Auteur de « Gouverner l »école », un des meilleurs livres sur le système éducatif français, père de quelques uns des outils d’évaluation utilisés par l’Education nationale, Denis Meuret réfléchit à l’évaluation du système éducatif depuis 20 ans. Il analyse les résultats alarmants de l’école française et les lie à un défaut de gouvernance. « En France, les formes traditionnelles de régulation de l’enseignement, comme l’inspection des enseignants, se sont affaiblies, tandis que (des) formes nouvelles n’ont pas été mises en place ».
Bousculé par le Café Pédagogique, le ministère de l’Education Nationale a publié récemment les résultats alarmants d’une étude de la DEP, une comparaison des performances des élèves de CM2 public à vingt ans de distance, de 1987 à 2007 (NI 0838). Les premiers ont été à l’école primaire de 1982 à 1987, les seconds de 2002 à 2007. Rappelons ces résultats, ils en valent la peine. En lecture, 66% des élèves de 2007 ont un score inférieur au score de l’élève moyen de 1987 ; par ailleurs, 21 % des élèves de 2007 sont au dessous du score au dessous duquel se situaient seulement 10% des élèves de 1987. Par ailleurs encore, 8% seulement des élèves de 2007 se situent au dessus du score au dessus duquel se situaient 10% des élèves en 1987. En bref, s’agissant de la capacité de comprendre un texte, le niveau de l’élite baisse, le niveau moyen baisse davantage et le niveau des élèves les plus faibles baisse davantage encore. L’évolution est pire en mathématiques : Le score moyen a baissé de sorte que 80 % des élèves de 2007 ont un score inférieur au score de l’élève moyen de 1987 ; par ailleurs, 32 % des élèves sont au dessous du score au dessous duquel se situaient seulement 10% des élèves en 1987 et 4% seulement des élèves se situent au dessus du score au dessus duquel se situaient 10% des élèves en 1987. En dictée, le nombre moyen de fautes passe de 10,7 à 14,7, il augmente pour toutes les catégories sociales, davantage pour les enfants d’ouvriers que de cadres ou de professions intellectuelles.
Le sentiment d’être inégaux va augmenter…
Naturellement, certains vont se draper dans leur dignité d’éleveurs d’âmes pour récuser ce genre de résultats. Parler de « performances », de « scores », quelle trahison de la noble mission du professeur ! Malheureusement, les économistes savent que ces résultats annoncent une qualité moindre de la main d’œuvre française. Pour un démocrate, ils signifient que le sentiment d’être inégaux va augmenter parmi les citoyens, alors que nous savons depuis Tocqueville que le sentiment d’être égaux est une des caractéristiques de la démocratie.
L’évolution diagnostiquée par la DEP est d’autant plus grave que l’évolution des performances des élèves français à 15 ans entre 2000 et 2006, donc entre deux populations dont la première a été scolarisée au collège entre 1995 et 2000 et la seconde entre 2001 et 2006, selon l’évaluation internationale PISA, est, elle aussi, alarmante. Grossièrement, en mathématiques et en compréhension de l’écrit, la performance moyenne et la performance des meilleurs élèves est stable pour les pays de l’OCDE pris ensemble, tandis que, en France, la performance des meilleurs baisse de 10 points et la performance moyenne baisse de 20 points (sur une échelle de moyenne 500 et d’écart-type 100). Plus grave, pour les pays de l’OCDE pris ensemble, le score des plus faibles s’améliore de 20 points tandis qu’il baisse en France de 30 points(1). Une part de cette évolution s’explique par celle des élèves de CM2 : Les collèges recevaient en 2002 des élèves moins bien formés qu’en 1995. L’évolution des scores de PISA montre que les collèges n’ont certainement pas réussi à inverser la tendance.
Sauf pour l’orthographe, ces évolutions ne sont pas la poursuite d’un processus ancien de dégradation…
Eliminons quelques explications possibles :
– La situation sociale ne s’est pas dégradée. Entre le milieu des périodes de scolarisation primaire des élèves des CM2 1987 et 2007 (1983 et 2003) d’une part et le milieu des périodes de scolarisation des élèves de PISA 2000 et PISA 2007 d’autre part (1996 et 2002), le revenu moyen des français a augmenté, le chômage a plutôt baissé et les inégalités sociales, contrairement à la légende, n’ont commencé d’augmenter qu’en 2002. Ajoutons que la proportion d’élèves issus de l’immigration, pour autant que ces élèves soient plus difficiles à enseigner que les autres, n’a pas évolué de façon significative.
– Les ressources de l’école n’ont pas baissé. Entre 1980 et 2004, la dépense moyenne par élève dans le premier degré est passée, en en monnaie constante, de 2600 € à 4600€. Une des raisons de cette augmentation est, il faut bien le rappeler, l’élévation du niveau de formation et du salaire des enseignants du primaire. Invoquer la baisse des ressources pour expliquer cette évolution ne tient donc pas, non plus d’ailleurs que pour expliquer la baisse des scores de PISA (la dépense par élève du second degré a, elle aussi, augmentée, quoique faiblement, entre 1996 et 2002).
– On n’a pas « accueilli n’importe qui » à l’école. Aux contempteurs de la « massification », de la « démographisation», rappelons que l’école primaire est ouverte à tous depuis Jules Ferry et que, entre, disons 1996 et 2003, les collèges avaient depuis longtemps cessé de s’ouvrir à davantage d’élèves, qu’au contraire la période 2002/ 2006 fut celle où les ministres (Ferry, Fillon, Robien) avaient décidé d’offrir aux plus faibles collégiens la « possibilité » d’un apprentissage à 14 ans.
