Par Rémi Boyer de l’association Aide aux Profs
Ce mois-ci nous attirons votre attention sur :
– les effets dévastateurs prévisibles du Décret du 12 novembre 2010 qui introduit un véritable Plan Social pour la Fonction Publique,
– la fin des « secondes carrières » aisément accessibles aux enseignants, puisque la plupart des E.P.N de l’Education Nationale ont amorcé leur épuration,
– la signification de l’expression « Gestion des Ressources Humaines »,
– la mission impossible des nouveaux stagiaires enseignants,
– les RASED, en première ligne des suppressions de postes
Ce mois-ci, nous avons recueilli le témoignage d’une agrégée de géographie, Gwenn Suanez, qui a créé son entreprise de couture !
Le Décret du 12 novembre 2010 amorce un véritable Plan Social de la Fonction Publique entre 2010 et 2013
Le Décret n° 2010-1402 du 12 novembre 2010 relatif à la situation de réorientation professionnelle des fonctionnaires de l’Etat, publié au JORF le 16 novembre 2010 est une véritable déclaration de guerre contre le statut de fonctionnaire :
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte[…]
La Tribune du 16 Novembre titre que le « licenciement des fonctionnaires est désormais possible ».Il l’est non pas pour faute grave, mais pour refus d’un emploi lié à une délocalisation, même que le fonctionnaire soit bien noté ou pas par ses supérieurs. L’Etat peut donc procéder comme il l’entend à toutes les restructurations qu’il a prévues, sans tenir compte des facteurs humains, des foyers à séparer, des conjoints qui perdront leur emploi, des enfants qui perdront leurs copains de classe…c’est un véritable dispositif à grande échelle de déplacement ou de substitution des fonctionnaires qui se met en place :
http://www.latribune.fr/actualites/economie/fran[…]
Selon les syndicats, la loi sur les parcours de mobilité des fonctionnaires n’est qu’une manière déguisée d’en licencier pour réaliser des économies :
http://www.fabula.org/actualites/article35661.php
Avec jusqu’ici le non renouvellement d’un fonctionnaire sur deux, nous n’avons, apparemment, « encore rien vu »…le « dégraissage du Mammouth » dont parlait au début des années 2000 Claude Allègre quand il était Ministre de l’Education nationale va pouvoir se faire en toute légalité, à marche forcée.
Désormais, les pouvoirs publics auront toute latitude pour mettre les fonctionnaires en « disponibilité d’office » (une manière de s’en débarrasser en arrêtant de les payer), dès lors qu’ils n’accepteront pas l’un des trois emplois au maximum qu’on leur proposera dans le cadre d’une procédure de restructuration. Même si les plateformes de GRH des SGAR sont là pour proposer des emplois de « reconversion », en accompagnant les fonctionnaires dont le service disparaît, il se pose déjà le problème du manque de passerelles entre les corps, entre les ministères, en l’absence de VAE et de VAP faciliter les trajectoires « hors normes » tandis que des fonctionnaires se voient proposer des postes à l’autre bout de la France, ce qui suppose de déménager, le conjoint n’ayant aucune certitude de retrouver un emploi.
En février 2010 Jean-Marc Canon, secrétaire général de la CGT Fonction publique avait déclaré : « cela va concerner potentiellement des dizaines de milliers d’agents » (…) (Pour le fonctionnaire) «il n’y a aucune garantie à ce que les emplois qui lui soient proposés soient proches d’où il habite. (…) Donc dans la majorité des cas, la vérité, c’est que l’agent aura à choisir dans des postes extrêmement loin » (…) »Avec les suppressions d’emplois massives qui tombent à l’heure actuelle, les choix seront de plus en plus restreints » (et celui) « qui sera proposé à l’agent sera en fait un choix purement fictif où l’agent aura une rupture de vie sans précédent ».
L’ancien ministre du Budget et de la Fonction publique Eric Woerth avait défendu à l’époque un dispositif innovant, un « droit à une reconversion, une formation individuelle, ce qui n’existait pas avant ». Il a assuré que l’administration proposerait à tout agent concerné des postes qui tiennent « compte de ses capacités, de sa formation, de ses contraintes familiales ou de contraintes géographiques » en ajoutant « si au bout du troisième poste proposé il refuse, alors il peut être mis en disponibilité, ce qui est bien normal » et « si la personne refuse, c’est qu’au fond elle n’a plus envie de travailler dans l’administration« .
