Conférence de Michel FAYOL
Notre système orthographique est un des deux systèmes les plus difficiles du monde. Pour autant, il ne s’agit pas d’aborder ici sa simplification.
1 – Un constat de baisse
Chervel et Manesse ont pu établir une baisse du niveau en orthographe à partir de la dictée de Fénelon. Cette baisse est toutefois à nuancer.
• XIXe : sur 3 114 élèves, 7 fautes en moyenne.
• 1987 : 8 fautes en moyenne
• 2005 : 13 fautes en moyenne.
En gros, les élèves de 2005 accusent un retard de performance d’environ 2 ans par rapport à 1987. Les erreurs ne sont pourtant pas équivalentes.
Voici le décompte des erreurs
Phonographie | Accords | Lexique | |
1875 | 25 | 25 | 25 |
1978 | 10 | 40 | 20 |
2005 | 10 | 45 | 20 |
On observe donc :
– Pas de dégradation pour la phonographie et pour le lexique.
– Une très forte progression des erreurs d’accords.
L’orthographe n’est pas homogène. Le domaine qui pose des problèmes est donc celui des accords et de la morphologie.
2 – Analyse linguistique
Le système idéal associerait une lettre à un phonème. C’est en partie le cas pour l’Espagnol, l’Italien, l’Allemand à moindre mesure. En Français, on trouve plus de phonèmes que de lettres. Par exemple, le son [in] se décline de plusieurs manières : in (42%), en (33%), ain (17%), im (5%), ein (3%), aim, ym, un, yn, eim.
Certains graphèmes correspondent à plusieurs phonèmes (ex : ch – s – c). En même temps, certains phonèmes correspondent à plusieurs graphèmes. Le phonème le plus difficile à transcrire est le [é].
La langue française comporte plusieurs lettres muettes.
Enfin, on trouve des marques morphologiques sans correspondance phonologique : ex : les poules picorent. Notre amie est fâchée. Les enfants ne peuvent pas le savoir avant l’école.
Conséquence : il ne suffit pas de connaître les correspondances phonèmes-graphèmes pour savoir lire et écrire. On doit aussi disposer de connaissances lexicales, des marques morphologiques et connaître les irrégularités.
3 – Première étape de l’apprentissage : découverte du principe alphabétique
Pour ce domaine, lire et écrire se complètent, les problèmes sont les mêmes. Il s’agit de s’approprier les lettres et leurs noms, de développer une conscience phonologique.
Le Français n’est pas très complexe en lecture, il l’est davantage en écriture. La seule activité qui aboutit à des performances de bonne qualité est celle qui demande aux enfants une écriture inventée et qui, en même temps, fournit un feed-back sur l’écriture. C’est important pour l’orthographe, mais ça n’a pas d’effet direct sur les apprentissages en lecture.
4 – Deuxième étape de l’apprentissage : les régularités et les formes orthographiques ne suivant pas forcément les correspondances usuelles.
Les apprentissages orthographiques ne peuvent pas uniquement se faire par l’intermédiaire d’un enseignement explicite. Pour bien écrire, les enfants cherchent et s’appuient sur des régularités de la langue.
Par exemple, pour [o] qui s’écrit o, au ou eau en fonction de la place dans le mot : eau très rarement en début de mot, o rarement en fin de mot. De plus, on trouve o, au ou eau selon les consonnes qui précèdent ou suivent : eau rarement après f (vitafo), eau souvent après r (vitareau).
Très tôt, les enfants mémorisent des régularités, comme pour la reconnaissance des visages. Ils savent le faire sans forcément être capables de l’expliquer. Le savoir-faire diffère du savoir sur le savoir-faire.
5 – Troisième étape de l’apprentissage : la forme lexicale des mots
Est-ce que l’apprentissage de la forme des mots est implicite ou pas ?
Les mots n’existent qu’à l’écrit.
– Bon lecteur et bon en orthographe : 21 %
– Bon lecteur et faible en orthographe : 4 %
– Faible lecteur et faible en orthographe : 18 %
– Faible lecteur et bon en orthographe : 4 %
Les enfants mémorisent des formes de mots qui permettent d’écrire des mots correctement sans les avoir rencontrés. La plus grande partie des apprentissages se fait de manière autonome.
6 – Quatrième étape de l’apprentissage : la morphologie (les accords)
La plupart du temps, il n’y a pas de marque audible au pluriel.
Il existe plusieurs types d’erreurs :
– Des omissions : par ignorance ou par surcharge (gestion de l’attention)
– Des substitutions (une marque à la place d’une autre, par exemple et/est) : par généralisation erronée ou par remémoration trop rapide.
Comment faire pour l’enseigner ?
a) Il semble nécessaire d’enseigner l’accord des verbes, plus que celui des noms.
b) Pourtant, bien que sachant qu’il faut mettre un –s, beaucoup d’enfants ne le mettent pas. On peut très bien savoir qu’il faut le faire sans le faire. Produire des accords ou repérer des erreurs sont deux activités qui ont le même impact, insuffisant, sur l’apprentissage de l’orthographe. C’est l’utilisation des marques qui pose problème.
c) Si des enfants connaissent les règles d’accord, ils ont du mal dans leur mise en œuvre. Le problème est donc d’apprendre les marques et leurs significations, mais surtout l’utilisation de ces marques, en particulier dans des contextes divers.
d) On ne peut donc pas se contenter d’apporter des savoirs. Il s’agit aussi de développer des habiletés.
e) Ces habiletés peuvent être développées par l’intermédiaire d’un enseignement explicite des accords, notamment sur une séquence de 3 semaines, à raison de 20 minutes par jour, avec des exercices du style : les facteurs distribuent des lettres.
voir aussi
FAYOL M., JAFFRE J-P., Orthographier, Paris, PUF, 2008.
A partir des notes prises par Sylvain Connac