Peut-on transformer les espaces scolaires sans transformer la culture de l’Ecole ? La réponse de Martial Gavaland, professeur de sciences-physiques, est claire : il faut « péter les cloisons… dans les têtes ! » C’est ce que montre l’expérience du lycée Honoré d’Estienne d’Orves à Carquefou : un lycée livré en 2018 dont l’architecture et le mobilier ont été d’emblée pensés pour favoriser nouvelles mobilités des élèves et nouvelles modalités de travail. Ce qui s’y invente aussi, ce sont de nouveaux contrats pédagogiques, par exemple de circulation des lycéens ou de collaboration entre collègues, qui développent leurs compétences en les partageant, en faisant le récit de leurs pratiques ou en ouvrant leurs classes. Martial Gavaland a présenté ces expériences et réflexions au 11ème Forum des Enseignants Innovants à Paris le 23 novembre 2019.
Le lycée Honoré d’Estienne d’Orves de Carquefou est un lycée récent : quelle en est l’histoire ?
Le lycée, livré en 2018, est un établissement issu de la réflexion collégiale du rectorat de l’Académie de Nantes et de la Région Pays de la Loire : choix des modalités et dispositifs numériques (usage du BYOD légitimé, Wifi, ENT officiel) et nouveaux équipements matériels (mobiliers et espaces expérimentaux). Le projet éducatif est réfléchi 2 années avant la livraison de l’établissement par la DAN, la Région et la future proviseure entourée de quelques professeurs formateurs au numérique. Les personnels recrutés, pour certains sur profil, ont la charge d’inciter à mettre en œuvre un plan de formation interne pour réfléchir à un usage efficient de ces espaces par des pratiques pédagogiques repensées et formalisées auprès de toutes et tous.
Les espaces scolaires ont d’emblée été repensés : pouvez-vous expliquer ce qui fait leur originalité ?
Tout est pensé pour permettre la modularité des espaces. Nous sortons d’un espace normé unique. Le lycée est équipé de salles de très grandes tailles (jusqu’à 200 m2) mais aussi d’espaces très réduits (15 m2) alternants avec des salles habituelles (35 élèves), de patios et de couloirs très larges, meublés, devenant des lieux de travail, d’un CDI centralisé équipé d’une multitude de salles diverses (de l’espace intime à des salles plus classiques), d’une salle d’étude modulable par les élèves eux-mêmes.
En quoi le mobilier est-il lui aussi différent de celui qu’on trouve dans des établissements habituels ?
A nouveau, tout fut autorisé. L’équipement devait s’associer à la pluralité des espaces. Le lycée est équipé de petites tables rectangulaires solides, mais aussi de grandes tables rondes ou ovales, carrées de grande taille, de demi-lunes, et de chaises pliables ou pas, avec tablettes et de ces célèbres « nods » (chaises roulantes avec une solide tablette où l’on peut mettre son sac dessous), de paillasses en verre le long des murs, ….
En quoi de tels aménagements favorisent-ils de nouvelles modalités de travail avec les élèves ?
Principe de cohérence oblige ! Ces dispositifs, faits d’espaces multimodaux et polyformes, équipés d’un mobilier lui-même très divers, amènent à repenser non pas la mais les postures du corps des différents acteurs (apprenants et professeurs) lors des séances d’apprentissage. Un simple exemple : comment faire une séance où le professeur serait en posture d’un cours dialogué avec la classe dans une salle où la majorité des tables sont rondes ? c’est incohérent. Ainsi espaces et mobiliers sont ici source de contraintes. Il est donc nécessaire de penser au préalable à cette cohérence entre les modalités d’apprentissage et les fonctionnalités de l’espace occupé.
Pourquoi vous semble-t-il intéressant de favoriser ainsi la mobilité ?
Avant tout, comment pouvons-nous encore « maltraiter » le corps des apprenants dans cette période d’adolescence ? Qui peut croire que l’élève apprend en étant assis 6h par jour à une table ? Certes je caricature, mais il est largement démontré qu’un apprenant à besoin de se bâtir un environnement spatial favorable et adéquat lors de certaines phases d’apprentissage. Je pense notamment aux modalités de projets (tâche complexe, chef d’œuvre, situation finale) où les phases de questionnements, de recherche (numérique ou pas), d’élaboration d’une planification, de réalisation (Hands On) nécessitent de collaborer, de travailler à plusieurs, même si certaines phases peuvent se faire par groupe plus réduits voire seuls. C’est cette ambition éducative réfléchie de transmettre des savoirs co-élaborés qui enclenche la mobilité des acteurs dans les espaces.
