Par François Jarraud
« De ce collège expérimental, j’aurais aimé être l’élève, j’aurais aimé que mon propre fils le soit et, pour la première fois avec autant d’intensité que je visite professionnellement des établissements scolaires, ses enseignants m’ont fait regretter de ne pas être des leurs. Merci aux élèves et aux personnels de Clisthène ». Cet hommage franc et digne clôt un des meilleurs ouvrages de la rentrée, le livre que Luc Cédelle, journaliste au Monde, consacre au collège expérimental Clisthène de Bordeaux. Ce choix, L. Cédelle le justifie précisément en montrant le fonctionnement et les options de Clisthène.
Les clès de son succès c’est de réussir à associer tout le monde au projet éducatif, particulièrement les élèves, en leur donnant un rôle actif à la vie du collège, et les parents, en les faisant participer aux actions éducatives. C’est aussi de travailler autrement, par exemple d’assumer « plus de présence pour plus de satisfaction », de croiser les disciplines, de suivre des groupes d’élèves. Tout cela contribue à créer un climat scolaire apaisé et épanouissant qui est la base de l’apprentissage. Parce qu’ensuite enseigner reste un exercice difficile auquel s’attachent les enseignants de Clisthène. « A l’effort d’apprendre correspond l’effort d’enseigner » note L. Cédelle, c’est-à-dire que les collègues de Clisthène n’ont pas de recettes si ce n’est la saine habitude d’essayer de comprendre les échecs, de chercher les solutions, et d’en discuter. Au final, le collège obtient les meilleurs résultats du département au brevet (96% de reçus).
L’intérêt de ce livre c’est de rappeler ce qui devrait être une règle en matière d’éducation : l’exigence démocratique de l’efficacité. Loin de trier ses élèves, Clisthène a pris comme règle de recruter à 90% dans les écoles du secteur, qui n’est pas favorisé. Comme le relève L. Cédelle, les enseignants ne se gargarisent pas des principes républicains, « ils tentent sérieusement de les appliquer, en affrontant les conditions, les obstacles et les défis d’aujourd’hui ». Et, comme les écoles Freinet, comme les écoles finlandaises, Clisthène s’avère efficace.
On est donc loin dans cet ouvrage des pamphlets à la mode. Le ton est retenu, démonstratif, distancé. L’auteur met sa grande connaissance du système éducatif pour éclairer les options et les pratiques de Clisthène. Il mise sur l’intelligence et l’appétence démocratique du lecteur.
Ce pari est-il perdu à l’avance ? Luc Cédelle n’hésite pas à montrer les outrances des réactionnaires de l’Ecole. « Les propos que j’ai cités ne sont pas « excessifs », comme on peut le lire ou l’entendre parfois, mais irrecevables. Les références infâmantes auxquelles ces auteurs se permettent de recourir ne sont pas seulement indéfendables sur le plan des bonnes mœurs ou du bon goût. Elles renvoient à des réalités qui n’ont rien de métaphorique et dont la mémoire ne supporte aucun maniement irresponsable ».
Si le courage de l’intellectuel c’est de chercher la vérité et d’en éclairer raisonnablement le public, alors merci à Luc Cédelle d’avoir montré avec l’exemple de Clisthène que l’Ecole a un futur et pas seulement un passé et un passif. Lisez et faites lire ce livre !
Luc Cédelle, Un plaisir de collège, Seuil, 310 pages. A paraître le 28 août.
Le site de Clisthène
Les autres livres de la rentrée
Les ruses éducatives
Enseigner c’est discourir pour transmettre ou motiver pour faire évoluer l’élève ? Ce ne sont pas des trucs et astuces que nous propose Yves Guégan, même si la notion de ruse elle-même évoque des pratiques d’enseignant. Formateur, Yves Guégan a longtemps travaillé en Centre de Formation d’Apprentis et nombre d’exemples donnés dans l’ouvrage viennent d’enseignants de CFA.
« En classe la ruse est un outil particulièrement approprié pour gêner les résistances ». Yves Guégan démontre cela en classifiant le stypes de ruse utilisables avec les élèves. Ainsi il montre la ruse mimétique, le troc pédagogique, la stimulation par l’obstacle, les tactiques de détour etc…Un petit manuel à lire avant le cours…
Yves Guégan, Les ruses éducatives, 100 stratégies pour mobuiliser les élèves, ESF, 2008, 196 pages.
Enseigner à des apprentis
Exploiter les expériences vécues par les apprentis, organiser un groupe de besoins, concevoir des situations d’évaluation : l’ouvrage de Daniel Cortès-Torréa s’adresse aux formateurs pour mettre en œuvre et évaluer des pratiques de formation d’apprentis. A travers des fiches claires et compréhensibles, il propose des concepts, des méthodes et des outils pour concevoir et mettre en œuvre des pratiques d formation d’apprentis.
Daniel Cortès-Tierra, Enseigner à des apprentis, Casteilla, 2008, 120 pages.
L’ouvrage
http://www.casteilla.fr/index.php?art=861&th=6
Don Quichotte de banlieue
« Pourquoi aller perdre mon temps avec « ces élèves-là » ? Parce que, devenue fonctionnaire, je me suis,par la force des choses et sans trop y penser d’abord, mise au service de l’Etat, c’est-à-dire de la cité – sans jeu de mots, quoique… Et parce qu’évidemment ce n’est pas une perte de temps ». Sophie Audoubert, prof de français dans le 93, ouvre son livre sur cette remarque qui d’emblée souligne l’originalité de son livre.
La rentrée amène son lot habituel d’ouvrages imprimés sur l’Ecole. « Don Quichotte en banlieue », le livre de S. Audoubert, se distingue par deux points. D’abord la qualité de la langue qui est claire, distancée, équilibrée. Ensuite la position adoptée par l’auteure : à la différence des pamphlets sur les barbares et les crétins, elle est du coté de ses élèves.
Parce qu’elle a la foi républicaine chevillée au corps. Parce qu’aussi ses élèves lui apprennent des choses (« l’école de banlieue est avant tout une école d’humanité et le professeur a peut-être autant à y apprendre qu’à y enseigner »). Pour toutes ces raisons, S Audoubert nous transmet, à travers le récit de ses cours ordinaires, la rage qui l’habite devant une République devenue mârâtre. »Pourquoi les enseignants, ceux qui travaillent en banlieue les premiers, persistent-ils à réclamer des effectifs réduits dans leurs classes ? Croit-on vraiment qu ece soit pour leur confort personnel ?… Une classe à 20 ou une classe à 30, cela change quelque chose… dans un collège de ZEP ».
S. Audoubert livre ainsi ses difficultés face aux élèves, ses espoirs, souvent déçus, mais son espoir aussi que la République n’oublie pas une partie de ses enfants.
Sophie Audoubert, Don Quichotte en banlieue, Philippe Rey editeur, 2008, 220 pages.