Que faire après Créteil ? Alors que le pouvoir politique s’agite, dit vouloir « rétablir l’ordre », déscolariser les élèves auteurs de violences et interdire le portable dans les lycées, que nous disent les recherches ? Expert reconnu internationalement, Eric Debarbieux, ancien délégué ministériel chargé de la prévention de la lutte contre les violences en milieu scolaire, pointe déjà l’inefficacité de l’interdiction des portables. Il rappelle ce qui a été fait. Il pointe aussi dans cet entretien accordé au Café pédagogique ce qui reste à faire.
L’affaire de Créteil a suscité une vague d’émotion. Le ministre s’exprime. Quelle est votre première réaction ?
Evidemment sur un fait divers on reste sur des généralisations : la « perte de sens », la disparition du respect, l’ensauvagement des jeunes… Et on avance de fausses solutions comme la vidéosurveillance. L’essentiel de la violence n’est pas là. C’est aussi un problème de pédagogie.
Déjà il faut prendre en compte sérieusement l’agression avec un suivi à long terme de cette professeure. Ce n’est pas la respecter que dire qu’elle est une victime parmi tant d’autres. Les agressions physiques de ce type sont rares. Il faut les prendre au sérieux. Mais on ne peut pas baser une politique publique sur un incident.
Le ministre invite les lycées à interdire les portables pour réduire la violence. Qu’en pensez vous ?
L’interdiction du portable au lycée, par exemple, que brandit JM Blanquer, n’apportera pas d’amélioration au climat scolaire. Une étude de G Steffgen , sur échantillons témoins, montre que c’est dans l’établissement où on a interdit le portable qu’il y a eu le plus de cyberviolence. Lutter contre elles c’est plus compliqué que cela. Souvent l’interdit devient objet de désir…
Le ministre évoque « des structures spécialisées d’accueil des enfants et adolescents qui ne respectent pas les règles ». Qu’en pensez vous ?
Pour des enfants très perturbés psychologiquement elles peuvent être nécessaires. Mais ce n’est pas une solution à la violence scolaire. Le coût de telles structures est énorme : environ 550€ par jour par enfant en centre éducatif fermé ! Avec cet argent on pourrait installer des psychologues dans les établissements scolaires. On devrait y réfléchir.
Le ministre évoque le laxisme qui aurait précédé son arrivée au ministère. IL y a eu des choses faites avant ?
JM Blanquer a assisté aux Etats généraux de 2010 puis aux Assises contre le harcèlement de 2011. Il doit s’en souvenir. On a tenté déjà sous Chatel de s’appuyer sur la recherche internationale. J’ai travaillé avec lui et j’ai continué sous les ministres suivants jusqu’à mon départ sous Vallaud Belkacem.
Depuis 2010 on a des enquêtes de victimation auprès des élèves et j’en ai fait aussi auprès des enseignants. J’ai mis en place des formations à la gestion de crise pour les chefs d’établissement en partenariat avec la gendarmerie et la police, cela avant la crise terroriste. Il n’y a plus un seul chef d’établissement qui n’ait pas un partenariat avec les forces de police locales. On a créé des conseils de prévention de la délinquance qui sont très actifs. On a aussi créé les EMS. Beaucoup de choses ont été faites.
Mais les réalités sont complexes. Par exemple on se heurte dans l’éducation nationale à un turn over très rapide des personnels dans les zones difficiles. Et c’est aussi le cas dans la police et chez les travailleurs sociaux.
Comment évolue la violence scolaire ?
Les enquêtes ministérielles et aussi les autres montrent qu’il n’y a pas de hausse des agressions sur les personnels. Les problèmes d’incivilité restent difficiles à gérer. Mais forme-t-on les enseignants à le faire ?
On avance des solutions techniques comme des tourniquets à l’entrée des établissements ou la vidéosurveillance. Qu’en pensez vous ?
Moins de 5% des faits de violence scolaire viennent de l’extérieur. Donc ce n’est pas en isolant l’école qu’on règle le problème. Il faut agir en interne pour améliorer le climat scolaire et le travail en équipe. Le problème n’est pas de punir des coupables qui doivent être sanctionnés. Mais d’éviter des victimes. On n’est pas allé trop loin du coté du laxisme. Par contre on n’a pas été assez loin vers la prévention.
Que faire ?
Il faut dépasser l’émotionnel. Et écouter les enseignants. L’enquête de 2017 auprès de 12 000 profs des 1er et 2d degré montre qu’il demandent des formations pour gérer les élèves difficiles. Ce n’est pas un problème de gestion de crise ou de conflits. Mais un problème de gestion de classe. Un facteur essentiel de la violence scolaire c’est le sentiment d’injustice.
Comment expliquez vous le ressentiment des enseignants envers l’institution ?
Relisez mon livre « Ne tirez pas sur l’école ». J’y parle du ras le bol des personnels. Les enseignants sont blessés de ne pas être au coeur des mesures prises. Ils ont le sentiment d’être méprisés. Par exemple ils voient qu’on dit du mal de la façon dont ils enseignent. Ils voient les exagérations ministérielles par exemple sur la soi disant méthode globale à l’école. L’enquête de 2016 montre que 64% des enseignants ne se sentent pas respectés par leur hiérarchie en général. C’est le fonctionnement pyramidal de l’Education nationale qui génère ce sentiment.
Propos recueillis par François Jarraud