Par Jeanne-Claire Fumet
L’Observatoire des Zones Prioritaires (OZP) réunissait mercredi 18 janvier, sous la présidence de Marc Douaire, les représentants de cinq partis candidats à l’élection présidentielle : Olivier Masson pour Europe Ecologie-Les Verts, Jacques Grosperrin, membre de la commission des affaires culturelles et de l’Education pour l’UMP, Bruno Julliard pour le PS, Henriette Zoughebi pour le PC (au nom du Parti de Gauche) et Sylvain Canet (directeur d’école en ZEP) pour le MODEM, pour confronter leurs bilans et leurs propositions concernant l’éducation prioritaire, en présence de représentants de syndicats enseignants, de coordonnateurs ZEP, d’enseignants, journalistes et universitaires. En dix minutes d’intervention chacun, et un bref temps de réponses au public, a été dressé un tableau assez complet des positions politiques sur la question, malgré la propension – annoncée mais non évitée – d’élargir les interventions bien au-delà du thème de la soirée.
Manque de culture de l’évaluation en ZEP
Jacques Grosperrin rappelle d’abord que le programme du candidat UMP est encore en gestation, mais il souligne trois points importants : le socle commun des compétences, abandonné puis relancé depuis 2 ans, qui constitue un cadre fondamental pour acquérir des savoirs fonctionnels et pas seulement académiques ; l’objectif de réduction des écarts entre les différents types d’établissements, tels que PISA les met en évidence – en particulier parce que l’investissement important sur les ZEP depuis leur origine ne donne pas les résultats à la mesure des attentes, ce qui est peut-être le signe du manque d’une culture de l’évaluation et de la réussite. Enfin, le développement d’une réelle ambition scolaire : « les freins à continuer des études viennent parfois des élèves, souvent des parents et fréquemment des professeurs. »
Miser sur l’effet « chef »
Pour lui, les actions mises en place vont dans le sens de la recherche d’une stabilité, d’une plus grande autonomie des équipes et de l’innovation pédagogique. Il faut faire vivre les collèges selon les territoires et les enseignants ; le recrutement sur la base du volontariat présente l’intérêt d’une vraie motivation personnelle, condition d’une réelle implication de l’enseignant dans l’établissement. Les modalités d’accompagnement scolaire, PPRE en alternative aux redoublements, remise à niveau et accompagnement scolaire, en particulier par les stages pendant les vacances scolaires; lui semblent efficaces. « Pourquoi vouloir supprimer les Rased ? » s’interroge lui-même le député UMP, qui avoue souhaiter garder un certain nombre de postes. Mais le leit-motiv du représentant de l’UMP tient dans une double formule : autonomie administrative des établissements et rôle accru de leurs chefs. L’UMP mise beaucoup sur « l’effet chef » pour mobiliser les équipes et accroître leur efficacité.
Des dispositifs empilés
Pour les écologistes, représentés par Olivier Masson, il faut en finir avec l’empilement des dispositifs qui nuit à la lisibilité et renforce la stigmatisation. Leur multiplication les met en concurrence, crée de la rivalité entre les établissements et contraint les familles à des stratégies complexes, alors que la coopération est essentielle en ce domaine. D’autre part, la stabilité et la cohérence des équipes éducatives n’est pas réalisée et la mastérisation accentue la carence d’enseignants volontaires en ZEP.
S’appuyer sur une politique de la ville
Une gestion écologiste demanderait à parier davantage sur le territoire : raisonner en bassin de vie – pas d’éducation, pour éviter de se régler sur les débouchés locaux, au risque d’un enfermement sur les territoires. Faire travailler ensemble tous les acteurs, à commencer par les collectivités locales, dans un souci de transparence et d’objectivité, pourrait commencer par une démarche scientifique de repérage sans stigmatisation, qui rendrait public les budgets de tous les établissements. Restaurer du collectif, plutôt qu’individualiser, dans les apprentissages et l’expérience vécue, dans le travail des enseignants, dans l’ouverture aux « éducations à… (la santé, la sexualité, le développement durable)», passerait par une meilleure articulation entre Ministère et politique de la ville ; mais il faudrait surtout pérenniser les moyens donnés à l’éducation prioritaire et favoriser les formes d’apprentissage de la mobilité vécues par les enfants (retour au pays d’origine pendant les vacances, par exemple). Enfin, constituer des équipes de volontaires dans des établissements à taille humaine serait une condition élémentaire pour réussir l’éducation prioritaire.
Sortir de la sélection par l’échec
Bruno Julliard tient à rappeler que tous les arbitrages ne sont pas encore rendus au PS pour le projet sur l’éducation. Mais une réforme en profondeur est prévue : le système, fondé sur le tri scolaire et social, doit évoluer pour ne plus sélectionner par l’échec. La sélection des élites ne correspond plus aux exigences démocratiques de la société. Les enjeux de cette transformation pour le PS : l’égalité, les rythmes scolaires, la formation des enseignants, la relance de l’éducation prioritaire, l’amélioration des métiers enseignants (missions et organisation) et surtout la rénovation et la réalisation d’un socle commun progressiste, dont la difficulté tient dans l’articulation entre primaire et collège.