Pour les syndicats, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un licenciement sans déguisé, sans garde-fou, rendant tout fonctionnaire corvéable à merci, et ce décret va concerner dans les années 2010-2013 des dizaines de milliers d’agents dans tous les ministères et leurs services déconcentrés.
Gérard Aschieri (FSU) avait lui-même qualifié la loi de « boîte à outils pour tailler dans les effectifs ».
Dans la foulée…les rectorats accepteront-ils que les enseignants qui le souhaitent obtiennent leur départ en cours d’année scolaire, avec un préavis de 3 mois comme le prévoient les textes, au lieu de leur invoquer les sempiternelles « nécessités de service » ?
L’épuration des E.P.N a déjà commencé…c’est la fin des « secondes carrières » aisément accessibles aux enseignants
– Le 13 décembre 2008, déjà, plusieurs EPN avaient tentés d’alerter l’opinion publique contre le démantèlement de leurs structures (CNDP, INRAP, SETRA, ENIM, CIRA, ONF, INSEE…), préfigurant ce que le décret du 12 novembre 2010 relatif à la situation de réorientation professionnelle des fonctionnaires de l’Etat va généraliser dans toute la Fonction Publique :
http://www.lepoint.fr/actualites-societe/manifestations-[…]
– Cet été, le démantèlement a continué avec l’INRP, qui deviendra interne à l’ENS de Lyon le 1er janvier 2011 :
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/11[…]
Les personnels ont lancé une pétition :
http://www.sauvonslarecherche.fr/spip.php?article3245
– La CGT Educ’action pour l’académie de Créteil indiquait le 22 octobre 2010 « Les opérateurs sous tutelle du MEN devront rendre 34 emplois (CEREQ, CIEP, CNED, INRP, ONISEP, SCEREN-CNDP). L’enseignement technique agricole perdra, lui, 145 postes » en ajoutant « Dans le cas du CRDP et des CDDP, il s’agit d’un véritable démantèlement en personnels qui est programmé » :
http://cgteduccreteil.org/spip.php?article2434
En Poitou-Charentes, selon le site PCF, 40% des emplois sont menacés au CRDP-CDDP, soit 42 emplois d’ici fin 2010:
http://86.pcf.fr/CRDP-CDDP-de-Poitou-Charentes-Non.html
– Au CNED, depuis mars 2010 la direction parle d’une « modernisation nécessaire », que les agents dénoncent comme « un démantèlement du CNED » avec « une menace de privatisation »:
http://www.viescolaire.org/info/?p=5446
http://poitou-charentes.fsu.fr/IMG/_article_PDF/article_401.pdf
En septembre 2009, les parlementaires avaient attiré l’attention du Ministre sur le danger que représenterait une restructuration du service public d’enseignement qu’assure le CNED jusqu’ici :
http://questions.assemblee-nationale.fr/q13/13-57939QE.htm
Pourtant, le CNED a longtemps permis à de nombreux enseignants de réaliser une « seconde carrière », que ce soit en MAD, en détachement, en PACD, en PALD. Les compétences développées par ces enseignants seront-elles optimisées lors de leur retour devant élèves ?
http://www.univ-rouen.fr/civiic/memoires_masterICF/te[…]
– Dans les GRETA, depuis septembre 2009, l’ambiance est aussi à la morosité, puisque les postes gagés ont été en grande majorité été supprimés. En 1996 il y avait 317 GRETA en France, et en 2008, il en restait 220, car « les parts de marché des GRETA sont en régression sur un marché en plein développement » :
http://www.snes.edu/IMG/pdf/4_p_fca_sept09.pdf
– L’ONISEP : en avril 2010, la Lettre Express de l’AEFE indiquait « Deux nouvelles conventions signées avec l’Onisep et le CNED. Il faut moderniser le réseau, en évaluer les forces et les faiblesses. » Plus récemment, une interview de Jean-Robert Pitte, nouveau DIO, sur Touteduc, laisse entendre que le réseau devra être optimisé, conduisant comme ailleurs à des regroupements, donc, inévitablement, là aussi, des suppressions de postes.
