Par François Jarraud
Comment amener les parents à soutenir la scolarité de leurs enfants ? Yves Scanu était à Roubaix, au Forum des enseignants innovants et de l’innovation éducative, où il présentait les actions en direction des parents pour une meilleure scolarité des élèves menées par l’équipe enseignante de l’école maternelle Gounod de Saint-Etienne (42). Un dispositif étoffé dont il nous présente ici les forces et les faiblesses.
Pourquoi est-ce important en maternelle la relation avec les parents ?
A cette question, j’ai envie de répondre que la relation aux parents est importante tout au long de la scolarité de l’enfant. A chaque réunion de rentrée, je rappelle aux parents d’élèves que pour apprendre, l’enfant doit mobiliser une grande énergie : c’est lui qui fait le plus gros du travail pour acquérir des compétences nouvelles. L’enseignant est là pour le confronter à des situations qui vont mettre en action et bien sûr l’accompagner, le recentrer, adapter la situation à son niveau etc. La place des parents dans ce processus n’est pas négligeable, l’accompagnement des parents est essentiel. La confiance dans l’école et ses enseignants est nécessaire pour laisser son enfant à l’école sereinement. Il est également indispensable que le travail scolaire et les nouvelles compétences acquises franchissent les murs de l’école et prennent sens et valeur à la maison. Tout cela nécessite, qu’enseignants et parents communiquent. Alors pour en revenir à votre question, à l’école maternelle cette relation doit être particulièrement prise en compte car nos jeunes élèves font leurs premières expériences de vie collective et cela peut être insécurisant pour eux et leurs parents, la mise en confiance des uns et des autres est indispensable à un début de scolarisation dans de bonnes conditions. Le deuxième point spécifique de l’école maternelle est que les apprentissages ne sont pas facilement lisibles par les parents, il est donc nécessaire de vraiment leur expliquer ce qui se passe dans la classe, ce que leur enfant apprend, quand et comment.
Notre tâche est toutefois grandement facilitée par le fonctionnement même de l’école maternelle car les parents accompagnent régulièrement leur enfant dans la classe.
Qu’est ce qui rend difficiles ces relations dans votre école ?
Notre école se situe dans un quartier périphérique de la ville de Saint-Etienne, elle est classée en RAR (réseau ambition réussite), nous accueillons donc une population, qui dans sa grande majorité, est très loin de la culture scolaire. Cette caractéristique implique que nous devons redoubler d’énergie pour mettre en confiance les parents. Pour plusieurs d’entre eux, leur parcours scolaire a été difficile, ils ont donc quelquefois une représentation négative de l’école. Sur un autre plan, quelques parents se considèrent beaucoup trop démunis pour se permettre d’accompagner leur enfant scolairement. A l’école, nous avons une anecdote qui illustre parfaitement cette situation. Tous les matins, en classe de Grande Section, les élèves accompagnés de leurs parents rédigent la commande de la collation matinale. « A.. » (un enfant de la classe) faisait tous les matins, un énorme caprice quand sa mère l’accompagnait. Ghislaine, son enseignante s’est entretenue à différentes reprises avec la mère de « A.. ». Celle-ci finit par lui révéler qu’elle ne sait ni lire, ni écrire et qu’elle ne peut pas aider son fils dans cette tâche. Ghislaine lui a alors expliqué comment faire pour aider son fils à écrire son prénom et cela a agit comme un véritable déclic pour mère et enfant.
Quels outils avez-vous mis en place pour faciliter la relation ?
