Finalement, les enseignants seront-ils les grands perdants de la réforme des retraites ? Alors que le gouvernement cherche une issue et qu’on semble approcher d’un accord avec au moins une partie des organisations syndicales, la position des enseignants se fragilise. Malgré leur imposante mobilisation, un accord sur les retraites pourrait se faire sur leur dos. Pour une raison très simple : ce sont eux qui ont le plus à perdre dans la réforme et ceux pour qui les solutions sont les plus difficiles à obtenir.
Les discussions entre syndicats et gouvernement sur la réforme des retraites sont médiatiquement centrées sur l’âge pivot. Or, à l’évidence, si c’est un souci pour tous les salariés, ce n’est pas la préoccupation majeure des enseignants. La réforme des retraites, si elle a réussi par sa violence à mettre dans la rue une majorité des enseignants, n’est pas la seule raison de leur mobilisation.
Tout le monde a été surpris par la puissance de la mobilisation enseignante. Rappelons que le 5 décembre entre la moitié et les trois quarts des enseignants ont fait grève. Il faut remonter aux années Allègre ou à mai 68 pour trouver autant d’enseignants dans un mouvement social. Si le mouvement a baissé d’un niveau le 10 décembre, les réponses apportées par JM Blanquer aux enseignants l’a fait remonter presque au niveau de départ le 17. Alors que les congés de Noël vont apporter une pause, on peut dire que les enseignants sont très majoritairement mobilisés aussi bien dans le 1er que dans le 2d degré.
Mais mobilisés contre quoi ? Certes il y a la réforme des retraites. Les enseignants ont bien compris que le nouveau système de calcul, la retraite par points va jouer contre eux. Ils n’ont rien à gagner de l’inclusion des primes dans le calcul de la retraite, en ayant très peu. Ils ont tout à perdre au calcul de la retraite sur toute une vie professionnelle au lieu des 6 derniers mois. Seule cette période finale de leur carrière est correctement payée. En calculant leur retraite sur toutes leurs années professionnelles, on les oblige à prendre conscience de la façon dont ils ont été exploités durant toutes ces années.
De tous les salariés mobilisés contre la réforme des retraites, les enseignants sont ceux qui ont le plus à perdre financièrement. Leurs pensions devraient diminuer d’au moins un tiers. Pour les mettre à niveau il faudrait relever fortement leurs salaires. Si le gouvernement le promet, les professeurs n’ont pas oublié la parole du président de la République assurant qu’il ne le ferait pas.
Mais le pire n’est pas ce regard rétrospectif. Le pire c’est que la réforme veut les obliger à regarder l’avenir, un avenir redéfini par JM Blanquer.
De tous les salariés mobilisés contre la réforme des retraites, les enseignants sont aussi les seuls qui sont soumis à un chantage ministériel. Leur ministre les enjoint d’accepter une redéfinition de leur métier pour pouvoir bénéficier d’une revalorisation amortissant, dans une proportion qui reste à définir, les pertes liées à la réforme.
Le nouveau métier enseignant que veut mettre en place le ministre, avec l’aval du président, n’est rien d’autre que l’application en France du New Public Management (NPM). Il est déjà bien amorcé par la loi Blanquer et surtout par la loi de transformation de la Fonction publique. Les bases en sont jetées aussi par les évaluations nationales. Evalués individuellement par ces évaluations, les professeurs seront « responsabilisés » aux résultats de leurs élèves. Ils le seront d’autant plus que l’autorité de leur supérieur hiérarchique est considérablement renforcée par la suppression des commissions paritaires. Dans la vision du NPM, ce contrôle doit permettre de relever le niveau des élèves. On sait, par l’expérience des pays qui l’utilisent, qu’il a surtout pour effet de faire démissionner en masse les enseignants et dans plusieurs pays également les chefs d’établissement. Le métier change et devient un métier d’exécutant sous contrôle. Les enseignants du premier degré en ont déjà un avant gout. Quant aux élèves ils réussissent mieux les tests. Ce qui ne veut pas dire qu’ils sont meilleurs.
JM Blanquer ne cache pas ses objectifs : faire travailler davantage les enseignants qui sont concernés par la réforme, ajouter de nouvelles missions, individualiser les carrières et les rémunérations. Tout cela a été dit.
JM Blanquer ne doute d’ailleurs de rien. Même pas de sa position de force. On aurait pu penser qu’il fasse des concessions dans la période actuelle. Ce qui vient d’arriver à Canopé ou encore les choix faits pour les cartes scolaires des 1er et 2d degré montrent qu’il n’en est rien.
Cette dureté s’explique. JM Blanquer est aussi le ministre qui a le plus à gagner et perdre dans le conflit des retraites. Il n’échappe à personne que la mobilisation aussi exceptionnelle des enseignants dans le conflit des retraites lui doit beaucoup.
Harcelée, menacée, méprisée depuis des mois, la profession est montée en pression tout au long de l’année dernière. La mobilisation des enseignants contre la loi Blanquer a déjà été très forte. Au point que la majorité a du retoquer certains articles. Ce qui s’est passé avec le bac a montré qu’un point de non retour a été atteint entre les professeurs et leur ministère. Le tabou de la grève du bac a été levé sans confrontation entre enseignants. La grève a été comprise. La réponse ministérielle qui a piétiné les valeurs de l’Ecole en trichant sur les résultats a creusé le fossé. Tout cela c’est ce qu’on entend dans les manifestations actuelles. Ou ce qu’a entendu le public lors de la réunion de Nancy.
Le conflit des retraites peut être un excellent marche-pied politique pour le ministre s’il s’arrête rapidement. JM Blanquer passerait pour le ministre qui a brisé les enseignants et les a définitivement transformés en prolétaires. Un accord se ferait contre le premier ministre actuel ce qui libèrerait une place…
Les jours qui viennent peuvent être déterminants pour le conflit et donc pour l’avenir des enseignants. C’est là que leur mobilisation pourrait être déterminante. Mais c’est les vacances…
F Jarraud
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