http://www.fapee.com/files/LettreExp_PremieresRencontre[…]
Le Sgen-Cfdt avait déjà attiré l’attention en 2009 sur les dangers d’un démantèlement :
http://sgencreteil.ouvaton.org/IMG/pdf/ONISEP.pdf
Au total, d’après les « objectifs et indicateurs de performance » de ce rapport, les E.P.A contiennent 2486 agents répartis entre le CNED, l’ONISEP, le CIEP, le CEREQ, le SCEREN-CNDP, l’INRP : les années 2010-2013 vont-elles conduire à un débarquement progressif et massif de toutes ces personnes ?
http://www.performance-publique.gouv.fr/farandole/201[…]
On lira avec attention la fin du document qui place comme priorité l’économie de bâtiment en privilégiant les regroupements : ce document fait fi des « ressources humaines » que constituent les hommes et les femmes, en se basant seulement sur une logique comptable pure et dure : 12 m2 de « SUN » (surface utile nette, soit les locaux occupés par agent). Sont déjà cités dans ce document ces projets de restructurations, tandis que beaucoup d’autres devraient affecter dans les mois et les années à venir les E.P.A :
– Regroupement des services du rectorat de l’académie de Limoges, de l’Inspection académique de la Haute-Vienne et du centre régional de documentation pédagogique – CRDP (2010)
– Regroupement des services du rectorat de l’académie de Nice, de l’Inspection académique des Alpes-Maritimes et du CRDP (2010)
– Regroupement des services du rectorat de l’académie de Nancy-Metz et de l’Inspection académique de la Meurthe et Moselle (2011)
Le 31 Mai 2010, le Café Pédagogique avait informé ses lecteurs des « gisements d’efficience » que prévoit de supprimer entre 2010 et 2013 le MEN : un véritable électrochoc pour tout le système éducatif !
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/05[…]
Dans tous les cas, l’économie de bâtiments passe par la réduction des effectifs : en cela, le décret n° 2010-1402 du 12 novembre 2010 relatif à la situation de réorientation professionnelle des fonctionnaires de l’Etat prend tout son sens, puisqu’il risque tout simplement de « laisser sur le carreau » des milliers de personnes…puisqu’il n’y aura pas de possibilités de reconversion pour tout le monde dans les autres ministères, eux aussi touchés par les compressions d’effectifs !
Que signifie en fait l’expression « gestion des ressources humaines » ?
Ces trois mots sont bien compréhensibles en apparence : il s’agit de gérer les personnels d’une organisation. Cette expression a fait couler beaucoup d’encre depuis plus d’une dizaine d’années, par d’éminents spécialistes.
Le collectif des « mutez-nous ! » aimerait bien en comprendre la signification. Aide aux Profs a rejoint la liste de leurs nombreux soutiens syndicaux. L’un de nos futurs partenaires, la CFE-CGC Avenir Ecoles, vient d’obtenir le 8 décembre 2010 un entretien avec Josette Théophile, DGRH, pour dénouer ces situations difficiles de professeurs des écoles qui aiment encore leur métier :
http://mutezmoi.over-blog.org/pages/les-mutez-nous-3651788.html
Récemment, Aide aux Profs a déniché sur le web le « livret de la GRH » de l’académie de Bordeaux. Il a le mérite d’être très clair, très documenté, et de montrer réellement ce que l’on entend administrativement sous le jargon de « gestion des ressources humaines ».
En dehors des aspects statutaires que sont le « suivi » des échelons et indices qui jalonnent la carrière de chacun en fonction de son avancement à l’ancienneté, au petit choix ou au grand choix, et des primes afférentes à ses fonctions, la gestion des ressources humaines va s’occuper de l’affectation, des opérations de mutation, de « mobilité ».
Le livret de GRH de l’académie de Bordeaux nous a beaucoup interpellés car il y est question de « signalement » et « d’accompagnement ». : signaler les dérives de comportement des personnels, et trouver la bonne réponse pour les sanctionner. Voilà ce qu’est, en fait, la GRH :
http://www.ac-bordeaux.fr/fileadmin/Fichiers/Emploi[…]
Ce livret est important à plus d’un titre car il répond aux projets ministériels de déléguer la GRH aux personnels d’encadrement de proximité : IEN, IA-IPR, IA-DSDEN, Chef d’établissement notamment.
