Les récentes affaires de désobéissance de la part de professeurs des écoles m’amènent ce mois-ci à étudier en profondeur le devoir d’obéissance hiérarchique dans la fonction publique.
Précisons d’emblée qu’il ne s’agit pas de donner tort à l’un ou à l’autre des acteurs de ce conflit mais bien de préciser d’un point de vue purement juridique un des concepts de base de la fonction publique.
Cette précaution prise, étudions tout d’abord les bases juridiques du devoir d’obéissance hiérarchique avant de voir les conséquences de sa violation.
Administration et intérêt public
L’Administration désigne les divers services ou organes qui ont pour mission de satisfaire les besoins publics dont ils ont la charge dans le respect de l’intérêt public.
L’intérêt public est constitué de l’intérêt de la majorité des citoyens même si, parfois, il ne semble profiter qu’à une minorité d’entre eux. Il est défini par le législateur de sa propre initiative ou sur proposition, parfois insistante, de l’exécutif.
Forte de cette légitimité, l’Administration est en mesure d’imposer, aux particuliers et aux fonctionnaires, les décisions qu’elle prend au besoin, en les imposant par la voie de la puissance publique que l’on peut définir comme l’ensemble des moyens de droits dont l’administration dispose.
La Constitution du 4 octobre 1958 a confiée aux deux autorités investies de compétences générales que sont le Président de la République et le Premier Ministre, la direction de l’Administration.
Ces deux représentants de l’exécutif sont aidés par des Ministres et des Secrétaires d’État, nommés par le Président de la République sur proposition du Premier Ministre et chargés d’orienter l’action de leurs administrations respectives dans le sens de la politique définie par le Gouvernement.
Le Ministre, investi du pouvoir de décision et aidés dans sa tâche par une administration centrale, représente l’État dans toutes les matières qui incombent à son domaine de compétence et prend les décisions pour faire fonctionner son administration.
En tant que chef de service, il exerce un pouvoir hiérarchique sur tous les agents titulaires et non titulaires de son ministère qu’il nomme par délégation du Président de la République ou du Premier Ministre, et qu’il mute, sanctionne et dirige par des instructions de service.
Il ne dispose pas de pouvoir réglementaire sauf par délégation et dans un nombre restreint de matières propres à son ministère. C’est pourquoi, les notes de services, les circulaires, et évolution récente, les directives, sorte de consignes ministérielles à mi-chemin entre le vœux et l’ordre, ne peuvent changer la loi ni le règlement mais s’imposent aux fonctionnaires dans le
cadre de l’obéissance hiérarchique.
La politique de décentralisation a conduit, au fil du temps, les différents ministères à confier à des entités déconcentrées une grande partie de la gestion administrative des personnels qui incombait auparavant à l’administration centrale. C’est pourquoi, les professeurs agrégés mis à part, dans la plupart des situations, le seul interlocuteur du professeur est le Recteur d’Académie ou l’Inspecteur d’Académie.
Le devoir d’obéissance
En application des dispositions de l’article 28 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, tout agent public est sous les ordres de son chef de service et doit remplir la mission qui lui est confiée.
« Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l’exécution des taches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l’ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Il n’est dégagé d’aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés«
C’est donc le principe d’obéissance aux ordres écrits et oraux du supérieur hiérarchique, sauf s’ils sont manifestement illégaux ou contraire à l’intérêt public, qui est ici posé.
Vous aurez certainement remarqué que deux conditions cumulatives sont à remplir (ordre illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public). Or, ce qui est illégal, c’est-à-dire, contraire à la réglementation en vigueur, n’est pas forcément de nature à compromettre gravement un intérêt public.
Ainsi, le fait d’obliger un fonctionnaire à exécuter une tâche qui n’est pas prévue dans son statut est certes illégal mais ne compromet pas gravement un intérêt public ; dans le principe, cet agent ne saurait se dispenser d’exécuter cet ordre.
D’autant, qu’à supposer qu’un ordre soit illégal et compromette un intérêt public, il resterait à en apprécier la gravité ce qui laisse beaucoup de place à l’incertitude dans l’appréciation des situations dans lesquelles un fonctionnaires peut refuser d’exécuter un ordre.
Les conséquences du non-respect d’un ordre
Le non-respect d’un ordre hiérarchique peut avoir deux conséquences :
a) La retenue sur traitement
L’article 64 la loi n°84-16 du 11 janvier 1984 pose la condition de la rémunération du fonctionnaire :
» Les fonctionnaires régis par le présent titre ont droit, après service fait, à une rémunération fixée conformément aux dispositions de l’article 20 du titre premier du statut général. »
Si le service n’est pas fait, le traitement n’est donc pas versé. Du moins en théorie.
L’obligation horaire de service de chaque corps de professeur est définie par le décret statutaire du corps ou les décrets qui y sont rattachés. Elle est de 27 heures pour les professeurs des écoles, de 18 pour les professeurs certifiés et les P.L.P. et de 15 heures pour les professeurs agrégés.
La retenue sur traitement pour service non fait s’effectue selon la règle du trentième, qui fait que toute journée non travaillée, même en partie, est déduite du traitement versé pour la valeur d’un trentième du traitement mensuel.
Si l’on considère que l’aide personnalisée aux élèves est due par le professeur des écoles chaque lundi, mardi, jeudi et vendredi pour une durée journalière d’une demi-heure, la retenue sur traitement d’un professeur des écoles qui s’abstient de remplir cette obligation de service peut donc légalement être de 4 trentièmes de son traitement par semaine et de 16 à 18 trentièmes pour un mois entier.
Le service est aussi apprécié en terme de contenu, même si l’appréciation de cette dernière condition à remplir pour percevoir son traitement est plus difficile à réaliser.
De ce fait, certains pourraient penser que l’exécution du service sous une autre forme ouvre droit au versement intégral du traitement.
Mais, ce serait oublier que le contenu du service est défini par le chef de service, par les programmes, les notes de service, les circulaires et les directives et non par le fonctionnaire lui-même.
b) La sanction disciplinaire
Si le non-respect de l’obligation de contenu, et de qualité, du service est rarement sanctionné par la voie de la retenue sur traitement, il aboutit généralement à une sanction disciplinaire.
Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes :
Premier groupe :
– l’avertissement ;
– le blâme.
Deuxième groupe :
– la radiation du tableau d’avancement ;
– l’abaissement d’échelon ;
– l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ;
– le déplacement d’office.
Troisième groupe :
– la rétrogradation ;
– l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans.
Quatrième groupe :
– la mise à la retraite d’office ;
– la révocation.
Il est fort probable que, dans un premier temps, le fonctionnaire qui n’exécute pas son service en totalité ou tel qu’il a été défini, sera convoqué par sa hiérarchie pour recueillir ses explications et lui rappeler ses obligations de service.
Mais, il ne faut pas douter que s’il perdure dans ses manquements, il fera très vite l’objet d’une sanction disciplinaire, qui selon les circonstances, ira au-delà de l’avertissement ou du blâme.
Le recours aux juridictions administratives
Certains fonctionnaires convaincus du bien fondé des motifs de leur refus d’exécuter le service, pourraient imaginer qu’un recours devant les juridictions administratives entraînera l’annulation des décisions de retenue sur traitement ou de la sanction disciplinaire dont ils auront fait l’objet.
Mais, à moins d’une erreur manifeste d’appréciation ou d’une erreur matérielle, l’issue de telles procédures sera cruellement décevante.
En effet, il ne faut pas oublier que la jurisprudence des Juridictions administratives, dont un des objectifs principaux est de préserver l’autorité et les intérêts de l’administration, y compris en violant le droit international, ce que la Cour Européenne des Droits de l’Homme rappelle régulièrement, est bien établie sur ce point.
Ainsi il a été jugé :
* « Considérant qu’il résulte des pièces du dossier que les refus réitérés de M. A… de garer son véhicule sur l’emplacement prévu à cet effet et de retirer un miroir placé à l’extérieur de la fenêtre de l’atelier dans lequel il travaillait afin de surveiller les allées et venues à l’extérieur, se sont ajoutés à de nombreux autres refus d’obéissance ; qu’ils ont ainsi constitué un comportement fautif d’une gravité suffisante pour justifier une mesure
de licenciement ; » (Conseil d’Etat 22 février 1991 N° 95781 Inédit au Recueil Lebon)
* « Considérant, en quatrième lieu, qu’il ressort des pièces versées au dossier que M. B… a commis plusieurs actes d’insubordination et d’indiscipline ; qu’il s’est rendu coupable de violations répétées de l’obligation d’obéissance hiérarchique ainsi que de l’obligation de réserve et de discrétion professionnelle ; que ces faits, dont l’existence est établie,
étaient de nature à justifier une sanction disciplinaire ; qu’en prononçant à raison de ces faits la sanction du déplacement d’office, le ministre de l’économie, des finances et du budget s’est livré à une appréciation qui n’est pas entachée d’erreur manifeste ; »
(Conseil d’Etat 10/ 7 ssr 29 mars 1993 N° 94126 Inédit au Recueil Lebon)
* « Considérant que tout fonctionnaire est tenu de se conformer aux ordres qu’il reçoit de ses supérieurs hiérarchiques, sauf si ces ordres sont manifestement illégaux et de nature, en outre, à compromettre gravement un intérêt public ; que ces deux conditions n’étant pas, il sera de l’intérêt de l’administration de ne pas transformer ces fonctionnaires en martyrs en leur infligeant des sanctions disciplinaires à l’évidence disproportionnées à la faute ».
Mais, dans le même temps, les professeurs auront aussi tout intérêt à ne pas s’engager dans un combat dans lequel les forces en présence, la loi et la jurisprudence ne jouent pas en leur faveur.
Laurent Piau
Laurent Piau, juriste, est l’auteur de l’ouvrage Le Guide juridique des enseignants aux éditions ESF
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