Directeur de l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques de Lausanne, ancien directeur de l’Iredu, Bruno Suchaut suit l’évolution du système éducatif français de près et notamment Pisa. Pour lui, parmi toutes les faiblesses de l’école française, le manque de régulation est le premier problème.
Les résultats de 2015 montrent une nouvelle fois l’éclatement du système éducatif français en lien avec les inégalités sociales. Comment remédier à cette situation ? La politique d’éducation prioritaire est-elle suffisante ?
Au-delà de la place modeste qu’occupe le système éducatif français dans les classements des études internationales, c’est en effet la question des inégalités sociales de compétences entre élèves qui reste la plus préoccupante. À cet égard, il est évident que l’on peut douter de l’efficacité des politiques scolaires conduites plus particulièrement lors cette dernière décennie dans ce domaine puisque les inégalités liées au milieu social n’ont fait qu’augmenter.
Ces inégalités sont en partie le fait de la ségrégation urbaine et scolaire, ce qui justifie une politique volontaire au bénéfice des publics défavorisés puisqu’il n’est pas aisé d’agir sur les mécanismes à l’origine de cette ségrégation. Au fil du temps, la politique d’éducation prioritaire et ses différentes déclinaisons s’est révélée impuissante à réduire les écarts liés à l’environnement culturel, social et économique dans lequel évoluent les élèvent.
Sans doute aurait-il fallu être audacieux dans cette lutte difficile en donnant davantage de moyens à cette politique ciblant les populations scolaires les plus défavorisées ? Outre le volume des moyens mis en œuvre, c’est aussi la manière d’utiliser les ressources qui importe. On sait ainsi que la lutte contre le décrochage et l’échec scolaire doit être menée dès les premières classes de la scolarité en permettant aux élèves concernés de disposer de conditions d’enseignement plus en adéquation avec leurs besoins : davantage de temps individuel d’apprentissage, travail systématique en petits groupes ciblé sur des compétences précises, etc.
Par ailleurs, il est essentiel que les enseignants qui travaillent avec les élèves les plus en difficulté soient des professionnels expérimentés et non des débutants dans le métier. Cela nécessite bien sûr de fortes incitations pour qu’ils acceptent une affectation dans les établissements concernés et qu’ils y restent suffisamment longtemps pour que des progrès apparaissent.
On voit aussi l’écart entre enseignement professionnel et général. Comment y remédier ?
C’est effectivement aussi un problème important de notre système éducatif qui ne date pas d’aujourd’hui mais qui a pris de l’ampleur dans un contexte économique qui s’est nettement détérioré ces dernières décennies. Non seulement les écarts en termes de connaissances et de compétences sont élevés entre les élèves fréquentant l’enseignement général et les autres, mais les risque de décrochage sont également très variables, tout autant que les chances d’accès au marché du travail.
L’enseignement secondaire français reste encore trop calqué sur un modèle valorisant l’élite scolaire et les connaissances académiques. Les parcours dans les voies professionnelles restent encore bien souvent le fait d’un choix par défaut sur la base d’une orientation subie plutôt que choisie. La valorisation des filières professionnelles nécessite une réforme structurelle en profondeur de l’enseignement secondaire. À cet égard, l’exemple allemand avec son système dual qui mixte un apprentissage pratique en entreprise et un enseignement académique théorique est une bonne solution : beaucoup de jeunes choisissent cette voie attractive qui permet une insertion rapide des apprentis sur le marché de l’emploi.
L’évolution divergente entre les disciplines (maths en baisse, sciences stable, et français en hausse) interroge les pratiques et l’environnement des enseignants. Là aussi quelles recommandations peut-on faire ?
Je serai plus prudent dans l’interprétation du classement de la France dans les dernières enquêtes PISA. Le système français reste en fait proche de la moyenne des pays de l’OCDE dans les trois domaines de compétences évalués. Ce qui est intéressant à souligner quand on conduit des analyses sur les données individuelles de PISA, c’est la forte corrélation entre les performances des élèves dans les trois disciplines : les élèves performants en compréhension de l’écrit le sont aussi en mathématiques et en sciences et les élèves faibles le sont aussi généralement dans les trois domaines.
Cela encourage à envisager la politique éducative de manière globale et ne pas se limiter, par exemple, à évoquer les programmes scolaires dans telle ou telle discipline comme cause principale des résultats modestes du système français. Bien sûr, les pratiques pédagogiques au sein des classes et des établissements restent aussi un levier pertinent pour l’amélioration ; cela interroge, et en amont, la formation initiale des enseignants qui doit laisser une large place à la pratique professionnelle.
Certains pays progressent : Portugal, Israël, Pologne; Estonie : comment font-ils ?
C’est sans doute l’un des apports essentiels des enquêtes internationales pour les politiques éducatives qui est de pouvoir mettre en évidence des évolutions positives ou négatives dans les classements d’un même pays à quelques années d’intervalle. Il n’est en revanche pas toujours aisé d’identifié les actions ou réformes précises qui ont conduit à ces progrès ou régressions.
À titre d’illustration on peut être surpris des forts progrès réalisés par la Russie à l’enquête PIRLS au niveau de l’école primaire entre 2001 et 2011 : 40 points en 10 ans ! Cependant, certains pays ont réagi énergiquement suite aux résultats des premières vagues d’enquêtes de PISA en mettant en place des réformes radicales.
Le cas de la Pologne est intéressant car les progrès réalisés depuis 2 000 sont notables et visibles dans les trois domaines de compétences évalués avec, de plus, des écarts entre établissements qui se sont nettement réduits. Le temps des réformes est toutefois un temps long. Ainsi la Pologne a entamé ses réformes depuis 1999 avec des changements importants en 2007-2008 en mettant l’accent sur le pilotage par les résultats.
Plus généralement, on remarque que les pays qui ont mis en place des « standards » qui définissent précisément ce que les élèves doivent savoir aux différents niveaux de la scolarité et qui utilisent des standards comme instrument de pilotage, ont plutôt progressé. C’est en effet la régulation du système qui est la dimension la plus porteuse d’efficacité alors que les réformes françaises ont davantage visé des aspects relatifs à l’organisation du système. Ce sont précisément des modalités de régulation efficientes du système éducatif qui font défaut en France.
Propos recueillis par François Jarraud