Jacques Richard a été directeur du CRDP de l’académie de Versailles et conseiller TICE du recteur de 1992 à 2004. Dans ce cadre, il a été chargé par le recteur en place de coordonner la mise en oeuvre des TPE dans l’académie de Versailles.
CdA : Vous avez signé la pétition du Café contre la suppression des TPE en terminale ; qu’est-ce qui vous a poussé à le faire ?
JR : Si j’ai signé la pétition, c’est que les TPE sont emblématiques. Supprimer les TPE, ne serait-ce qu’en terminale, c’est toucher à une rénovation réussie et acceptée. C’est aussi décourager les chefs d’établissement et les équipes pédagogiques et administratives qui s’y sont impliqués.
Ce dispositif a été soutenu au niveau national et, dans l’académie de Versailles, il a mobilisé toutes les personnes concernées par l’acte pédagogique, aux niveaux académique, départemental, mais aussi aux niveaux des bassins et des établissements où un travail de fond a été mené. Les collectivités se sont aussi impliquées : en Ile-de-France, le conseil régional a lancé une campagne d’équipement des salles multimédias pluridisciplinaires. Très vite, avec les TPE, l’équipement des lycées est monté à une moyenne de 2,3 salles par établissement (1 à 4 salles selon les lycées).
C’est une rénovation qui a été acceptée par les chefs d’établissement et par les enseignants qui étaient réticents à l’utilisation des TICE, ce qui n’a pas été le cas des Itinéraires de découverte, qui n’ont pas été soutenus de la même manière au niveau national. Or il n’y aura pas de rénovation pédagogique sans intégration des TICE.
CdA : Avez-vous rencontré des résistances de la part des enseignants, en mettant en place les TPE dans l’académie de Versailles ?
JR : Les TPE constituent une démarche innovante : c’est l’une des rares rénovations où les critiques exprimées par les équipes éducatives n’avaient pas ce côté défensif que l’on connaît dans ce métier difficile, mais plutôt un côté offensif et fondé, je pense tout particulièrement aux remarques des documentalistes sur leurs difficultés, à celles des proviseurs sur le fonctionnement de leur établissement ou encore à celles des enseignants en général qui dans certaines académies manquaient d’équipement et de connexion au réseau (ce n’était pas le cas pour Versailles grâce à l’action du conseil régional). La réaction des enseignants (notamment sur la liste TPE-TICE) a été généralement faite de critiques pratiques.
Sur Versailles, une enquête en ligne (pour savoir comment étaient menés les TPE) a montré l’adaptation des enseignants aux TPE. Elle a permis d’estimer que 60 % d’entre eux ont plébiscité les TPE. Quand plus de 50 % d’enseignants participent à une rénovation, on peut considérer que c’est un succès et qu’on est bien engagé dans l’acceptation de la réforme. Car, faire changer les méthodes pédagogiques dans un métier aussi difficile que celui-ci, ce n’est pas aussi simple que de changer les méthodes de travail dans une entreprise.
CdA : Vous dites que cela a permis de convaincre non seulement les enseignants mais aussi les syndicats, d’abord réticents : qu’est-ce qui les a convaincus finalement ?
JR : Ce qui les a convaincus, c’est qu’ils ont été obligés de se pencher sur ce qu’il se passait dans les établissements, et de constater l’adhésion des élèves et des enseignants. Restaient seulement les problèmes techniques que rencontraient les équipes éducatives.
La forte médiatisation des TPE a montré qu’il y avait une avancée. Les syndicats ont en général une guerre de retard pour ce qui concerne la pédagogie (ils ont notamment été longtemps à la traîne sur la question des TICE).
Les corps d’inspection aussi étaient convaincus par les TPE ; les IPR ont adhéré et se sont associés à leur mise en place ainsi qu’un certain nombre d’inspecteurs généraux, qui y étaient très favorables.
CdA : Certains pensent que la pluridisciplinarité nuit au travail disciplinaire ?
