Bibliographie
Tal Bruttmann est chercheur auprès de la Commission d’enquête de la ville de Grenoble sur les spoliations de biens juifs. Au bureau des affaires juives » éclaire un angle peu connu de la politique antisémite en France : celui de la bureaucratie. Spécialiste de l’Isère, T. Bruttmann a acquis une véritable culture bureaucratique qui lui permet de restituer le fonctionnement de la machine bureaucratique préfectorale dans le traitement des affaires juives.
Car « en quelques semaines, une administration jusque là au service de l’Etat républicain se met au service d’un nouveau régime, l’Etat français, et des nouvelles valeurs qu’il porte. Rapidement la politique antisémite… est intégrée au travail administratif et appliquée sans guère d’atermoiements ni de difficultés ». C’est ce basculement de l’appareil bureaucratique, indispensable à l’exécution du projet génocidaire, que T. Bruttmann arrive à rendre parfaitement transparent.
Et ça commence dès 1940 où il est confondant de voir les administrations appliquer avec zèle le nouveau statut des juifs. C’est le cas par exemple dans l’éducation nationale où si quelques inspecteurs déclarent ignorer « s’il y a dans ma circonscription des instituteurs ou institutrices visés parla loi du octobre », d’autres n’hésitent pas à étendre le champ d’application de la loi par exemple aux cours privés ou à indiquer des collègues d’autres circonscriptions.
Car, globalement, l’administration a participé en Isère avec zèle à la politique antisémite. Ainsi la justice qui trouve des excuses aux Alsaciens qui ont des faux papiers mais pas aux juifs. Ainsi la police qui lors de la rafle du 26 août 1942 arrête au-delà de ce qu’on lui demande, y compris des non-juifs alors même qu’elle n’a pas d’illusion : « pour eux tout est perdu ». Dés 1940 Vichy a légitimé une vision raciste de la société qui déferle sur les administrations. A plusieurs reprises celles-ci innovent. Ainsi quand en juillet 1940 la SNCF interdit le passage de la ligne de démarcation aux noirs et aux métis là où l’interdit allemand ne vise que les juifs.
Cela amène donc à deux questions assez fondamentales. Quelle force explique le relatif succès de ces politiques ? Un demi-siècle après l’affermissement de la République, les valeurs républicaines n’étaient-elle, pour les agents de l’Etat, qu’un simple vernis recouvrant un antisémitisme profond ? Dans quelle mesure la vision bureaucratique déforme-t-elle la réalité ? Par définition, les actes clandestins, les lenteurs volontaires, les sabotages ne rentrent qu’exceptionnellement dans les cartons de la préfectorale.
Tal Bruttmann, Au bureau des affaires juives, L’administration française et l’application de la législation antisémite 1940-1944, Paris, La Découverte, 288 pages.