinaires mais à la pédagogie, à la psychologie des enfants et adolescents, à la gestion de classes hétérogènes ».
Stigmatisation également pour Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France. » Stigmatisation des jeunes à travers les futurs établissements dits « de réinsertion scolaire », internats réservés aux élèves catalogués perturbateurs. Avec de tels dispositifs qui rappellent les maisons de correction d’autrefois, on enfermera ces jeunes dans des ghettos… Au lieu d’exclure les jeunes étiquetés perturbateurs, le gouvernement devrait privilégier tous les dispositifs qui redonnent une chance aux élèves comme le dispositif Réussite pour tous de la Région Ile-de-France, parcours de formation individualisés pour les lycéens en risque de décrochage, qui bénéficie à 4000 élèves par an. Stigmatisation des familles, avec la suppression des allocations familiales pour les parents d’élèves décrocheurs ».
Seul le Snpden tire un point positif de ces déclarations. » Les personnels de direction seront surtout très attentifs au sort fait aux diagnostics de sécurité, en cours d’élaboration dans tous les établissements à la demande présidentielle. Partant des besoins constatés sur place, établis en coopération avec la police ou la gendarmerie locale, ils sont un point d’appui plus solide que la généralisation de mesures ponctuelles par nature inadaptées à la majorité de situations. Le taux de satisfaction effectif des demandes issues des diagnostics de sécurité sera le véritable révélateur de la volonté de progresser sur ces questions. C’est pourquoi le SNPDEN publiera désormais un bilan périodique de la satisfaction des demandes des établissements en matière de sûreté. »
Les mesures
http://www.lefigaro.fr/politique/2010/05/05/01002-2010050[…]
Des projets désastreux pour l’Ecole et la République
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/03/250[…]
A quoi ont servi les Etats-généraux ?
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/[…]
Communiqué Elysée 20 avril 2010
http://www.elysee.fr/president/les-dossiers/securite/2010/b[…]
Communiqué
http://www.se-unsa.org/spip.php?article2127http://www.se-unsa.org/spip.php?article2127
Communiqué
http://www.snes.edu/Discours-de-Nicolas-Sarkozy-sur.html
Communiqué
http://www.fcpe.asso.fr/ewb_pages/a/actualite-fcpe-2364.php
Le Sgen appelle les enseignants à ne pas collaborer à la politique sécuritaire dans les établissements
« Le Sgen-CFDT ne peut accepter qu’après les banlieues, le service public d’Éducation devienne le nouveau terrain de jeu de la stratégie de politique sécuritaire du président. Il appelle les personnels à ne pas être dupe d’un discours qui ne pourra produire aucune solution viable ». Dans un communiqué, le Sgen Cfdt condamne durement les propos tenus par le président de la République le 5 mai. « Le renforcement du pouvoir de la hiérarchie, notamment le recrutement inacceptable des enseignants par les chefs d’établissement, la stigmatisation des jeunes, absentéistes, décrocheurs et perturbateurs qui seront tous fichés, la création d’établissements ségrégatifs sont autant de mesures éculées à visée plus politique, électoraliste qu’éducative », estime le sgen.
Communiqué
http://www.cfdt.fr/rewrite/article/26218/zoom-sur/discours-de-nico[…]
Sur les déclarations présidentielles
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2010/05/06052010.aspx
Absentéisme : La proposition de loi Ciotti
Le texte de la proposition de loi Ciotti, que le Café s’est procuré, instaure des sanctions automatiques envers les familles dès qu’un enfant à 4 demi journées d’absence injustifiées sur un mois.
« Nous devons refonder notre politique de lutte contre l’absentéisme scolaire en l’inscrivant dans une logique d’efficacité, de simplicité et d’équilibre entre droits et devoirs. En effet, l’octroi d’allocations familiales constitue le corollaire de l’exercice de l’autorité parentale. Face aux droits correspondent des devoirs, ceux d’être vigilants et attentifs à l’éducation des enfants. » C’est uniquement sous l’angle de l’autorité parentale qu’est abordée la question de l’absentéisme scolaire. Le projet instaure « un dispositif gradué » pour « alerter, accompagner et, le cas échéant, sanctionner les parents ». Le projet prévoit aussi que cette sanction impacte pleinement la totalité des aides sociales dont pourrait bénéficier la famille.
La proposition de loi établit un dispositif en 5 étapes.
« 1- Lorsque le chef d’établissement constate l’absentéisme de l’élève, selon le critère actuel, à savoir au moins quatre demi-journées d’absence non justifiées sur un mois, il le signale alors à l’inspecteur d’académie.
2- L’inspecteur d’académie adresse alors un avertissement à la famille concernée pour la rappeler à ses obligations légales et l’informer sur les différents outils d’accompagnement parental. Il saisit parallèlement le président du conseil général en vue, le cas échéant, de la mise en place d’un contrat de responsabilité parentale.
3- Si au cours de la même année scolaire, l’absentéisme de l’élève est à nouveau constaté par le chef d’établissement (selon le même critère d’au moins quatre demi-journées d’absences non justifiées sur un mois), l’inspecteur d’académie, après avoir permis aux parents de justifier ces absences, a l’obligation de saisir le directeur de la CAF, qui a lui-même compétence liée pour suspendre immédiatement le versement de la part des allocations familiales afférente à l’enfant en cause.