– Sauf pour l’orthographe, ces évolutions ne sont pas la poursuite d’un processus ancien de dégradation, que l’on pourrait faire remonter, selon le choix de ses nostalgies, à mai 68, à l’ouverture de l’enseignement secondaire ou, pour remonter plus loin encore, à l’abandon du certificat d’études ou de la plume sergent-major. De précédentes études de la DEP fondées elles aussi sur la reprise des mêmes épreuves à plusieurs années de distance témoignaient plutôt d’une certaine stabilité (en troisième générale de 84 à 95, alors même que cette classe s’était ouverte entre ces deux dates à une plus grande proportion d’élèves ; pour l’élite scolaire de 1950 à 1990 (NI 96-29)) parfois d’une amélioration sensible (au CE2, entre 1973 et 1992, NI 97-12). Les contempteurs des pédagogies modernistes auront sans doute déjà remarqué que ces dégradations se sont produites à une époque (depuis 2002) où les ministres rivalisaient d’appels au retour de l’autorité, des « savoirs solides», et rivalisaient dans le pathos à propos de l’apprentissage de la lecture.
Les formes traditionnelles de régulation de l’enseignement se sont affaiblies, tandis que des formes nouvelles n’ont pas été mises en place…
Que faut-il incriminer ? Quoiqu’on pense des IUFM, il est difficile de penser que la qualité des enseignants français ait pu baisser en si peu de temps. Rien n’est simple en matière d’éducation et les causes rarement uniques. L’évolution des scores au CM2 pourrait par exemple s’expliquer par le fait qu’une partie des meilleurs élèves du public serait, entre ces deux périodes, passés dans le privé, une évolution qui signalerait une tiers-mondisation de l’enseignement public en France, hypothèse dont il devrait être possible de vérifier la pertinence s’il n’était si difficile d’obtenir des données pour comparer dans ce pays l’enseignement public et l’enseignement catholique. On peut aussi signaler au PS qu’il pourrait se vanter d’avoir obtenu entre 82 et 87 des résultats particulièrement bons, qui sait ?
Toutefois, je voudrais proposer une autre hypothèse, que suggèrent les comparaisons internationales. Au cours des années 90, les pays non-latins de l’OCDE ont avancé rapidement vers des formes diverses de dispositifs évaluant les progressions des élèves dans chaque école et permettant à l’autorité responsable d’en tirer les conséquences, en général sous forme d’autonomie supplémentaire pour les écoles où ces progressions sont satisfaisantes et de mise sous tutelle de celles où elles sont insuffisantes, ceci en terme d’efficacité (progressions moyennes) ou d’équité (progression des plus faibles, écart de progressions entre catégories d’élèves).
A l’inverse, en France, les formes traditionnelles de régulation de l’enseignement, comme l’inspection des enseignants, se sont affaiblies, tandis que ces formes nouvelles n’ont pas été mises en place. D’où une plus grande latitude laissée aux enseignants, non pas de ne rien faire, mais de poursuivre d’autres objectifs que ceux que mesurent les évaluations dans les disciplines fondamentales.
Autre explication possible, valable surtout pour expliquer l’effondrement du résultat des élèves faibles à PISA : Depuis 2002, un gouvernement moderniste de l’école, qui datait de l’après guerre, a été remplacé par un improbable mélange d’appels nostalgiques à l’autorité et au respect des professeurs, qui attribuent les difficultés de l’école à la décadence de la société et des élèves, et de politiques, plus souvent formulées que véritablement implantées, qui vont au contraire dans le sens d’une plus grande responsabilité des enseignants et des établissement (le socle commun, ou la lettre de mission du chef d’établissement, par exemple), politiques que bien peu prennent encore au sérieux.
Denis Meuret
(IUF, Université de Bourgogne (IREDU))
Dernier ouvrage de D. Meuret :
Denis Meuret « Gouverner l’école, une comparaison France/Etats-Unis » (PUF).
Sur cet ouvrage :
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/83_L[…]
Derniers articles de D.Meuret sur le Café pédagogique :
Obama et les systèmes scolaires américains
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2009/01/Obama_Meuret.aspx
L’école française n’est pas gouvernée
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/[…]
Le lycée aux Etats-Unis
http://cafepedagogique.net/lemensuel/lesysteme/Pages/2008/Lelyce[…]
[1] Je dois rectifier les chiffres que j’ai donnés dans ce texte à propos de PISA, sur la foi d’un document pas assez rigoureux à propos de comparaisons qui ne sont pas si faciles à faire, en particulier sur la moyenne des pays de l’OCDE, dont le nombre impliqué dans PISA a varié depuis 2000. Voici les évolutions rectifiées. En maths, en toute rigueur, on ne peut comparer que 2003 et 2006. Le premier décile (« le score des plus faibles ») a baissé de 20 points en France entre ces deux dates, il a augmenté de 2 points dans la moyenne des pays de l’OCDE. Par ailleurs, le score moyen a baissé en France plus que dans aucun autre des pays présents aux deux évaluations. En compréhension de l’écrit, on peut comparer 2000 et 2006. Le premier décile a baissé de 35 points en France et de 10 points pour la moyenne des pays de l’OCDE, le score moyen a baissé de 17 points en France et de 8 points pour la moyenne des pays de l’OCDE. Pour les plus faibles, l’écart entre la France et la moyenne des pays de l’OCDE est donc moins grand qu’indiqué dans le texte. Il reste, hélas, vrai que l’évolution du premier décile en compréhension de l’écrit est très négative en France, et dans quatre autres pays de l’OCDE seulement : l’Espagne et l’Italie d’une part ; la Corée et le Japon d’autre part, où cette baisse est moins grave parce que, en 2000, la valeur du premier décile y était très élevé. Je maintiens donc mon hypothèse, tout en présentant mes excuses aux lecteurs du Café.
DM. 180209.
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