Par François Jarraud
Si lutter contre les inégalités est un objectif affiché du ministère, la nouvelle politique de l’enseignement prioritaire, présentée plus haut, ne semble pas à même d’y remédier efficacement. Pourtant les inégalités sociales et ethniques sont bien présentes dans l’école de la République.
Inégalités : Quelques chiffres
Dès la fin de l’école primaire un écart important s’est creusé entre les élèves selon leur origine sociale. Un enfant de cadre a déjà trois fois moins de chances d’être en retard à l’arrivée en 6ème qu’un enfant d’ouvrier. Quatre fois moins pour un enfant d’inactif.
Le second degré ne réduit pas l’écart, bien au contraire. Ainsi 74% des élèves de Segpa viennent de milieu défavorisé. Seulement 22% des élèves de première et terminale générales ont la même origine. 53% des élèves viennent des classes favorisées.
Extrait du RERS 2009
http://www.education.gouv.fr/pid316/reperes-et-referenc[…]
L’OCDE demande plus d’équité dans le système éducatif français
Quel est le pays où un jeune de milieu défavorisé a deux fois plus de chances d’échouer en maths qu’en Turquie ? Ce pays qui se classe 25ème sur 29 pour le lien entre catégorie sociale et réussite en maths, c’est la France, selon une étude de l’Ocde, basée sur Pisa 2006. Alors que les Etats-Unis se classent 20èmes, seules l’Allemagne, la Hongrie, la Slovaquie et la Belgique arrivent à être plus inégalitaires que la France. La publication par cette organisation des « Dix mesures pour une éducation équitable » souligne involontairement les inégalités du système éducatif français.
Car l’Ocde plaide pour des systèmes plus égaux et plus inclusifs. L’égalité importe car » les coûts sociaux et financiers à long terme de l’échec scolaire sont conséquents », écrivent les experts de l’Ocde. « Ceux qui n’ont pas les compétences pour prendre leur place dans la société et dans l’économie engendrent des coûts plus élevés en matière de santé, d’aides sociales, de protection de l’enfance et de sécurité. La montée en puissance des migrations pose de nouveaux défis pour la cohésion sociale de certains pays tandis que d’autres sont confrontés à des problèmes déjà anciens d’intégration des minorités. Face à ces défis, une éducation offrant l’égalité des chances et l’inclusion aux migrants et aux minorités est cruciale. L’équité dans l’éducation conforte la cohésion et la confiance sociales ».
Les experts n’hésitent pas à préconiser 10 mesures précises. Les premières concernent l’équité. « La filiarisation et la formation de classes de niveau précoces doivent être justifiées par des bénéfices attestés car elles engendrent très souvent des risques pour l’équité. Les systèmes scolaires qui pratiquent l’orientation précoce en filière devraient envisager de retarder l’âge de la première orientation afin de réduire les inégalités et d’améliorer les résultats. La sélection par les résultats doit être utilisée avec prudence car elle aussi est porteuse de risques pour l’équité ».
L’Ocde, sans recommander la carte scolaire, invite à déreglementer avec prudence. « Le choix de l’école engendre des risques pour l’équité et exige une gestion prudente, en particulier pour éviter qu’il n’accentue les différences de composition sociale des établissements. Si le choix de l’école est donné, les établissements dont la capacité d’accueil ne permet pas d’inscrire tous les candidats doivent pouvoir assurer la mixité sociale – en appliquant par exemple des méthodes de sélection par loterie. Des primes versées aux établissements qui accueillent des élèves défavorisés peuvent aussi contribuer à cet objectif ».
Pour lutter contre le décrochage scolaire, l’Ocde préconise de rendre le second cycle « attrayant, pas seulement pour une élite possédant le goût des études, offrir des parcours de bonne qualité sans impasse et des liens efficaces avec le monde du travail ». Pour lutter contre l’échec scolaire, l’organisation écarte le redoublement et donne en exemple les méthodes finlandaises. » De nombreux pays pourraient utilement s’inspirer de la fructueuse méthode finlandaise de résolution des difficultés d’apprentissage, qui repose sur une série d’interventions d’intensité croissante pour ramener ceux qui prennent du retard au niveau de la classe. Un soutien devrait être apporté aux professionnels de l’enseignement pour développer leurs techniques d’aide en classe à ceux qui prennent du retard ».
Enfin, l’Ocde s’intéresse à l’intégration scolaire des jeunes issus de l’immigration. « Pour soutenir l’apprentissage des élèves défavorisés, les écoles doivent axer leurs efforts sur l’amélioration de la communication avec les parents des foyers les plus défavorisés et sur l’aide à l’instauration, à la maison, d’un cadre favorable à l’apprentissage ».