JR : Les TPE complètent le travail disciplinaire, qui n’est pas rejeté, bien au contraire. Le travail pluridisciplinaire favorise le travail disciplinaire. C’est aussi, en plus des éléments qui sont le plus souvent cités dans les côtés positifs des TPE, une rénovation qui a permis de se pencher véritablement sur l’oubli des dernières années concernant l’importance de la recherche documentaire et de l’intégration des technologies de l’information et de la communication. Car, côté pédagogie, les TPE étaient fondés sur le retour à l’accès à la ressource documentaire traditionnelle ou en ligne, et sur l’intégration des TICE.
CdA : N’y a-t-il pas aussi une crainte pour certains de voir disparaître un enseignement traditionnel ?
JR : Je m’étonne que certains grands pédagogues et intellectuels, qui ne pratiquent pas les TICE, négligent leur importance. Pour l’anecdote, je me souviens, lors des entretiens de Nathan il y a plusieurs années, que Philippe Mérieu, interrogé sur les TICE, avait répondu : « Sur les technologies, je ne peux pas répondre, je ne les connais pas. » Il a, depuis, bien sûr évolué. Les TPE, comme les PPCP au lycée professionnel, allaient pourtant vers une adaptation de l’enseignement à l’évolution de la société.
Il y a aussi une dérive réactionnaire : être réactionnaire ici, ce n’est pas être contre les TICE, mais opposer systématiquement tradition et modernité. C’est, par exemple, Alain Finkelkraut, qui réfléchit sur l’école en fonction de celle qu’il a connue lui-même en tant qu’élève, et qui ne se projette pas dans l’avenir pour penser à l’école que devraient avoir ses enfants ou ses petits-enfants. Ce n’est pas parce qu’en maternelle on fait du couper/coller avec une souris qu’on oublie les ciseaux et la colle.
Il y a bien sûr un enseignement traditionnel nécessaire, il n’est pas question de faire seulement des TICE. Dans les établissements où les TICE fonctionnent bien, 10 à 20 % du temps scolaire leur est dévolu.
Il faut d’ailleurs cesser de parler d’« informatique », comme vous le faites vous aussi dans le texte de la pétition, et d’« audiovisuel » : ce sont des termes désuets qui ne reflètent pas l’évolution considérable des 10 dernières années. Les technologies de l’information et de la communication sont la mise en synergie de trois techniques : l’audiovisuel, l’informatique et les télécommunications. Parler d’informatique est donc une erreur qui ne peut conduire qu’à la maîtrise du seul ordinateur alors que les TIC touchent l’ordinateur, son environnement, l’image, la ressource documentaire, l’acte pédagogique, la circulation de l’information dans l’établissement et… le concept d’une nouvelle démarche citoyenne. Les ministres ont toujours employé le terme « informatique », comme s’il s’agissait de bureautique. Si on étudie les travaux des élèves, on voit qu’ils utilisent aussi beaucoup l’image, notamment la vidéo. Il faut donc intégrer dans la discussion sur le maintien des TPE, l’intégration des technologies d’information et de communication et du changement qu’elles peuvent opérer dans l’évolution nécessaire des pratiques pédagogiques, sans pour autant renier une partie de l’enseignement « traditionnel ».
CdA : Le ministre a estimé, lors de sa conférence de presse, que c’est un tort d’utiliser les TICE seulement lors des TPE, et que tous les enseignants devraient les utiliser régulièrement en classe. Qu’en pensez-vous ?
JR : On ne peut pas séparer les TPE et les TICE, de même qu’on ne peut pas d’un côté supprimer les TPE, et de l’autre affirmer vouloir favoriser l’usage des TICE. Les TICE constituent un début de rupture avec l’architecture napoléonienne des établissements scolaires (salles de 30 à 35 élèves, cours de 55 minutes, pauses de 5 minutes entre deux cours…). On ne fera pas entrer les TICE par les seules disciplines, mais par le travail pluridisciplinaire. Les TPE sont la seule solution pour faire comprendre que la nécessité d’évoluer passe par un travail en équipe, et il n’y aura pas d’évolution des TICE sans évolution des pratiques pédagogiques.
Propos recueillis par Caroline d’Atabekian