La Suède est-elle allée trop loin dans la décentralisation de son système éducatif ? C’est la championne de la désétatisation de l’Ecole qui est priée par l’OCDE le 4 mai à se réformer une nouvelle fois mais en marche arrière. L’organisation internationale invite la Suède à réformer en profondeur son système éducatif pour améliorer le niveau de compétences des élèves et réduire les inégalités. Un appel qui clôt la réforme éducative la plus libérale des pays de l’Ocde. Déjà un démenti pour nos futurs dirigeants ?
La réforme la plus libérale de l’Ocde
C’est un champion de la réforme éducative qui est ciblé par l’étude de l’Ocde. Dans les années 1990, la Suède a pris la tête des pays réformistes dans l’optique du New Management. Le pays est passé en quelques années d’un système éducatif étatique et centralisé à une décentralisation totale. Les enseignants sont devenus des employés communaux. Les établissements sont gérés par des chefs d’établissement qui ont une totale liberté de gestion sous tutelle de la municipalité et une large autonomie pédagogique. L’Etat attribue aux communes une enveloppe globale pour ses services en échange de services. Les parents peuvent inscrire leur enfant dans l’école de leur choix à l’intérieur de la commune. Ils disposent d’un chèque éducation. C’est son apport qui alimente le budget de chaque école. On a donc la plus large décentralisation parmi les pays de l’Ocde et elle a été effectuée en un temps record.
Le triste bilan de la réforme
Vingt ans après la réforme, le diagnostic dressé par l’OCDE sur l’école suédoise relève des points forts. Malgré le chèque éducation, les différences entre les écoles sont faibles. Les relations profs élèves sont bonnes. Mais l’OCDE pointe le faible niveau de compétences des élèves suédois et la baisse régulière des performances en compréhension de l’écrit, en maths et en sciences dans les évaluations PISA depuis 10 ans. Celle ci découle en partie du manque de discipline dans les classes : les élèves suédois sont les plus souvent en retard dans l’Ocde. Elle provient aussi de l’émiettement du système de formation des enseignants dont l’embauche est maintenant municipale. L’Ocde pointe aussi le faible niveau du statut social des enseignants : seulement 5% d’entre eux estiment que leur métier est valorisé dans la société, un taux très proche de celui de la France. Autre proximité, dans un contexte fort différent : l’étude souligne le manque de clarté dans l’administration de l’Ecole et dans ses objectifs.
Le retour à une certaine étatisation
L’Ocde invite d’abord à revoir le financement de l’Ecole. Elle estime qu’il est insuffisant et qu’il faut apporter de nouvelles ressources. Cela remet en question le choix opéré dans les années 1990 du chèque éducation. Elle invite aussi à revoir la formation des enseignants et à la « re-étatiser » à travers un institut national. L’éclatement du système a conduit à multiplier les instituts de formation et à abaisser le niveau de formation. L’Ocde demande aussi un effort pour valoriser le métier enseignant en encourageant un pilotage partagé des établissements, ce qui remet en cause sa municipalisation, et en encourageant la coopération entre les enseignants. Enfin l’organisation invite à faire des efforts pour améliorer le niveau scolaire des élèves issus de l’immigration en renforçant l’enseignement du suédois et l’école primaire.
Des leçons pour la France
Pour nous, ces critiques portées par l’Ocde prennent leur sens par rapport à la situation actuelle de l’école française. Celle-ci partage bien des maux avec l’école suédoise : baisse des performances, inégalités scolaires accrues, dévalorisation du métier. L’intérêt pour nous c’est que ces mauvais résultats sont le résultat d’une réforme libérale de l’éducation, en gros celle qui mijote dans les chaudron de la droite. Le chèque éducation avec le libre choix parental, l’autonomie totale laissée aux écoles, le management local, la toute puissance du chef d’établissement, tout cela a été expérimenté en Suède et a échoué. Les municipalités ont maintenant du mal à recruter des chefs d’établissement qui jugent avoir trop de responsabilités tout en étant maintenus sous pression par les petits chefs des municipalités, comme le montre un excellent article de Dan Collberg publié par la Revue de Sèvres. Les performances baissent. Le système développe des inégalités ethniques. Ce qu’envisage l’Ocde c’est une recentralisation partielle des formations et des curricula. Un désaveu pour nos futurs dirigeants ?
François Jarraud
L’école suédoise vue par le Café en 2012
NB : Cet article a déjà été publié en mai 2015 dans le Café pédagogique