Rencontre avec Jean Didier Vincent, professeur des Universités, ancien membre, vice président et président du Conseil National des Programmes.
Ayant récemment quitté le Conseil National des Programmes, atteint pas la limite du mandat de 10ans qu’il y a accompli, Jean Didier Vincent est revenu sur cette structure de l’institution éducation nationale puis a évoqué avec nous les évolutions des programmes et plus généralement du système scolaire.
Créé en 1991, le Conseil National des Programmes, est resté cette instance qui a tenté de se protéger des groupes de pression multiples qui n’oublient jamais de se faire entendre dès qu’il s’agit de toucher à quelque partie des programmes scolaires que ce soit. La difficulté de travailler au sein de cette entité ne doit pas en faire une raison pour l’abandonner, c’est pour cela que J.D Vincent a continué d’œuvrer dans le souci de faire des programmeslisibles, accessibles et qui évitent les pièges de la disciplinarité et de la redondance. Malgré des critiques sur des réformes baclées, comme celle du collège, il a insisté sur la difficulté qu’éprouvent les enseignants devant le caractère de plus en plus » disparate » des élèves et la nécessité de définir les fondamentaux de l’école primaire. Si d’aucuns peuvent penser qu’il suffit de rehausser le niveau d’exigence pour les élèves, ils se trompent, c’est dans la formation des enseignants qu’il est nécessaire d’investir. Le métier d’enseignement devient de plus en plus difficile et nombre de jeunes enseignants ne maîtrisent pas eux même les fondamentaux auxquels ils tentent de faire accéder leurs élèves. Ils ont souvent peur, par exemple, de la science.
Il est nécessaire, pour J.D. Vincent de repenser la place de l’éducation et de l’instruction. On théorise beaucoup trop dans de nombreuses situations et quand le » jargon apparaît, la pensée cesse d’être claire « . Le CNP a fait tâche dans l’excés d’administration piloté par de nombreuses personnes dont l’identité se définit souvent et en premier lieu par un » je n’enseigne plus » qui donnerait un droit nouveau à parler de ceux » qui enseignent encore « , voire de les contrôler.
L’un des principaux problèmes de l’école serait son rapport à la culture. Le développement d’Internet n’a fait que renforcer les rsiques d’une école qui devrait être » génératrice de culture et non pas accumulatrice de savoirs en vue de passer des examens « . La culture, définie comme un » savoir dans la société et avec les autres » mérite d’être réhabilitée sur la base de la parole, de la communication, de la séduction et de la réflexion. Pour J.D. Vincent il faut faire la différence entre un artisan cultivé et un assembleur de meubles en kit. Les sciences tentent d’aller dans ce sens actuellement. Par contre la technologie reste » une plaie dans le flanc de l’éducation nationale » et donne lieu à une surcharge de verbalisme qui devrait laisser la place à une réflexion sur la culture technologique, scientifique et aux formations qui doivent les accompagner.
La dimension pluridisciplinaire ne doit pas être trop dogmatique, mais elle doit être un » idéal impossible « . J.D. Vincent privilégie l’aspect émotionnel et souhaite que l’oin réintroduise » la gestuelle » dans l’apprentissage et que l’on développe la compassion. Il est aussi nécessaire de se méfier du raccourci que pourrait constituer le repli sur la » complexité « . Ce qui fait réellement problème c’est » le simple » et la démarche de » déconstruction » proposée par Jacques Derrida lui semble plus prometteuse et plus riche. On ne peut certes prétendre former des philosophes à l’école, mais peut-être peut-on tenter de développer une culture philosophique qui ne s’arrête pas à quelques extraits d’auteurs ou à des instants de maïeutique souvent peu » philosophiques « .
Pour ce qui est des Technologies de l’Information et de la Communication, il est hors de question de leur tourner le dos dans l’école. Même si le » Net » manque trop souvent de » synthèses » pour être un support réellement utilisable, il ne peut être ignoré. Quelques écueils sont à éviter : la perte du geste de l’apprenant au profit de quelques touches de clavier appuyées, l’oubli de ce qui a été fait et écrit au profit de l’instant, la fascination de l’écran révélateur d’un manque de créativité. Il faut réintroduire de nouveaux usages qui permettent de rendre » négligeables » les ordinateurs dans leur environnement qu’il soit celui de l’école comme celui du laboratoire scientifique. Il y a donc un nouvel espace de manipulation qui est » dé-réalisé » avec l’utilisation de l’ordinateur. Le danger de l’absence de » passage à l’acte » est pourtant de plus en plus fort, sorte d’absence de geste et donc perte de mystère.
En conclusion on peut dire que pour Jean Didier Vincent, neurobiologiste dont les travaux actuels se poursuivent autour des émotions et du goût, une véritable culture doit permettre d’apprendre à penser, à condition que l’on n’oublie ni l’émotion, ni le plaisir, partagés avec l’autre, essentiel pour permettre la construction humaine des jeunes.
La place d’un mouvement d’éducation populaire dans la société de l’information.
Personne ne nie la nécessité d’une formation pour aller vers la maîtrise de l’information. Mais cette formation n’est plus seulement issue de l’école. La société est de plus en plus cultivée, le niveau de culture n’a cessé d’augmenter ces cinquante dernières années et a priori cela ne fera que croître. La question posée par Eric Favey (Président de la Ligue de l’enseignement) est, et notamment pour les mouvements d’éducation prioritaire : Comment mobiliser cette culture pour aller vers un progrès démocratique ? Les opinions, les jugements, les représentations que l’on peut avoir des autres proviennent essentiellement des médias. Sur une vie de 80 ans, 3 années sont passées à l’école, 12 années devant la télévision et 3 devant les autres médias.
Certes la société a changé, nous dit Dominique Wolton (chercheur CNRS-laboratoire de communication et politique), mais les grandes problématiques restent. Il s’agit donc de savoir ce que l’on abandonne, ce qui change… Hier, la société était structurée pas des oppositions idéologiques violentes (gauche/droite, Est/Ouest).
Il faut conserver l’école comme LE lieu de formation
L’individualisme augmente avec le succès des technologies de l’information et de la communication interactives, mais cela met-il pour autant en péril le collectif ? Il faut/faudra reconstruire du collectif pour défendre les libertés individuelles. Il faut reconstruire le » être ensemble « , certainement différemment. Cela était pris en charge par l’école. Mais depuis cinquante ans, l’extérieur à l’école devient de plus en plus important. Il faut cependant conserver l’école comme LE lieu de formation (il est nécessaire de la légitimer) à la fois comme lieu physique et comme symbole. Le modèle de transmission était essentiellement vertical. Ce modèle change. Il faut travailler sur la communication. Les technologies, les techniques sont sans importance. Pour répondre à la question énoncée lors de cette rencontre, on peut dire qu’il faut introduire du contenu à un projet de développement technologique. Il est nécessaire de sortir de ces enjeux techniques pour revenir à des enjeux politiques et collectifs. En travaillant ainsi, on intègre la problématique de l’individualisation car le travail est alors la relation à l’autre et l’autre. Un problème qui n’est pas résolu c’est qu’on ne conçoit pas les sociétés actuelles comme fondamentalement multiculturelles. Or, il est impossible de faire l’impasse sur les communautés. Il y a un aveuglement sur les communautés par peur du communautarisme.