En
quoi les inégalités scolaires se
construiraient-elles
dès l’école maternelle ? Dans son travail de
thèse, Christophe Joigneaux montre que l’école
maternelle
n’est pas une petite école, et va jusqu’à
critiquer le
terme « préscolarisation ».
C’est à partir de la lecture des revues professionnelles de
l’époque qu’il constate que depuis la création
des salles
d’asile, la dimension professionnelle a toujours fait débat.
C’est dans les années 50 que les enfants des milieux
bourgeois
sont scolarisés, et que de nouveaux mobiliers
témoignent
de l’évolution des pratiques scolaire, notamment avec le
travail
en ateliers, mais aussi qu’on travaille avec des programmes. C.
Joigneaux s’interroge d’ailleurs sur l’apparente contradiction entre la
demande d’apprentissages « structurés » mais pas
« systématiques ».
Dans la lignée des travaux
d’ESCOL, de B. Lahire et de J.-Y..
Rochex, il veut insister sur l’importance de l’écrit dans le
creusement des inégalités. Dans la distinction
progressive entre le registre de l’oral et de l’écrit, le
passage au « scriptural » peut être progressif. Certains
orateurs
parlent comme des livres, certains étudiants
écrivent
comme ils parlent, sans profiter des pouvoirs que peut
conférer
l’écrit sur le plan cognitif. Jack Goody a montré
que
l’écrit à un fort pouvoir réflexif,
parce qu’il
permet de rompre avec l’immédiateté des flux de
paroles
et de pensée, de sortir du flux des pensées qui
s’enchainent. Une fois qu’on est « imprégné
d’écrit », cela peut impacter notre manière de
parler, de
réfléchir, d’utiliser le langage, même
oral, pour
« réfléchir sur », pour revenir sur ce qu’on fait,
catégoriser, organiser le monde. Dès la
maternelle, ces
apprentissages sont recquis. Les exigences montent, notamment depuis
les programmes de 2002 : il faut anticiper, prévoir des
conséquences, observer les effets de ses actes, savoir
ajuster
les gestes en fonction d’une intention, affiner son action… Or, le
lien entre la réflexivité et l’écrit
est souvent
implicite dans les programmes.
Les
revues professionnelles comme « Education enfantine » permettent, mieux
que les programmes, de repérer les situations
organisées
dans la classe. Avec le développement des ateliers, du
travail
de groupe, à partir des années quatre-vingts,
l’entrée en masse des « fiches » traduit une nouvelle
évolution : elles se complexifient, comportent de nombreux
éléments de forme et de taille variable,
organisées en tableaux, et donc réclamant
implicitement
aux jeunes élèves des capacités de
catégorisation, de mises à distance, de
réflexivité.
L’organisation
même des ateliers permet d’observer un certain
nombre d’activités déconnectées des
activités en regroupement. Lorsqu’on demande aux
élèves de « découper les
étiquettes et remettre la phrase dans l’ordre », on voit
beaucoup d’élèves qui passent du temps
à se demander ce qu’il faut faire, comment le faire, et quel
lien existe entre ce qu’a dit l’enseignante et ce qu’ils ont devant les
yeux. Certains prennent le temps, en cours de tâche, de
s’arrêter pour comparer avec le modèle, prendre de
la distance, voire corriger leurs erreurs, quand d’autres travaillent
« au fil des actions », prennent surtout les informations chez les
voisins ou se laissent piloter par eux, perdent de vue les
modèles, prennent les activités pour
elles-même : découper sans penser à
organiser, coller sans prendre en compte le
précédent placement des étiquettes…
Tout ce qui se passe « en dehors des
yeux de la maîtresse ». Entre la complexité des
tâches demandées dans les fiches et
l’opacité des procédures utilisées par
les élèves, l’enseignante risque de ne rien
savoir de l’activité réelle de ses
élèves.
« Mais alors,
comment les aider ? » apostrophe la salle qui demande des
réponses. « Mon
ambition ici est surtout de vous proposer de vous questionner sur les
outils, sur la pertinence de vos supports, de vos organisations.
Puisque l’enseignant ne peut pas être partout, quelles sont
les contraintes qui pèsent sur leurs pratiques »
répond l’orateur.
Intéressée, mais bousculée, la salle
questionne. « Si on m’en
met 20, je veux bien, mais on m’en met 30. Alors, quoi faitre d’autre
que des ateliers ?… » gromelle une auditrice. « Même avec mes CP,
j’ai besoin d’avoir des moments où j’ai quatre
élèves autour de moi pour travailler dans le
détail avec eux ». « On demande de la
réflexivité aux enfants, mais nous, on n’organise
pas la nôtre ? » « Quand on travaille, on est dans
l’urgence. Comment en sortir, résister à nous
mêmes en nous demandant pour qui on travaille ? ».
« On se met aussi la
pression sur ce qu’on pense qu’on doit rendre aux parents, pour avoir
des traces de ce qu’on fait. La fiche m’a toujours posé
problème, précise une enseignante
chevronnée. »
« La posture de
l’enseignant durant le fonctionnement me semble plus importante que
l’organisation elle-même » commente un auditeur.
On sent la complexité du métier traverser la
salle, et la difficulté à la réduire
à la focale de la méthodologie de la recherche.
C. Joigneaux précise : « C’est
vrai que certaines façons de faire des enseignants sont
peut-être plus étayantes. Certes, il faut
expliciter les procédures, d’évoquer ce qui a
été fait, et certains
élèves peuvent être plus ou moins en
difficulté dans ce moment là. Mais je ne me situe
pas à ce niveau. »
C’est l’heure de se quitter. Place à l’atelier suivant.
Malgré la nuit courte, encore de multiples questions
réorganisées : « ne soyons pas esclaves de nos
dispositifs, soyons attentifs aux interactions, à l’aide
qu’on peut donner à chacun. 24 heures par semaine,
ça ne me suffit pas… » conclut une
participante. A suivre à la rentrée, in-situ.