Ces propositions résonnent particulièrement en France puisque les faibles performances du système éducatif sont justement dues à un fort pourcentage d’élèves très faibles, c’est-à-dire à une forte inégalité scolaire, fortement corrélée à la difficulté d’intégrer les jeunes issus de l’immigration. Xavier Darcos, qui a représenté la France auprès de l’Ocde, devrait plus qu’un autre être à même de les entendre.
L’étude de l’Ocde (en pdf)
http://213.253.134.43/oecd/pdfs/browseit/9107042E.PDF
Dans le Café, en 2006 entretien avec A. Schleicher de l’Ocde
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/80Schleicher.aspx
Dans le Café : septembre 2006, l’Ocde dénonce les inégalités de l’école française
http://cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2006/09/index1[…]
Dans le Café : N. Mons : La France fait-elle les bons choix ?
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/r2007_[…]
Le dossier Pisa du Café
http://cafepedagogique.net/lesdossiers/Pages/2007/Pisa_P[…]
La ségrégation ethnique, premier cancer de l’Ecole française ?
La question des inégalités ethniques à l’école est étalée au grand jour par un rapport publié par le ministère à la rentrée 2010. Il montre une poussée des discriminations dans les relations entre élèves : machisme, homophobie, racisme, rejet des handicapés. Un rapport de l’OCDE avait pris les dimensions de la discrimination institutionnelle. Il établit que la France, avec l’Allemagne, l’Autriche et le Portugal, se distingue par l’écart entre autochtones et descendants de l’immigration pour le niveau scolaire. Il atteint en France 20 points entre ces deux catégories. Mais l’étude la plus utile reste cette de G Felouzis.
Une étude plus fine, comme celle que G. Felouzis a mené dans l’académie de Bordeaux , aurait sans doute révélé que ces inégalités s’accompagnent d’une ségrégation marquée pour certaines communautés. A Bordeaux, il a mis en évidence la ségrégation montante entre les établissements de l’agglomération. 10% des établissements scolarisaient 40% des enfants d’origine maghrébine. « Certains collèges sont de vrais ghettos scolaires comme leur quartiers d’implantation ». Les établissements les plus ségrégués scolarisent entre 3 et 5 fois plus d’élèves allochtones que la moyenne et entre 2 et 3 fois plus d’élèves socialement défavorisés. Ce qui amène Felouzis et Joëlle Perroton à affirmer , dans « Améliorer l’école, PUF 2006, que « le critère le plus déterminant dans la mise à l’écart de certains élèves est le critère ethnique » et à parler de « véritables ghettos scolaires ».
Or certains pays de l’OCDE ne produisent aucune différence de niveau entre les jeunes autochtones et allochtones (comme l’Australie ou le Canada). Ajoutons que ce dernier pays affiche également des résultats bien meilleurs pour l’ensemble des élèves que les notres. Ce qui montre que le lien entre immigration et baisse de niveau n’est pas une fatalité.
C’est dire que l’Education nationale a aussi sa part de responsabilité dans cette situation, même si la ségrégation urbaine joue un rôle essentiel. Parmi les facteurs identifiés, il y a d’abord le processus de nomination des enseignants qui poussent les moins expérimentés à intervenir dans ces établissements. Les politiques d’établissement jouent aussi un rôle. « Elles construisent souvent des filières d’excellence qui sont centrées sur des critères scolaires mais qui de fait renforcent la ségrégation » expliquait G Felouzis dans un article donné au Café. Au-delà c’est toute la politique de soutien scolaire qui est à adapter à ces élèves,particulièrement la place faite à leur langue dans l’Ecole.
Avoir de réelles équipes, affirmer l’éducabilité et chercher l’hétérogénéité, prendre en compte les cultures locales, voilà trois défis que les collèges actuels peuvent difficilement résoudre. C’est aussi pour sortir de cette impasse qu’il importe que le projet de collèges expérimentaux soit mené à terme.
Regards sur l’éducation 2007
http://www.oecd.org/document/43/0,3343,fr_2649_201185_3925156[…]
Article de G. Felouzis dans le Café
http://cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2[…]
Qu’est ce qu’une école juste ?
A l’initiative de l’Observatoire des inégalités, Marie Duru-Bellat et Eric Charbonnier intervenaient jeudi 28 janvier 2010 à Paris sur les inégalités scolaires. Que sait-on des inégalités à l’école ? Nos voisins font-ils mieux que nous ? Existe-il une école juste ?
Le mérite peut-il nous réconcilier avec l’Ecole ? C’est une vigoureuse charge contre la méritocratie et l’égalité des chances que Marie Duru-Bellat a mené. Elle vient de publier un ouvrage, « Le mérite contre la justice », qui analyse la place du mérite dans le discours et la réalité de l’Ecole. « Psychologiquement, on a besoin du mérite », souligne-t-elle, « pour réconcilier le principe d’égalité et la réalité des inégalités ». Elle lui reconnaît une fonction idéologique qui lui donne beaucoup de séduction. Or la réalité de l’Ecole c’est qu’il y a un lien très fort entre origine sociale et réussite scolaire. De plus ces inégalités sont cumulatives du primaire au lycée.