La valorisation et la reconnaissance des personnels au sein de l’établissement y sont affirmées, avec une insistance particulière sur les entretiens individuels, qui se substitueront dans l’avenir à la notation.
Aux pages 4 et 5 on évoque « les actions d’accompagnement : le signalement et l’accompagnement des personnels ». L’évocation des procédures disciplinaires y est très présente en matière « d’accompagnement ». A la page 6 sont listés les « indicateurs de difficulté » avec les « actions d’accompagnement » préconisées : « alerter », « rédaction d’un rapport », « communication avec l’intéressé ».
Globalement, même si ce livret fait craindre des comportements de sanctions excessives par rapport à des difficultés des personnels, il a le mérite de lister tous les types de situations qui peuvent se produire dans un contexte éducatif, et peut ainsi constituer un outil essentiel pour les personnels d’encadrement, qui, nous l’espérons, songerons à faire preuve d’humanité, en privilégiant le dialogue dans « l’accompagnement ».
Les pages 11 à 15 énumèrent les dispositifs de GRH en expliquant bien toutes les positions statutaires accessibles aux personnels en fonction de leur situation, montrant ainsi toute l’organisation qui est à leur portée, mais aussi les responsabilités immenses qui pèsent sur les seules épaules des DRH et DRRH, notamment dans de très grandes académies comme Versailles, Créteil, Bordeaux, Lyon, Marseille, Montpellier…
Les pages 21 à 29 font un point très détaillé de toutes les situations liées à l’état de santé.
Assurément, même s’il ne s’agit ici que de l’académie de Bordeaux, ce document est à télécharger pour être conservé et consulté chaque fois que de besoin, dans toutes les situations professionnelles courantes, en raison de la précision des informations qu’il procure.
Dans le document « objectifs et indicateurs de la performance publique » cité plus haut, il est aussi fait état de la « mobilisation des surnombres disciplinaires » : « Dans la perspective d’une baisse des sureffectifs, la mobilisation des surnombres pourrait être optimale en 2011 et 2013 grâce à différentes mesures en vigueur (élargissement du champ d’intervention des titulaires sur zones de remplacement (TZR) à d’autres établissements) »…
Etre professeur stagiaire devient-il mission impossible ?
Les jeunes profs stagiaires subissent les affres de la transition d’une réforme qui leur a ôté toute latitude de se familiariser et de se former à leur nouveau métier. Du coup, les démissions sont nettement plus nombreuses que les années précédentes :
http://radiofrance-blogs.com/bernard-thomasson/2010/11/18[…]
Le collectif « un pays, une école, notre avenir » s’est saisi de la question en décidant le 16 novembre 2010 d’interpeller les parlementaires sur le projet de loi de finances 2011 qui ne cesse d’inquiéter par ailleurs bon nombre de formations syndicales :
http://www.uneecole-votreavenir.org/
En parallèle, même si l’Etat n’a pas cédé face à la rue dans le cadre de la réforme des retraites, donnant le sentiment aux citoyens le sentiment que tout nouveau rouleau compresseur qui s’avance les écrasera quoi qu’il arrive, les stagiaires enseignants sont bien décidés à faire entendre leurs voix en appelant à une action nationale le 1er décembre prochain : « stagiaire impossible » est leur slogan de ralliement, et les syndicats soutiennent massivement leur revendication principale : revenir à 6h de cours la première année, au lieu de vouloir faire des économies sur les ressources humaines d’avenir qu’ils représentent, et qui risquent, désillusionnées, de s’en repartir très vite : http://blog.stagiaireimpossible.org/
Aide aux Profs se pose cette question : une pénurie d’enseignants peut-elle se produire ? Nous sommes en effet de plus en plus contactés par de très jeunes enseignants, qui viennent de prendre leur poste, et rêvent déjà de repartir… quel gâchis de compétences !
