Comment les enseignants ont-ils vécu le confinement ? Quelles pratiques numériques ont-ils développé ? Quelles sont leurs demandes en formation après cet événement ? Canopé publie un enquête auprès de 2000 enseignants de l’académie de Poitiers. Un enseignement : les usages du numérique restent dépendants des équipements et pas encore des questions pédagogiques.
L’enquête publiée par Canopé le 30 septembre sur les « Pratiques, confinement et besoins en formation des enseignants » porte sur plus de 2000 enseignants de l’académie de Poitiers (10,6% des enseignants de l’académie). Bien que non exhaustive ni statistiquement représentative (sur représentation du 2d degré dans les répondants), cette enquête s’ajoute à un nombre important de travaux qui ont été faits au cours ou suite au confinement. D’ailleurs sur la page de présentation de ces enquêtes sur le site de Canopé, on peut aussi accéder à une autre enquête effectuée pendant le confinement auprès de plus de 700 enseignants de l’académie de Lyon. Il va de soi que si les réserves méthodologiques signalées par l’auteure de ce document sont explicites, cela n’enlève rien à l’intérêt de cette enquête. On s’interrogera toutefois sur la recherche de corrélations (terme souvent cité dans le document) sans qu’elles soient étayées par des tests statistiques. Tout comme pour les enquêtes menées par des laboratoires de recherche, la démarche est ici aussi partielle mais complète le paysage pour tenter d’éclairer ce qui s’est passé et comment cela a été vécu.
Cette enquête en trois parties porte d’une part sur la situation des enseignants face au numérique avant le confinement, leur pratique pendant le confinement, et enfin leurs besoins en formation. Globalement les enseignants sont bien équipés mais leurs usages restent d’abord personnels et pour leur métier, en amont de leur enseignement pour la plupart. Ce sont les utilisations dans la classe qui sont en question car il semble qu’il y ait toujours de nombreux obstacles : équipements inadaptés, frilosité face au web, faible participation active (peu de productions, hormis textuelles et pour les élèves – supports de travail). Il y a de nettes distinctions à faire entre les niveaux d’enseignement. Malheureusement l’enquête, ou tout au moins le rapport, n’apporte pas suffisamment d’éléments pour aller plus loin.
Pendant le confinement ce qui domine c’est l’isolement, le sentiment de solitude ressenti par une partie importante des enseignants (77%). Le rapport que les enseignants entretiennent avec leur métier est d’abord basé sur une présence dans un lieu spécifique et avec des élèves et des collègues. Le confinement a apporté la confirmation de ce besoin d’un espace partagé et d’interaction. Aussi il n’est pas étonnant que les contacts avec les élèves et les familles aient été globalement très nombreux. Même si, comme on le sait, c’est au lycée et en particulier au lycée professionnel que les parents sont le plus souvent éloignés de l’établissement scolaire, on a retrouvé à distance les mêmes comportements. Au primaire, la proximité habituelle demandait bien davantage à être confortée, ce que la plupart des enseignants ont essayé de faire. On note que la plupart des pratiques du numérique pendant le confinement ont été la visioconférence et la mise à disposition de documents pour les élèves. On peut s’étonner de lire que les enseignants sont en difficulté pour trouver en ligne des ressources pour leur enseignement. On touche là à un problème important, d’autant plus que les manuels papiers ou numériques ont été très peu utilisés. En effet la majorité des enseignants conçoivent leurs supports, prioritairement textuels, rarement multimédia. Il semble bien qu’il y ait là un chantier important à mener en regard d’autres travaux existants qui confirment la difficulté des enseignants à accéder à des ressources pertinentes pour leur enseignement.
Face à cette situation difficile à vivre, les enseignants manifestent leur besoin d’accompagnement de proximité. En effet, ils refusent une formation tout en ligne, préfèrent le présentiel et accepteraient une forme d’hybridation. Ce qui pose problème dans ces besoins de formation, c’est la priorité donnée aux demandes de formation technique. Comme il n’y a pas de quoi préciser ce que cela signifie, on s’interroge sur ce que recouvre cette demande : se rassurer sur ses compétences, en développer de nouvelles, … En tout cas, ils refusent aussi une autoformation en ligne et plus globalement l’idée de ne pas être soutenus et accompagnés. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont souhaité à la suite du confinement, être accompagnés pour mieux accompagner les élèves.
Pour conclure, on signalera que l’analyse de l’enquête menée pourrait aller plus loin. Il serait intéressant de mieux segmenter les retours (1er degré et 2d degré, ou encore disciplines enseignées) et les analyses pour avoir des regards plus précis. L’analyse à plat des réponses aurait mérité un approfondissement que les quelques verbatims proposés, aussi intéressants soient-ils, ne parviennent pas à ouvrir sur de nouveaux horizons. C’est en particulier le problème posé par le chapitre sur les besoins en formation : ce ne sont pas des besoins mais plutôt des demandes, des souhaits, des attentes. Par contre l’intérêt de ce chapitre est de mettre en évidence que les modèles traditionnels de formation (stages, journées etc..) sont dépassés et qu’il y a besoin d’un assouplissement important des manières de faire des formateurs(trices) et de leurs institutions. Une enquête de plus à verser au dossier qui lentement s’épaissit de tous ces retours d’expériences et autres enquêtes et analyses dont on espère que les décideurs sauront s’emparer pour engager de larges réflexions sur le numérique, ses finalités et les moyens d’action à mettre en place.
Au final cette étude confirme une inquiétude : non le numérique n’est pas un instrument du quotidien éducatif et scolaire. Il reste encore trop soumis aux limites matérielles (équipements, infrastructures, formation) et pas assez aux questions sociales et pédagogiques. D’ailleurs l’enquête le confirme aussi, les enseignants ont une sorte de dédoublement lorsqu’ils utilisent le numérique pour leurs propres besoins et ne parviennent pas à les faire utiliser par les élèves. L’enquête ne donne pas assez d’informations sur le vécu technique et pédagogique du confinement pour que l’on puisse envisager comment à partir de ce qui a été vécu on pourrait tenter d’imaginer une école qui donne sa juste place au numérique, mais dans toutes ses dimensions et pas seulement dans la dimension technique. La fracture numérique rappelons-le n’est pas qu’une fracture d’équipement….
Bruno Devauchelle