La discrimination positive répond-elle à l’exigence de justice scolaire ? La réponse apportée le plus souvent à ces frustrations psychologiques, c’est de renforcer l’égalité des chances par la discrimination positive. « Ce faisant, on postule implicitement que, au départ, tous les élèves sont également capables et désireux de réussir scolairement. Or ce postulat est invraisemblable », affirme Marie Duru-Bellat. « Tous les élèves ne sont pas également capables : l’environnement social est très inégal. Et tous ne désirent pas la même chose ». Les vrais injustices se situent au départ, dès le berceau. Les dispositifs de discrimination positive style grandes écoles, « sont sympathiques mais ne touchent l’école q’à la marge ».
« Un régime de pur mérite serait-il viable ? », s’interroge M Duru-Bellat. « Sans doute , non » répond-elle. Car le mérite entraînerait une perversion des missions de l’Ecole. « Une école du mérite abandonnerait des pans de sa mission » au bénéfice des fonctions de sélection et aux dépens de la mission d’éducation.
« Alors peut-on se passer du mérite ? » Ce n’est pas sur. Il ne faut pas le rejeter mais lui faire perdre son caractère hégémonique. Car la notion d’école juste n’est pas neutre socialement. Les meilleurs élèves privilégient le mérite. Les plus faibles s’attachent au socle commun. Le consensus autour de l’égalité des chances est conservateur. « Il est même dangereux : il enterre la question des inégalités ».
L’école française est-elle particulièrement injuste ? Analyste de l’OCDE, Eric Charbonnier a travaillé longuement sur PISA. « Les inégalités du système éducatif français sont structurelles » explique-il. Ainsi le budget est réparti de façon inégalitaire : il y a en France plus d’argent que la moyenne OCDE dans le secondaire et dans les grandes écoles et nettement moins dans le primaire et les universités. Une autre particularité c’est la peur des maths. Elle se traduit par une anxiété sourde bien repérée par PISA : à 15 ans, les élèves français sont les plus anxieux du monde. Une autre inégalité du système français c’est les inégalités entre établissements , par exemple le fait que 73% des élèves de zep ont des parents ouvriers ou inactifs, contre 23% ailleurs.En France un élève venant d’une famille défavorisée a 4 fois plus de chances de ne pas réussir, ce qui est au dessus e la moyenne OCDE (3 fois).
Que peut-on faire pour réduire les inégalités ?
Pour Eric Charbonnier , l’OCDE a repéré des remèdes. Il faut orienter le plus tardivement possible. Il faut garder le plus longtemps possible les élèves ensemble, ne pas orienter précocement. Il faut aussi avoir une politique d’intégration des immigrés, comme ce qui se pratique en Suède (tous les nouveaux arrivants passent prendre des cours de suédois à l’école) ou au Québec (les manuels intègrent toutes les communautés).
L’autonomie des établissements semble aussi une réponse : aux Pays-Bas le chef d’établissement utilise son budget pour recruter des enseignants, définir sa politique d’éducation, faire du soutien scolaire, s’ajuster localement. La cohésion des équipes pédagogiques, comme en Finlande, est un autre élément important.
L’organisation pédagogique a aussi de l’importance : en France on a beaucoup d’heures de cours, des programmes nationaux et des manuels. Ailleurs il y a moins d’heures de cours, des programmes plus réduits. « Il faut penser différemment l’enseignement », insiste E Charbonnier. « En Nouvelle Zélande les élèves travaillent en petits groupes ». Or les réformes françaises sont inégales. On réduit les heures de cours au primaire : c’est bien. Mais comme on supprime le samedi on reste avec trop d’heures par jour et des élèves trop fatigués pour que le soutien mis en place soit efficace.
La salle se demandait si les enseignants pourraient faire plus longtemps l’économie d’une remise en cause de ses pratiques. Certains soulignaient la raideur des relations humaines dans les établissements. Pour Eric Charbonnier, les enseignants sont prets à changer. C’est le système avec ses manuels qui freine les adaptations. La formation des enseignants aussi qui reste trop éloignée de la pratique. Pour Marie Duru-Bellat la vraie question c’est de savoir ce qui peut motiver les enseignants à changer. Des évaluations externes peuvent-elles stimuler l’Ecole ?
Autant d’éléments qui posent la question du pilotage de l’Ecole. Personne n’a ose demander qu’on change les pilotes…
Le site de l’Observatoire des inégalités : http://www.inegalites.fr/
Dernier livre de M Duru-Bellat : Marie Duru-Bellat, Le mérite contre la justice, Presses de Sciences-Po, Paris, 2009
http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=2724610016933[…]
Sur le site du Café
|