Miser sur le volontariat des enseignants
En ce qui concerne l’éducation prioritaire, ni égalitarisme ni élitisme masqué pour le PS : il faut donner plus à ceux qui ont plus de besoin, et ne pas céder aux discriminations positives (internats d’excellence, filières Sciences-Po) qui sortent les meilleurs parmi les défavorisés. Une publication des dotations (en euros, pas en postes) des établissements montrerait qu’il n’y a pas en réalité de politique d’éducation prioritaire à l’heure actuelle; mais une priorité aux lycées de centre-ville.
Pour Bruno Julliard, il ne peut y avoir de progrès à moyens constants : la proposition de créer 60000 postes doit permettre de donner un contenu au projet de rénovation. Les points forts : favoriser la scolarisation dès 2 ans, surtout dans les milieux populaires où on scolarise peu ; lutter contre la ghettoïsation, que la sectorisation ne vainc pas, faute de mélange social, mais aussi réformer les obligations de service en ZEP avec moins de temps devant les élèves et plus de concertation, plus d’autonomie pédagogique (pas administrative) et développement des partenariats éducatifs, culturels, familiaux. Plutôt qu’un recrutement sur profil par les chefs d’établissements, la candidature volontaire des enseignants motivés et informés sera un gage de stabilité des équipes.
Une volonté politique indispensable
Henriette Zoughebi, au nom du PC, pour le Front de gauche, entend réaffirmer le sens général de l’école au sein de la société. La référence doit être l’élève qui n’a que l’école pour réussir, dans une société où l’obtention d’un diplôme garde tant d’importance. Repoussant l’idée de milieux défavorisés au profit du terme, plus digne, de milieux populaires, elle souligne le lien pernicieux tissé par le dispositif Eclair entre difficulté scolaire et violence, et la fausse solution de l’autonomie des établissements. Elle déplore le désengagement de l’Etat qui laisse peser les finances sur les collectivités locales et rappelle que l’abandon des cours du samedi matin en maternelle et primaire compromet les acquisitions de base des élèves. Elle conteste l’idée d’une égalité des chances, aléatoires, au profit de celle d’une égalité des droits : il faut donner à tous les conditions pour réussir à égalité leurs apprentissages. Pour lutter contre les inégalités, il faut faire cesser la concurrence entre les établissements, entre autre par une réelle politique du logement qui supprimerait les ghettos actuels, de riches comme de pauvres et obligerait toutes les villes à développer du logement social. Rien ne se fera seul, conclut-elle, il faut une volonté politique d’ambition pour l’école.
De l’autorité et du calme dans les ZEP
Sylvain Canet, pour le MODEM, se dit très inquiet de l’état actuel de l’école. Il souligne la piètre dotation de l’éducation prioritaire et rappelle qu’on repère les difficultés scolaires dès la Petite Section sans y remédier. Il prône un effort centré sur le primaire et l’apprentissage des fondamentaux, ainsi que sur la formation des enseignants. Pour réussir une nouvelle politique de l’éducation, le MODEM veut dépasser « la politique du soupçon » et prendre le meilleur des propositions et expériences de droite comme de gauche. A défaut de solutions miracles, il faut mutualiser les bonnes pratiques, travailler l’aide à la parentalité, renouer avec le coeur du métier enseignant, c’est-à-dire pour lui « lire écrire, compter », harmoniser instruction et éducation et favoriser les échanges au sein des quartiers. En conclusion, tranche le représentant du Modem, « il faut rétablir l’autorité et le calme contre la violence dans les ZEP » et favoriser le pilotage de proximité.
Quelles dispositions spécifiques pour l’éducation prioritaire ?
Priés par le président de l’OZP, Marc Douaire, de préciser leurs propositions spécifiques pour l’éducation prioritaire, les représentants des partis candidats ont répondu successivement : renforcer le taux d’encadrement pour le PC, accroître l’attention politique et l’investissement budgétaire, mais sans effet de saupoudrage, pour le PS ; tenir compte des difficultés économiques – faire mieux sans rien de plus pour l’UMP, avec un repérage précoce de l’échec et l’accent porté sur les classes de GS au CE2, au profit desquelles un redéploiement des moyens existants est concevable ; jouer sur une politique spécifique de la ville pour EELV ; réattribuer des moyens au primaire et dégager du temps de concertation pour les enseignants, selon le Modem.
Au terme d’un débat plus large sur le recrutement et la formation des enseignants, les principes d’autonomie et d’individualisation, la mise en concurrences des établissements scolaires, mais aussi l’intérêt d’enseignants chevronnés dans les ZEP et le devenir des dispositifs actuels, les clivages se marquaient entre tenants d’une démocratisation générale de la réussite scolaire dans le cadre préservé d’une institution d’Etat consacrée au service public et les propositions plus libérales des partisans d’une réussite sélective fondée sur le jeu des capacités personnelles, avec une moindre considération des déterminismes sociaux comme facteurs fondamentaux de disparité des situations scolaires.
Jeanne-Claire Fumet
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