Pour être tout à fait franc, nous aimerions, ici au Café pédagogique, faire rouler la conversation sur d’autres sujets que ceux que l’actualité nous impose. Mais les initiatives ministérielles et ce que l’on pressent du projet qui les inspire nous empêchent d’introduire ce soixante-neuvième numéro de notre revue autrement que par des mots amers.
Quelques semaines et « un peu de bon sens » auront suffi au nouveau ministre pour diagnostiquer tout en finesse les maux de l’école et les corriger. Fi des travaux que des chercheurs insensés ont produit ! Fi de l’expérience de milliers d’enseignants qui élaborent leurs méthodes au contact quotidien des élèves ! Gilles de Robien corrige les détestables méthodes d’apprentissage de la lecture que des enseignants irresponsables continuent d’appliquer dans les écoles. Grâce à lui l’hydre de l’illettrisme est terrassée et les méchants pédagogues surveillés de près par des parents avertis. Fi des banlieusards mal léchés ! Ils sont invités à déguerpir hors de l’école dès 14 ans. Fi des ZEP ! Les meilleurs élèves sont appelés à les quitter et à rejoindre les « bons » lycées.
Depuis ces trouvailles, tout s’enflamme. Ceux-là même qui devraient prôner l’instruction recommandent d’essayer l’ignorance, rebaptisée « bon sens populaire ». Le ministre dénigre son administration taxée d’incompétence. Les parents chapitrent les enseignants. Des inspecteurs généraux n’hésitent pas à écrire leurs doutes sur les compétences des corps d’inspection. Les enseignants se rebellent contre le ministre et « l’administration ». Les professeurs agressés par leurs élèves agressent leurs proviseurs ou leur inspecteur. Les proviseurs qui assument publiquement leur homosexualité sont révoqués. Les inspecteurs sont sommés d’appliquer des directives qu’ils désavouent. Bientôt, des théories pédagogiques dénoncées par des pamphlétaires de la pire espèce comme nocives et responsables de « la destruction de l’école » seront proscrites des universités.
Oui, nous sommes amers et inquiets. Comment ne pas l’être ?
La qualité du système éducatif français dépend, plus que d’autres, des compétences et de l’engagement de ses enseignants. C’est ainsi. Dans d’autres pays, une autre tradition accorde une place plus importante à l’établissement scolaire et à son organisation.
Notre école a des qualités et des défauts. Mais elle fait bonne figure dans les comparaisons internationales. Elle doit évidemment évoluer et ne peut espérer y parvenir qu’en s’appuyant sur ses points forts, c’est-à-dire sur ses enseignants. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait et nous sommes, ici au Café pédagogique, bien placés pour le savoir.
Il est vrai que sur le plan de l’organisation comme sur celui des pratiques pédagogiques, l’école française suit la même pente d’évolution que tous les autres pays développés : déconcentration des pouvoirs, renforcement de l’autonomie des établissements et des territoires, développement des pratiques de mutualisation, des pédagogies actives et individualisées. Les technologies du numérique et les réseaux ne sont évidemment pas pour rien dans cette évolution.
Le trésor de l’éducation nationale n’est pas rue de Grenelle. Il est dans les efforts inépuisables des enseignants qui ne se satisfont pas du « bon sens » pour faire face aux difficultés quotidiennes. En dépit du climat délétère qui pèse sur elle, l’Ecole continue d’accomplir sa mission d’éducation. Nous invitons les enseignants à chercher ensemble et avec nous les bases d’un nouveau projet pour l’Ecole.
F. Jarraud – S. Pouts-Lajus
Les citoyens construisent l’Ecole
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