Comment vont nos élèves ? C’est la question que chaque enseignant s’est posée avant de retrouver ses classes en septembre. Cette question revêt une dimension psychologique, et une dimension pédagogique : quels sont les apprentissages acquis ? Sur quoi revenir ? Pour qui : quelques élèves, une partie de la classe, tous ? Et comment parvenir à faire avancer chacun au mieux de sa situation propre ?
Faire face à l’hétérogénéité
Comme tous mes collègues, c’est dans cet état d’esprit que j’ai fait ma rentrée : à l’affût des indices, des regards (les sourires et les moues étant invisibles sous les masques), des mots prononcés. J’étais avant tout heureuse de retrouver des élèves, des classes entières, un rythme régulier, et pourvu que ça dure. Mais notre objectif, c’est de faire réussir les jeunes. Les préparer à la suite de leur scolarité le plus sereinement et solidement possible, leur permettre de choisir, leur donner envie de grandir, les outiller pour être des adultes accomplis. Dans le contexte actuel, c’est un défi encore plus grand que les années précédentes.
Pour me donner des repères, j’ai commencé à proposer des Courses aux nombres aux élèves, chaque semaine, dès la rentrée. Il s’agit d’un rallye de calcul mental national, organisé initialement par l’académie de Strasbourg, dont la première manche a lieu en mars et la seconde en juin. Pour ma part, je soumets un sujet d’entraînement à chacune de mes classes de façon hebdomadaire. Le rallye est minuté : nous y consacrons 9 minutes, et un quart d’heure de correction de questions choisies. C’est non négligeable dans la semaine, mais tellement efficace et motivant pour les élèves et pour moi, que le jeu en vaut la chandelle.
Mais deux semaines après la rentrée, je me trouve devant une difficulté : plusieurs élèves obtiennent en sixième des scores très faibles. Ils me disent ne plus se souvenir des tables de multiplication, et en effet ils ne donnent aucun sens à cette opération. D’autres sont restés dans une dynamique d’apprentissage qui leur donne envie d’aller plus loin, maintenant. Que faire, pour conserver un groupe classe tout en répondant aux attentes et aux besoins de chacun ?
Donner envie
J’ai décidé d’avoir recours à une pratique que j’avais testée avec succès dans les écoles, l’année dernière, en tant que Référente Mathématique Académique dans le cadre du plan Villani-Torossian : le number stick. Puisqu’il s’agit de rappeler le sens de la multiplication tout en donnant envie d’avancer dans les apprentissages, revenons donc au sens de la multiplication avec une nouvelle table : la table de 12.
Il se trouve que je n’ai pas retrouvé mon number stick dimanche, chez moi, après avoir eu cette idée. Mais il n’était pas non plus dans ma classe. J’ai donc improvisé un number stick à l’aide d’une grande règle de tableau et de post-it, et c’était parti.
Le principe est simple : on commence par construire la table de 12. Sur la règle, des emplacements indiquent qu’on va porter 0×12,1×12,…,10×12. L’enseignant les complète au fur et à mesure, en suivant les instructions des élèves. Pour 0×12,1×12,et 10×12, c’est facile. Que compléter ensuite ? Les élèves proposent presque invariablement 5×12, et ils ont raison. C’est l’occasion de rappeler que 5×12, c’est la moitié de 10×12, parce que 10×12=2×5×12. Ce n’est pas si évident : c’est une propriété de la multiplication, l’associativité. Une fois ce 60 « central » posé, on continue : « 2×12 c’est facile, c’est 12+12 ». Très bien, et très important : la multiplication vue comme une addition itérée est incontournable. Souvent, 4×12 arrive dans la foulée, comme double du double. Et pour 3×12, on a le choix : calculer mentalement 3 fois une dizaine plus 3 fois deux unités, ajouter 12 à 24 (on ajoutera 2 et 10, ou 10 et 2), ou soustraire 12 à 48 (plus délicat, mais c’est l’occasion de s’interroger : pour soustraire 12, soustrait-on 10 et ajoute-t-on 2 ? Ah tiens, non ; pourquoi ?). Cette fois, c’est la distributivité qui permet ces procédés. On passe alors à la partie de droite du number stick, complétée par des procédés équivalents, et variés.
Voilà notre number stick tout habillé. La table est construite. Il est temps d’apprendre. Alors on répète, tous ensemble, plusieurs fois, les multiples de 12. Puis on ôte des étiquettes « faciles » : le 0, le 12, le 120. Et tous ensemble, on recommence, en verbalisant les produits correspondant aux étiquettes disparues, aussi. On en enlève d’autres, progressivement, et on répète. Au final, le number stick est revenu à son état premier : il ne reste plus que les repères initiaux. Mais on répète quand même. Souvent, les « sept fois … », « huit fois… » donnent lieu à des cafouillages. Ce n’est pas grave : il faut du temps pour apprendre. Au fur et à mesure, la participation des élèves s’est affirmée. Ils sont plus décidés, plus dynamiques, et tous participent, alors qu’au départ quelques-uns cachaient leur silence derrière leur masque.
Donner du sens
Mais tout ça pour quoi ? D’abord, pour rappeler le sens et les propriétés de la multiplication.
Ensuite, pour prendre un temps pour la mémorisation, rappeler que pour retenir à long terme il faut réactiver, que nous n’en avons pas fini. D’ailleurs, les rituels d’entrée de classe porteront cette semaine sur la table de 12. Et nous utiliserons à nouveau l’application Défi Tables, sur tablettes, pour mesurer les progrès.
C’est aussi une activité qui permet de faire prendre conscience aux élèves qu’ils font partie d’un groupe : la parole est collective, rythmée. On avance ensemble, on se trompe finalement assez discrètement, on se donne un objectif commun.
Enfin, la table de 12 n’étant pas familière pour les élèves, il y a un enjeu. Nous avons appris quelque chose de nouveau.
Toutefois, le number stick a des limites dont il faut avoir conscience : il n’est utilisable qu’une fois le principe multiplicatif posé. Il ne suffit pas à l’apprentissage des tables dans le sens où un élève n’est pas forcément en mesure de répondre à 6×12 sans passer par les produits précédents, car ce sont les produits ordonnés qui sont répétés. Il contribue à poser un répertoire multiplicatif, mais doit être suivi de prolongements. C’est un outil, mais pas une baguette magique.
J’ai hâte de mesurer les effets de ce number stick-là. Et de pouvoir vous le raconter…
Claire Lommé