Pour mener à bien les deux objectifs principaux que nous nous sommes donnés, instaurer un climat de confiance et rendre l’école lisible, nous avons mis en place différents dispositifs. Le climat de confiance se construit dès le premier contact avec les parents. L’accueil des enfants de deux ans est préparé en amont de la rentrée. Ils sont accueillis, deux demi-journées au mois de juin avec leurs parents dans leur future classe. Cela permet à l’enfant mais aussi aux parents d’avoir une représentation authentique d’une journée d’école et de commencer à prendre quelques repères. En septembre, pour la toute petite section, la rentrée est échelonnée sur trois semaines environ, pour faciliter cette première scolarisation (les dates d’entrée de chacun sont décidées lors des rencontres de juin pour permettre aux parents une meilleure anticipation de ce moment). De la même manière qu’au mois de juin, la rentrée effective est toujours précédée de deux demi-journées de prise de contact où l’un des parents reste avec l’enfant.
C’est ensuite au quotidien et dans tous les échanges informels que se tisse cette relation de confiance. Nous avons d’autre part, instauré une semaine « portes ouvertes » qui se poursuit par la proposition de RDV individuels pour tous les parents. Ces deux opérations sont des temps forts dans l’année scolaire. En effet, il est proposé aux parents, par petits groupes de maximum 4 adultes, de vivre une demi-journée de classe ordinaire. Voir son enfant en classe, vivre le déroulement d’une demi-journée d’école lèvent un voile sur un temps de vie de l’enfant auquel les parents d’élèves n’ont jamais accès.
Avec ces deux actions, nous gagnons en confiance. Elles sont également des temps privilégiés où nous donnons à lire le fonctionnement de la classe, et la manière dont les enfants apprennent.
Pour finir, lors de l’accueil quotidien, les parents accompagnent l’enfant dans la classe et sont conviés à le suivre, voire l’aider dans les différentes tâches que doit remplir l’élève sur ce temps là. C’est un temps de transition et d’échanges qui produit un double effet. Il permet un passage de la maison à l’école en douceur, il est également un temps fort où l’enfant peut montrer l’élève qu’il est ; il devient rapidement le guide de son parent dans l’univers de sa classe. C’est là peut-être que réside la dimension essentielle de ce temps d’accueil.
Deux outils support complètent ces différentes actions :
Le cahier de vie dans lequel sont consignés des temps de classe particuliers (sorties, expériences, anniversaires….) ainsi que chants et comptines. Les élèves l’emmènent régulièrement à la maison, il est un support d’échanges pour parler de l’école à la maison.
Le classeur « je grandis » est un document dans lequel nous archivons toutes les productions des élèves attestant de la maîtrise de compétences nouvelles. C’est prioritairement un outil pour l’élève qui l’aide à se repérer dans ses apprentissages. Il a aussi pour vocation d’être lu par les parents afin qu’ils puissent avec leur enfant constater ses acquis. Il est également support de l’entretien individuel proposé aux parents.
D’autre part, d’autres actions plus ponctuelles sont mises en œuvre :
-Actions de sensibilisation présentées par des professionnels sur des thèmes tels que le sommeil, l’équilibre alimentaire… sont proposées aux parents au sein de l’école.
-Une formation est proposée aux parents élus par le coordonateur du RAR pour les aider à mieux gérer leur fonction de représentation.
Et puis des détails qui peuvent paraître anecdotiques mais qui sont symboliquement forts et contribuent à renforcer le climat de confiance comme, par exemple, le contrôle des comptes de la coopérative scolaire par les parents. Il en va de même pour ce qui concerne l’accompagnement aux différentes sorties scolaires qui permettent aux parents de mieux comprendre et percevoir l’intérêt de celles-ci mais surtout de pouvoir en communiquer les enjeux aux autres familles.
Qu’est ce qui a marché de façon inattendue ?
Une des difficultés majeures de la relation parents/école est comment sensibiliser les parents, comment les faire venir à l’école. Malgré, l’investissement énorme de toute l’équipe, nous ne réunissons jamais 100% des parents à quelques rencontres que ce soit. A contrario, notre opération « portes-ouvertes » a, au moins les premières années, fait l’unanimité. Aujourd’hui, plusieurs parents déclinent l’invitation en argumentant qu’ils sont déjà venus l’année précédente pour leur aîné. Les entretiens individuels ont à présent pris le relais et nous indiquent bien toute l’attention que les parents ont pour la scolarité de leur enfant, ils balayent sans contestation la pseudo « démission des parents ».
