Ce début d’année nous offre l’occasion de privilégier l’enseignement professionnel en rendant compte de l’ouvrage que Jean-François Perret, Anne-Nelly Perret-Clermont et un groupe de chercheurs de l’université de Neuchâtel en Suisse viennent de publier aux éditions universitaires de Fribourg : » Apprendre un métier dans un contexte de mutations technologiques « . ( http://www.st-paul.ch/uni-press-FR/frameset_nouveau.htm).
Ce travail résulte d’une observation prolongée dans une école technique du canton de Vaud et porte de façon spécifique sur les questions liées à l’introduction de machines à commande numérique dans les ateliers. De même que toute enquête ethnologique contribue, à travers l’exemple d’une tribu particulière, à la connaissance d’une culture dans sa totalité et, à travers cette culture particulière, à celle de l’humanité toute entière, de même, l’analyse des comportements et des représentations des élèves et des enseignants de l’école de Sainte-Croix à Vaud face aux nouvelles technologies d’information et de communication nourrit la réflexion pédagogique sur des questions propres à l’enseignement professionnel et, simultanément, sur d’autres, très générales, qui se posent à tout élève et à tout enseignant. La qualité du travail qui nous est présenté ici et le sérieux avec lequel il a été conduit nous amènent à penser que la plupart des thèmes qui y sont traités trouvent un écho dans le champ pédagogique général. Prenons un exemple ; les chefs d’atelier sont régulièrement amenés à choisir entre machines professionnelles et machines didactiques. La tradition va plutôt dans le sens des machines outils professionnelles ; mais les TIC et le renouvellement technique rapide changent les données du problème. Aucune solution ne s’impose plus a priori. Les observateurs, neutres et attentifs, s’interdisant de trancher et de s’instituer en donneurs de leçons, s’attachent à décrire et à analyser, dans le détail, les positions des protagonistes, celles des enseignants mais aussi celles des élèves dont la faveur va toujours dans le sens des machines professionnelles. Les chercheurs pointent surtout les implications pédagogiques de ces débats et suggèrent, sur cette question comme à propos de beaucoup d’autres, que c’est par l’introduction d’une réflexion sur les manières d’apprendre au sein du cursus de formation des élèves que les décisions pourraient être prises, comprises et acceptées. Comment ne ferions-nous pas le lien avec la question de la transposition didactique et la tendance qui semble inverse, dans l’enseignement général, à favoriser, notamment grâce au Web, l’accès à des instruments et à des ressources authentiques ? Quant au travail réflexif sur les pratiques et les stratégies d’apprentissage, s’il se trouve que c’est dans l’enseignement professionnel que sa nécessité se fait le plus sentir, alors c’est de ce côté que les pédagogues de l’enseignement général devront aller prendre quelques leçons.
Autre exemple, celui de la relation pédagogique et du rôle des enseignants. Quelques séances de travaux pratiques sont décrites et analysées en détail ; on y voit l’enseignant alterner les rôles de formateur, d’organisateur-instructeur et d’ingénieur. C’est lorsqu’il se trouve en difficulté ou en recherche de solution, par exemple lorsqu’un groupe d’élèves le sollicite pour résoudre un problème, que l’enseignant se montre dans l’exercice de sa compétence d’ingénieur. C’est une situation paradoxale ; d’une part, elle est très formatrice pour les élèves puisqu’ils sont alors » associés à la démarche d’un professionnel qui donne à voir et à penser son savoir-faire » ; mais d’autre part, elle est aussi une situation très inconfortable sur le plan pédagogique. Là encore et bien que les professeurs de l’enseignement général n’aient pas l’habitude de se percevoir comme des ingénieurs, la proximité entre les deux filières est beaucoup plus grande qu’il n’y paraît ; ou du moins, devrait l’être : » l’enseignement général exige des élèves et des étudiants la maîtrise d’un ensemble de pratiques (de lecture, d’écriture, de résolution de problème), mais donne peu à voir les démarches et les actions qui sous-tendent cette maîtrise. Dans le contexte de l’école secondaire par exemple, combien d’élèves ont vu à l’œuvre leur professeur de français rédiger une dissertation, leur professeur de mathématiques résoudre un vrai problème de mathématiques ? »
Sur le plan pédagogique strict, la différence entre les filières de l’enseignement général et celles de l’enseignement général étaient en partie marquées par le fait que dans les premières seulement, les apprenants étaient » instrumentés pour apprendre « . Les TIC annulent en partie ces différences et justifient que les pédagogues généralistes soient plus attentifs qu’ils ne l’étaient jusqu’alors aux pratiques de l’enseignement professionnel, sans pour autant remettre en cause leurs spécificités respectives. C’est en tous cas dans ce sens que militent les auteurs : « En tant que laboratoires pédagogiques à ciel ouvert, les écoles de métiers constituent potentiellement une ressource, un terreau de réflexions, d’innovations pédagogiques et d’observations qui peuvent être utiles à l’ensemble des secteurs d’enseignement. Mais ceci ne sera vrai qu’à la condition que s’y développent encore de réels espaces de réflexion sur l’action professionnelle, sur l’action pédagogique, sur les quêtes existentielles des jeunes et leur fondamental besoin de reconnaissance. »
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