4- La reprise du versement n’intervient que si l’inspecteur d’académie constate que l’élève est à nouveau assidu pendant une durée d’au moins un mois de scolarisation (hors vacances scolaires) depuis la prise d’effet de la suspension.
5- Le rétablissement est rétroactif sauf si, depuis l’absence ayant donné lieu à la suspension, une ou plusieurs nouvelles absences d’au moins quatre demi-journées par mois sans motif légitime ou excuse valable ont été constatées ».
La proposition de loi interroge évidemment sur son efficacité et sur les alternatives qui peuvent exister. Concernant l’efficacité, l’exemple britannique montre que la politique des sanctions n’est pas payante. Les très récents chiffres de l’absentéisme montrent sa croissance constante depuis la mise en place d’amendes et de peines de prison pour les parents dont les enfants s’absentent de l’école. A coup sûr, s’il s’agit « de lutter avec détermination contre ce fléau », la voie choisie n’est pas la bonne.
Quelles politiques alternatives ? Le bulletin d’avril 2010 (n°107) de l’Inspection académique du Nord est justement consacré à la lutte contre le décrochage. Il rend compte des efforts de l’académie dans un climat social difficile, par exemple à travers le SYMSER, système mutualisé de suivi des élèves en région et le plan d’action signé entre l’Etat et la région. Selon lui, « le décrochage génère des dégâts humains et sociaux considérables. Il interroge l’institution scolaire dans ses missions essentielles ».
Pour l’inspection académique du Nord, la lutte contre le décrochage repose sur 4 principes. Le premier est l’individualisation. » L’important est de comprendre pourquoi un élève décroche » écrit Jean-Pierre Polvent, inspecteur d’académie. Et Serge Boimare montre que le décrochage se nourrit par exemple d’un véritable « empêchement de penser » chez certains élèves, une situation imperméable à l’autorité. D’autres critères, sociaux par exemple, peuvent intervenir. « La plupart des dispositifs expérimentés mettent l’accent sur l’individualisation de l’accompagnement des élèves concernés » conclut une réunion d ebassin. Le second principe c’est l’importance du lien avec la famille. « il faut veiller à maintenir ou restaurer un lien avec les familles » écrit la revue. « La lutte contre le décrochage doit nécessairement favoriser l’émergence d’un nouveau mode de coopération avec les parents ». Le troisième principe c’est l’effort pédagogique qui est nécessaire. « L’individualisation des parcours , pour les décrocheurs, amène à se demander si le dispositif d’enseignement de droit commun est suffisant », interroge la revue. Cette situation s’aggrave quand l’offre de formation se dégrade, ce qui est parfois le cas dans l’enseignement professionnel du fait des économies budgétaires. Enfin le dernier principe c’est le partenariat qui doit s’installer entre les différents acteurs, malgré les différences de « rationalité » comme le dit la revue.
A l’évidence la proposition de loi Ciotti ne teint pas compte de ces expériences. A l’individualisation il oppose l’automatisme. A la restauration du lien familial il préfère le conflit avec les familles et la fragilisation du lien familial. A l’effort pédagogique il oppose l’obligation scolaire. Enfin le partenariat entre institution est remplacé par l’obligation méfiante faite au fonctionnaire, placé dans une situation d’automate.
La proposition de loi
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Documents/docsjoints/P[…]
Bulletin départemental Nord
http://netia59a.ac-lille.fr/~siteia/bulletin_departemental/res[…]
Faut-il punir les parents ?
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/10/1910200[…]
Sur le décrochage
http://cafepedagogique.net/lemensuel/leleve/Pages/84_Monen[…]
Absentéisme : une quasi stabilité
Selon une Note d’information du ministère, l’absentéisme scolaire a très peu évolué. Après 4 ans de stabilité , entre 2 et 6% de 2003 à 2007, il est passé de 3 à 10% selon les mois.
Mais ce que montrent vraiment les chiffres ministériels c’est l’extrême variation d’un établissement à l’autre. L’absentéisme touche moins de 3% des élèves dans la moitié des établissements, alors qu’il atteint 30% des élèves dans un établissement sur dix.
En 2007-2008, les collèges connaissent deux fois moins d’absentéisme que les lycées d’enseignement général et technologique et cinq fois moins que les lycées professionnels. Cependant, en tenant compte de toutes leurs absences et de leur durée, les élèves de collège perdent seulement trois fois moins de temps d’enseignement que ceux des lycées professionnels. 2% des élèves comptent au moins 5 jours d’absence non régularisée par mois. Un élève sur mille est signalé aux inspections académiques mais avec une forte variété selon les départements : à Paris le taux atteint 3%, dans 13 autres départements il est supérieur à 0,4%, partout ailleurs il est inférieur. « Ces taux peuvent traduire des politiques différentes » souligne la Note…
Rien de sérieux ne semble justifier la préoccupation politique actuelle sur cette question. Rien non plus ne peut confirmer l’idée que la sanction est une arme efficace pour lutter contre un absentéisme qui met surtout en lumière des degré de tolérance différentes selon les territoires et la fragilisation sociale de certains élèves.
La Note d’information
http://media.education.gouv.fr/file/2010/58/1/NI1008_143581.pdf