Par Alexandra Floirat
Rentrée 2010 : si les enseignants de lettres devront attendre la rentrée prochaine pour voir s’appliquer les changements de programme, ils découvrent dès cette année un enseignement d’exploration en seconde qui les concerne directement, littérature et société.
Il a pu susciter d’abord quelques réserves : d’une part on a comparé l’ambition des programmes et le peu de temps imparti pour les mettre en œuvre : cinquante-quatre heures annuelles, d’autre part on a craint que peu d’élèves soient attirés par cet enseignement, mis en concurrence avec tant d’autres tout aussi estimables, et rendus parfois très attractifs grâce à des projets aux intitulés propres à séduire le lycéen indécis : « méthode de la police scientifique », pour ne citer qu’un exemple. Signalons quand même que ce n’est pas un intitulé officiel mais le projet d’une équipe pour un autre enseignement d’exploration plus scientifique.
Au-delà de ces quelques appréhensions, peu de polémiques : comment en vouloir à un enseignement qui vise à redorer le blason de la filière littéraire, qui propose de rompre « avec les formes traditionnelles de l’enseignement » (ce sont les programmes eux-mêmes qui le disent), et qui met en avant voire réclame une grande liberté dans son organisation et sa mise en œuvre ? C’est bien ce qui a incité les enseignants à se porter volontaires : on peut quitter le champ des exercices scolaires traditionnels, et s’aventurer avec les élèves vers quelque chose de nouveau.
Rappelons que l’objectif vise à promouvoir « l’intérêt, l’utilité sociale et la diversité des débouchés d’une formation humaniste », autour de deux ou trois domaines d’exploration à choisir parmi une liste de six :
Ecrire pour changer le monde : les écrivains et les grands débats de société
Des tablettes d’argile à l’écran numérique : l’aventure du livre et de l’écrit
Images et langage : donner à voir, se faire entendre
Médias, information et communication : enjeux et perspectives
Paroles publiques : de l’agora aux forums sur la toile
Regards sur l’autre et sur l’ailleurs.
On le voit, le champ de la réflexion dépasse largement celui des programmes de lettres ; d’ailleurs nous sommes invités à travailler en interdisciplinarité. Beaucoup d’équipes rassemblent un prof d’histoire / géographie et un de lettres. Les TPE proposaient déjà un travail en équipe ; ici la collaboration est encore plus étroite puisque tout doit s’élaborer en commun.
Mais à lire les textes officiels, on a surtout l’impression que la nouveauté réside dans la démarche bien plus que dans les contenus. Au bout du travail de l’élève sur chaque thème retenu, on trouve toujours une évaluation : celle-ci se fonde sur l’élaboration d’un portfolio numérique, d’un exposé, d’un dossier, bref d’une réalisation entièrement personnelle. Plus que d’habitude, les élèves sont bien obligés d’être actifs, de chercher, parce qu’ils sont responsables de ce qu’ils produiront. L’enseignant ne disparaît évidemment pas, mais son rôle change quelque peu puisqu’on s’éloigne ici des cours tels qu’on les pratique le reste du temps. La très grande liberté offerte par cet enseignement d’exploration réside dans la très grande variété des exercices possibles et des supports utilisables : livres, médias, rencontres, visites, partenariat avec les institutions culturelles locales. Internet y occupe une place de choix, Weblettres répertorie tous les sites exploitables pour chaque domaine d’exploration, est la liste est longue. Les élèves auront l’occasion de découvrir les sites des institutions importantes comme celui de la bnf, avec ses expositions virtuelles notamment. C’est à la fois excitant et déstabilisant pour nous : ne nous demanderait-on pas de faire de la réclame pour les filières littéraires, en multipliant les activités au détriment de la rigueur et de la réflexion qu’exigent nos disciplines ? Quel contenu apporte-t-on exactement s’il suffit « d’explorer » ? En réalité on voit bien qu’il n’y a guère de contradiction : une recherche d’informations ne sera fructueuse que si elle est méthodique et raisonnée, la visite d’un lieu restera vaine sans un questionnement préalable et un vrai regard critique, ce sont autant d’occasions pour nous d’intervenir.
Evidemment, la question de la motivation de l’élève surgit alors. Comment inviter celui ou celle qui déploie tous les ressorts de la passivité, comme le font tous ceux qui n’ont pas envie de s’investir ? On est en droit d’espérer que le choix des enseignements d’exploration offerts aux élèves limite ce risque, d’ailleurs les premiers échos sur l’adhésion des élèves ne soulèvent guère d’inquiétude de ce côté-là. Par ailleurs, la pression exercée sur les élèves – et donc sur les enseignants – est réduite par les enjeux de l’enseignement d’exploration : il s’agit de guider l’orientation en faisant découvrir la filière littéraire, mais quels que soient les résultats obtenus rien ne sera définitivement impossible – pas même la section L. De ce grand avantage du choix naît un regret : celui de ne pas toucher un public a priori peu attiré par ce programme, qui préfèrera d’emblée d’autres domaines, et qu’on n’aura donc pas l’occasion de convaincre de l’utilité des humanités en dehors des cours traditionnels. Par ailleurs, en fonction des choix des établissements, les élèves doivent parfois se décider entre ce cours et leur langue ancienne ou leur langue vivante 3, et alors la notion d’ouverture sur le monde littéraire perd tout son sens.
On le comprend, littérature et société est d’abord ce que les enseignants décident d’en faire, et ceux qui se sont engagés dans ce projet ont pu donner libre cours à leurs envies, pourvu bien sûr qu’ils en aient la possibilité. De toutes façons, ils sont bien obligés de faire preuve d’inventivité tant les ressources sont encore rares : quelques pistes exploitables sur educnet.education.fr, mais rien concernant directement cet enseignement ; et sur Weblettres on trouve à une exception près des travaux antérieurs dont les thèmes peuvent correspondre à ceux de littérature et société, mais qui s’inscrivent en fait dans des démarches bien plus traditionnelles que l’esprit dans lequel on souhaiterait l’aborder. Quelques établissements comme le lycée de la Mare carrée à Moissy Cramayel affichent leur progression pour cet enseignement, d’autres présentent ce qui a été fait dans un cadre similaire en plus d’annoncer la progression à venir, comme le lycée Henri Matisse de Cugneaux, sur l’académie de Toulouse. Mais on attend surtout de trouver en ligne les productions éventuelles d’élèves. Du côté des éditeurs on ne trouve rien non plus.
On finirait presque par croire qu’un enseignement qui ne détermine en rien le passage dans la classe supérieure ne mérite guère qu’on lui consacre du temps et de la place dans le nombre grandissant des ressources offertes aux enseignants. Attendons encore un peu : parce que les enjeux se situent ailleurs que dans les notes obtenues, enseignants et élèves pourront s’investir et avancer sans craindre de déborder du cadre. Le « fonds » littérature et société se construira au fur et à mesure. Reste l’épineuse question des contingences matérielles : inviter des intervenants extérieurs ou faire sortir les élèves comme le recommandent les textes exige beaucoup d’énergie du côté des profs, mais aussi des moyens.
Le blog de la Mare carrée
http://lewebpedagogique.com/reussirenhg/2010/09/15/planning-des-seances-litterature-et-societe/
Le site d’Henri Matisse
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/lyc-hmatisse-cugnaux/spip.php?rubrique174
Littérature et société sur Weblettres
http://www.weblettres.net/sommaire.php?entree=2&rubrique=17&sousrub=475
Utopie, une expostion virtuelle de la BNF
http://expositions.bnf.fr/utopie/index.htm