Les RASED en première ligne des suppressions de postes
Dans une nouvelle académie, les Rased vont faire les frais des suppressions de poste (par François Jarraud)
Rappelez-vous : début octobre, le Café annonçait que dans une académie de l’ouest, l’inspecteur d’académie avait déjà classé les enseignants en Rased comme disponibles pour des remplacements, ce qui donnait à penser que, classés officiellement inutiles, ils seraient sacrifiés à la prochaine rentrée parmi les 16 000 postes qui doivent quitter le budget de l’éducation nationale.
L’intersyndicale du Val d’Oise (Snuipp, Se-Unsa, avec le soutien de la Fcpe, du Gfen, de l’Aren et de l’Icem) annonce la suppression de 43 postes de Rased à la prochaine rentrée, sur 293. « Ces nouvelles suppressions combinées aux diminutions drastiques des départs en formations spécialisées, condamnent, à terme, l’existence même des Rased », estime-t-elle. » Comment envisager que les moyens déjà insuffisants consacrés à la lutte contre l’échec scolaire se voient ainsi amputés, alors que les projets ministériels organisent en parallèle une augmentation du nombre d’élèves par classe ? Quel avenir préparons-nous pour ces élèves et pour notre nation si l’Ecole de la République faillit ainsi à ses missions – celles d’une éducation de qualité accessible à tous ? », interroge-t-elle. Elle lance une pétition, déjà signée par Rémi Brissiaud, André Ouzoulias, Brigitte Cosnard et Agnès Thabuy.
http://95.snuipp.fr/spip.php?article1576
Avec les RASED, défendre l’idée d’école démocratique
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/11/0511[…]
De l’extinction des inutiles dans l’Education nationale…
http://cafepedagogique.studio-thil.com/lexpresso/Pages/2010/10/[…]
Gwenn Suanez, de l’agrégation de géographie à la création d’une entreprise de couture
1. Pouvez-vous nous retracer votre parcours de carrière ?
« Après une maîtrise de géographie en 1995 (à Brest), j’ai obtenu l’agrégation de géographie et le Capes d’histoire-géographie en 1997 à l’université de Nantes. A la rentrée suivante, j’ai obtenu un poste de PRAG (professeur agrégé) à l’université de Bretagne occidentale. Je pensais poursuivre par une thèse, mais j’ai préféré élever mes enfants. De plus, les relations humaines à l’université ne sont pas simples, et les cours dans des amphis de 250 étudiants pas toujours intéressés, quand la géographie ne correspond qu’à une option de leur cursus (en psychologie, Staps, etc) m’ont lassée. Enfin, un PRAG enseigne 15h par semaine, autant qu’en collège ou en lycée, alors que le travail de préparation des cours est nettement plus important, c’est un travail très prenant : je dépassais allégrement les 50h par semaine.
En 2002, je vais voir le doyen de l’université pour lui annoncer ma réintégration dans le 2nd degré, et j’obtiens un poste fixe en collège à Brest pendant 4 ans, dans un super collège, vraiment.
En 2005, je contacte la conseillère psychologue du Rectorat de Rennes et je reçois alors un accueil très chaleureux, enthousiaste : « c’est très bien de partir… » me dit-elle alors.
Lorsque je me renseigne sur le délai d’obtention d’un congé de formation professionnelle (CFP), elle m’indique que c’est « 7 à 8 ans d’attente »… !!! (une de mes collègues a même attendu 14 ans avant d’en décrocher un…)
Mon principal de collège a tout fait pour m’empêcher de partir, alors que depuis la rentrée 2005, j’avais déjà fait la démarche, dans ma tête, de sauter le pas. Fin janvier 2006, je demande à démissionner, mais le rectorat refuse en me proposant à la place une disponibilité, que j’accepte.
J’ai alors cherché à me former dans la couture, une activité que je pratiquais depuis mon enfance. Au départ, je voulais apprendre à enseigner la couture en lycée professionnel, mais le rectorat m’a rétorqué que ce n’était pas possible, car c’est réservé aux titulaires du PLP. Avec une agrégation de géographie, on m’a fait comprendre que mes chances de devenir professeur de couture étaient nulles…je n’ai donc pas voulu prendre le risque de passer un nouveau concours, et en juin 2006 j’ai trouvé un lycée qui a accepté de m’accueillir pour faire un Bac professionnel des métiers de l’art, en formation initiale. A 32 ans, je me suis retrouvé en classe avec des 18-24 ans, et des enseignants qui vivaient plus ou moins bien d’avoir une de leurs collègues en classe.