Et qu’est ce qui ne marche pas ?
Je me garderais d’établir des généralités et me contenterais de relater une expérience qui s’est soldée par un échec. Dans les tous débuts de notre projet, nous avions l’objectif d’impliquer les parents dans la vie de l’école. Nous avons, avec eux, construit un projet autour de la BCD. Nous avions mis en place une organisation complexe où différents ateliers étaient proposés un jour par semaine à chaque classe. Ce dispositif ne pouvait fonctionner qu’avec la présence de deux ou trois parents. Nous avions imaginé une rotation de tous les parents sur cette action et pensions donc que leur investissement resterait dans une mesure raisonnable. Ce qui ne fut pas du tout le cas. En effet, seul un petit noyau de parents avait investi ce projet. Ils s’y engageaient pleinement mais reprochaient aux autres parents de ne pas les soutenir. Le climat s’en est trouvé de plus en plus tendu et nous avons abandonné ce projet qui s’est poursuivi sous une forme allégée en n’utilisant que les ressources de l’école.
Avec le recul, nous avons distingué deux écueils : ce projet ne pouvait pas impliquer tous les parents car d’une part un grand nombre d’entre eux se trouvaient en difficulté face au livre et d’autre part se posait malgré tout le problème de la disponibilité de chacun.
Comment votre projet est-il vu par les autres acteurs de l’école ?
Ce projet est porté par l’équipe d’école (ATSEM et enseignants) depuis plus de dix ans. Le soutien de l’institution n’a pas été spontané. Je me souviens qu’il a fallu argumenter vivement pour que les parents entrent dans l’école alors que le plan vigie pirate virait à l’orange ou au rouge.
Ces dernières années, il y a un revirement total et l’institution soutient notre action en direction des parents. Les collègues de passage à l’école pour un court remplacement sont nombreux à se sentir envahis par les parents, certains parlent d’intrusion. Ce sentiment s’inverse lorsque les collègues restent sur du plus long terme.
Nos collègues de l’école élémentaire avec qui nous avons construit des relations étroites disent bénéficier d’un réel à priori de confiance auprès des parents d’élèves. Malgré une population à priori plus difficile que la norme, il y a une ambiance de travail sereine dans les classes. Nous pensons pouvoir l’attribuer aux bonnes relations école/parents qui ont permis une vision positive de l’école, lieu d’apprentissage et non pas d’échec. D’autre part, ils ont inscrit la relation parents/école parmi leur axe de travail du projet d’école en cours afin d’entretenir le travail effectué à l’école maternelle.
Comment cela se passe-t-il actuellement dans le climat lourd qui pèse sur l’école
La confiance que nous avons gagnée auprès des parents permet de ne pas trop en subir les contrecoups. C’est, par contre, du côté de l’équipe pédagogique qu’il y a des répercussions : si nos convictions restent tenaces, l’impression que l’école dans son ensemble n’est plus la priorité de l’état génère un sentiment d’abandon alors que c’est de soutien dont nous avons besoin. D’autant plus, qu’avec l’instauration de l’aide personnalisée dont l’intérêt pédagogique nous questionne profondément, la journée de travail s’allonge et notre énergie s’en ressent énormément. (que dire de celle de nos élèves !).
A cela se rajoute, la dégradation des conditions de vie des parents du quartier qui sont les premières victimes de la crise que traverse notre économie. Cela ne peut pas être sans répercussions sur leurs enfants. Une raison supplémentaire qui devrait faire en sorte que l’école redevienne réellement une des priorités de notre pays. Plus que jamais il y a urgence à investir dans l’école.
Yves Scanu
Entretien François Jarraud
Une vidéo réalisée par l’ANLCI qui illustre le projet: