Par François Jarraud
Quand les Etats sont fragiles, les ONG dansent. Au Cambodge, c’est l’ONG Sipar qui a entrepris de renouer le contact entre la population et sa littérature après le génocide Khmer rouge qui avait quasiment annihilé les lettrés. Aujourd’hui, le programme de Sipar est carrément entré dans la formation des instituteurs cambodgiens. Cet exemple illustre l’importance des ONG dans le secteur de l’éducation pour les pays du Sud et en même temps la complexité des relations avec les Etats. C’est peut-être lui qui a poussé la Revue internationale d’éducation de Sèvres à travailler sur un sujet aussi délaissé dans la littérature pédagogique que « les ONG et l’éducation ». Encore une fois, après un numéro sur l’école et le plaisir, la revue de Sèvres innove et défriche avec succès.
Très présentes dans les pays du Sud, les ONG jouent un rôle éducatif important. Quel est-il ? Comment se construit-il en relation avec les Etats et les populations ? Comment évolue-t-il en période de crise ? Et face aux nouveaux acteurs que peuvent être les philanthropies d’entreprise ? Quels éléments influent sur les décisions des ONG ? Coordonné par Sandra Barlet, responsable du Gret, une ONG, et Jean-Pierre Jarousse (Rennes 2), ce numéro s’appuie sur les rares spécialistes, venus de disciplines variées, qui travaillent sur les ONG.
Ainsi Philippe Ryfman travaille depuis des années sur les ONG françaises. Il s’est interrogé sur leur quasi abandon du champ de l’éducation alors que la France a une tradition d’aide au développement en ce domaine. Pour lui, si les ONG préfèrent travailler sur l’aide médicale ou l’alimentation, c’est que l’éducation n’est pas un sujet porteur. Les français préfèrent donner pour d’autres causes. La concurrence entre les ONG les obligent à privilégier l’accès aux fonds le plus facile pour soutenir des projets longs et coûteux.
Mais que font les ONG éducatives par exemple en Afrique ? Pour Sandra Barlet, il y a un avant et un après Dakar. Depuis ce sommet de l’ONU qui a fixé des objectifs mondiaux pour l’éducation, les états se sont affirmés sur le secteur de l’éducation. Du coup les ONG ont du évoluer. Aujourd’hui leurs actions se font surtout dans 3 directions. Elles innovent et précèdent les états. Par exemple, S Barlet cite l’exemple des écoles nomades pour accompagner des populations nomades. Ou encore la formation professionnelle : dans des pays où 80% de l’économie reste informelle, l’Etat ignore la formation pour ces secteurs. Elles trouvent des financements pour l’éducation auxquels les Etats n’ont pas accès, par exemple auprès du public. Enfin elles participent à la construction d’une société civile qu’elles contribuent à promouvoir. Un bon exemple en est donné dans la revue par un article sur Aide et action international en Inde qui a élaboré une stratégie pour faciliter l’entrée des femmes dans la vie économique dans un pays émergent.
La revue apporte aussi des éclairages sur les nouvelles philanthropies, venues directement du monde de l’entreprise. Antonio Olmedo et Stephen J Ball partagent les premiers résultats de leur travaux assez critiques sur l’action de ces fonds. Leur puissance leur donne des moyens d’action sur les Etats. Et leurs actions brouillent les repères entre philanthropie, affaires, entreprise et bien public. A coup sûr elles sont perçues comme des concurrents par les ONG.
Un point manque pour éclairer la totalité de ce dossier. Quid de l’action des ONG éducatives dans les pays du Nord ? On voit bien comment, en France, par exemple, l’Unicef ou l’Afev influent sur le débat éducatif. Aux Etats-Unis, la Fondation Gates a également un impact sur le débat éducatif américain comme le montre par exemple la récente étude sur l’effet professeur.
N’empêche, on est admiratif devant l’originalité et l’audace du sujet (et du directeur de la revue Alain Bouvier) et la qualité des articles. Que vont-ils nous proposer pour le numéro 59 ?
François Jarraud
Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°58, Les ONG et l’éducation, CIEP décembre 2011.
Le sommaire
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