En juin 2007 je n’ai pas réussi le Bac Pro, mais en 2008 j’ai travaillé pour des associations afin de réaliser des costumes de danse, de spectacle, pour la scène nationale « Le Quartz » à Brest. Ce CDD a duré 6 mois, puis 2 mois à temps partiel. J’ai pu créer des modèles.
En Juin 2008, j’ai créé mon activité dans le cadre juridique d’une coopérative d’activités (une SCOP) qui s’appelait « Chrysalide », jusqu’en janvier 2009. J’ai alors rencontré un brodeur, et j’ai travaillé en association avec lui pour une commande d’un musée de Plougastel, une robe de mariée moderne inspirée du costume traditionnel.
Forte de cette expérience collaborative, j’ai créé en février 2009 mon entreprise sous le statut d’Entreprise Individuelle (E.I). Dans ce statut, les biens personnels et professionnels se confondent, et je suis inscrite en profession libérale comme styliste et prof de couture. »
2. Pourquoi avoir quitté l’enseignement alors que vous aviez réussi deux concours difficiles ?
« J’avais des parents enseignants, toute ma famille dans la fonction publique : postes, douanes, impôts, armée…alors j’ai passé l’agrégation et le Capes sans me poser de questions après des études générales. J’avais déjà fait de la couture, ça me plaisait, mais je ne pensais pas en faire un métier. J’ai donc enchaîné les années sans réfléchir, en passant les concours de manière automatique…je ne savais rien faire d’autre, et ça ne m’a pas demandé d’efforts particuliers, ce n’était pas un vrai choix.
J’ai été déçue par le système éducatif, où l’on ne mesure pas souvent le résultat de son travail. Je n’ai pas eu de problèmes de discipline, mais des difficultés à me conformer au « moule ». A un moment j’en ai eu assez de m’investir sans rien obtenir en retour, aucune reconnaissance de la part de l’institution, alors j’ai décidé de partir. »
3. En quoi votre métier actuel vous plaît ?
« Dans l’Education nationale, je n’avais jamais de retours de satisfactions comme actuellement. Quand on enseigne, on passe entre le prof précédent et celui d’après…on ne sait jamais si ce que l’on fait est utile ou pas. Alors que les gens dont je m’occupe font des progrès en couture, et ils sont heureux que je leur transmette mon savoir-faire. Je donne 16h de cours de couture par semaine pour une cinquantaine d’élèves de tous âges, surtout des adultes. »
4. Quels modèles créez-vous ?
« J’ai abandonné le spectacle, trop contraignant en termes de délais de fabrication. J’ai décidé de me lancer dans la création de pièces de haut de gamme sur mesure : tailleurs, manteaux, robes de mariée…je ne m’investis pas dans des défilés de couture, je réalise seulement des pièces à la demande, des costumes d’hommes par exemple. Je travaille la soie, les lainages, le lin.
5. Travaillez-vous pour de grandes maisons de couture ?
« Tous leurs ateliers sont à Paris ou en Ile-de-France, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas devenir une « petite main ». Je suis très heureuse en étant à la fois styliste, modéliste, couturière. Je m’occupe de mes créations du début à la fin. Je ne suis pas du tout attirée par le monde de la mode, assez superficiel. »
6. Administrativement, comment s’est déroulée votre reconversion ?
« Mal. A la rentrée 2007, juste après la formation de Bac Pro, j’ai eu un coup de téléphone du Rectorat qui pour l’enseignement privé sous contrat recherchait un prof remplaçant pour enseigner en BEP couture à Quimper. Le chef d’établissement a alors accepté que je vienne, et au bout de 3 semaines, un jour, il débarque dans ma classe devant mes élèves en me demandant de sortir, en me disant que «ma situation administrative est incompatible avec mon statut ». Ce n’était pas une question de confiance dans mes compétences, mais une simple incompatibilité administrative entre mon statut de professeure agrégée et celui de remplaçante. Je me suis battue 5 semaines en vain, puis ai décidé de demander ma démission. Le Rectorat ne voulait pas me donner la procédure à suivre pour que j’obtienne ma démission. J’ai même eu une véritable engueulade avec le service juridique qui ne voulait rien me dire sur l’existence du (entendre, même en leur brandissant le) décret de 1986 sur la démission.
J’ai quand même fait ma lettre, restée sans réponse au bout de 4 mois, ce qui équivaut à un refus. L’administration ne motive pas le refus. Alors j’ai créé mon entreprise cette fois pour de vrai. Puis en 2008, j’apprends la création prochaine de l’Indemnité Volontaire de Départ. Je la demande en février 2009…et la réponse du rectorat ne m’est parvenue qu’en septembre 2009, soit 7 mois plus tard !!! On m’a alors dit que je pouvais prétendre à la somme de 15 000,00 euros. J’ai alors été convoquée pour un entretien le 23 septembre 2009. L’entretien a été d’une grande hostilité, on m’a reproché mon « attitude individualiste », on m’a proféré des critiques personnelles, sans témoin… Je n’ai plus jamais eu affaire ensuite à la conseillère psychologue du rectorat, qui m’a complètement larguée dans mes difficultés, et je n’ai eu aucun contact avec la cellule de ressources humaines, ni même le DRH…le block out total.
Pour l’IDV, ils ont eu le culot ce jour là de me dire qu’ils « s’étaient trompés », car pour eux, je n’avais pas créé d’entreprise…et ils ont ramené la somme promise à 1500,00 euros seulement. J’ai alors demandé pourquoi ils n’avaient pas accepté ma démission en 2007, et il m’a été répondu que « vu ma demande, j’avais été considérée en état de fragilité psychologique » !!! J’ai quitté le rectorat en pleurant, devant l’absurdité de la situation et de la mauvaise foi de mes interlocuteurs. Ils m’ont refait ensuite une proposition d’IDV à 1500,00 euros que j’ai refusé, par fierté, par dignité.
J’ai été menacée de radiation pour rupture de lien avec l’administration récemment, pour n’avoir pas fait la demande écrite de prolongation de ma disponibilité. Dans l’attente de trouver peut-être enfin une solution un peu plus digne, j’ai renouvelé ma demande au dernier moment, tout en sollicitant la médiatrice de la République sur ma situation. J’attends une réponse…
Actuellement, ma nouvelle activité professionnelle fonctionne bien, même si je n’ai pas été aidée moralement, techniquement, financièrement. Cela a été le parcours du combattant, une galère, mais un immense bonheur au final. »
7. Que pensent vos anciens collègues de votre reconversion ?
« Certains ont trouvé ça très bien : ce sont ceux qui en général aiment leur métier. Ceux qui ont peut-être mal jugé ma reconversion étaient ceux qui auraient aimé avoir le cran d’en faire autant ! » Le nombre d’enseignants que je rencontre et qui veulent changer de métier est énorme, c’est phénoménal. J’ai une ancienne collègue d’espagnol devenue vendeuse dans un magasin de vêtements. »
8. Et si c’était à refaire ?
« Oui, car le métier d’enseignant ma apporté une vision positive de la vie. Grâce à ce métier, j’ai su ce que je ne voulais plus…et ce que je voulais : la liberté d’action, des responsabilités, de la reconnaissance de mes compétences. Dans l’Education Nationale, il n’y a pas de Gestion des ressources Humaines, mais une infantilisation constante de la part des cadres administratifs, c’est très pesant. Les marges de manœuvre sont très réduites pour innover. Travailler avec des collégiens, cela rend vif, combatif, alerte, ça maintient en forme… »
9. Quelle vision de l’avenir avez-vous actuellement ?
« Je vis au jour le jour. J’ai créé mon entreprise, et j’essaie de ne pas trop anticiper. Je fais confiance dans l’avenir, je n’angoisse pas car j’ai confiance en mon projet. J’ai regretté de ne pas voir trouvé votre association Aide aux Profs lors de ma reconversion, car cela m’aurait bien aidé, j’aurais nettement préféré votre aide à celle de l’administration, car leur volonté, c’est de refuser les démissions des profs, c’est de les décourager d’aller voir ailleurs. »
Pour voir les créations de Gwenn et la contacter si vous êtes intéressé par l’une de ses activités que son témoignage a permis de bien décrire, allez voir son site : http://www.salutlesbobines.fr/
Sur le site du Café
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