Comment les enseignants ont-ils été formés pour exploiter pédagogiquement au mieux ce nouvel aménagement de l’espace ?
Le projet explicite auprès de la communauté éducative engage immédiatement le personnel éducatif à se réunir, partager, réfléchir et formaliser les usages pédagogiques menés en classe. Chaque trimestre, depuis l’ouverture, le conseil pédagogique est amené à faire le point sur les usages des espaces et du mobilier (thématique souvent d’ailleurs associé aux outils numériques). Ces actes institutionnels (pas assez travaillés d’après moi dans beaucoup d’établissements) servent de « temps suspendus » pour discuter, problématiser et formaliser les expériences de terrain. Ainsi le partage de récits professionnels a engagé certains professeurs à expliciter davantage leur pratique pour rassurer les autres. Ils nous ont aussi permis de mieux redéfinir le rôle du mobilier, voire de la redistribuer dans l’établissement. Ce sont des moments que j’apprécie énormément. L’établissement se donne le droit de réfléchir sans juger, à analyser avec recul sa pratique, notamment par un autre axe, celui des « classes ouvertes » que nous mettons en œuvre au sein du lycée qui consiste à observer la pratique d’un collègue.
Cette démarche portée par une proviseure motivante et motivée m’a poussé à réfléchir davantage au sujet pour l’intégrer dans le plan de formation interne, la réalisation d’un film avec les services Canopé, ainsi qu’une formation académique en partenariat avec la Cardie pour poursuivre la recherche et le développement professionnel enseignant dans ce secteur des espaces et apprentissages.
En quoi ce travail sur l’espace favorise-t-il aussi une autre façon d’occuper et de vivre le lycée, voire de l’ouvrir sur le monde extérieur ?
Nous parlons trop facilement aujourd’hui de porosité des espaces d’apprentissages. Comme-ci tout allait de soi. Il faut y ajouter la notion de légitimé. Un exemple simple : chez nous, un couloir n’est pas qu’une circulation des élèves entre deux cours (d’ailleurs, nous n’avons pas de sonnerie !), mais bien éventuellement un lieu informel de travail comme un autre pendant les heures d’enseignement. Car ce qui est remarquable dans notre lycée, c’est ce droit, légitimé par la proviseure, Mme Faure, de nous permettre de laisser les élèves circuler à leur convenance, sous notre autorité, durant nos cours à partir du moment où la tâche à mener est clairement définie. Nous trouvons dans cet exemple un cas représentatif d’un contrat pédagogique explicite entre le professeur et l’élève dans un cadre scolaire clair, redéfini dans le règlement intérieur pour toute la communauté élargie. Nous pensons que cette façon de faire vivre le tryptique de la mobilité (espaces – technologie – pédagogies) favorise l’acquisition des savoirs de chaque élève avec les autres et correspond mieux au profil des apprenants d’aujourd’hui.
Pour les aider à changer un peu eux aussi la « forme scolaire », quels conseils donneriez-vous à des collègues qui n’ont pas la chance de travailler dans un lycée aussi récent que le vôtre ?
Nous savons tous ce qu’il faut faire : péter les cloisons… dans les têtes ! Tout doit passer par une formalisation soutenue des actes des praticiens. Le système éducatif n’a pas besoin de superprofs esseulés ou de donneurs de leçons mais bien de lieux d’écoute et de partage institutionnalisés. C’est fondamental. Je rappelle que l’EPLE est un lieu de formation, ça veut dire quelque chose ! Alors, on se bouge maintenant, toutes et tous….
Après avoir osé (discrètement) dans sa salle, le professeur doit s’autoriser à en parler avec les collègues, à la direction, aux IEN et IPR, à mobiliser les INSPE et ses chercheurs pour toujours poursuivre la réflexion, la faire vivre. Les chefs d’établissement sont la clef de voûte de cette fenêtre réflexive qu’ils ont le devoir de mettre en place. C’est ce contrat social de l’école que nous devons faire vivre entre professionnels pour rendre les enseignants aussi heureux et fiers de leur initiative et créativité qui je n’en doute pas sera au final profitable à la formation des élèves.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut