Eric de Montgolfier :
« Faire ce qu’on croit juste, quelles que soient les difficultés«
« Mon métier et de ne croire personne tant que je ne suis pas convaincu qu’il ne me dit pas la vérité. C’est ce qui fonde mon action quotidienne. Nous sommes dans une société où l’autorité acquise n’est plus, elle doit être conquise, et c’est sans doute pour un enseignant extrêmement difficile à gérer. Dans une classe, il ne suffit plus de paraître, il faut être. Il en est de même pour nombre de métiers, y compris pour les juges. Quand vous entrez dans la cage aux lionceaux, je conçois que c’est compliqué, mais c’est une erreur de s’en plaindre. L’autorité conquise me paraît beaucoup plus agréable, dans l’exercice de nos fonctions, parce que c’est le produit de nos compétences.
Les mécanismes qui régulaient l’ancienne société se sont estompés. La famille qui pouvait faire écran entre vous et les enfants ne joue plus le même rôle. La justice n’occupe plus le fond de l’impasse sociale, mais son entrée. Ce que vous réussissez, je n’ai pas à m’en occuper. Mais c’est quand nous échouons tous les deux que la situation est difficile.
Il ne me paraît pas normal qu’on nomme votre ministère celui de l’Education nationale, comme s’il vous incombait toutes les fonctions éducatives, tous les échecs de la société. Nous n’avons pas été formés à absorber ces échecs, à prendre en charge ce qu’ils sont, et pas seulement ce qu’ils font.
Nous devons résister aux institutions, pas seulement leur demander de nous instituer, comme si elles devaient pallier aux défaillances individuelles. Evidemment, il faut aussi résister à soi-même, quand les matins fatigués nous amènent à donner un devoir plutôt qu’à enseigner. Se reposer sur les institutions me semble malsain. C’est sans doute parce que je crois à l’individu que je pense qu’à trop compter sur un encadrement, notre existence devient fade et insipide. Les difficultés qu’on rencontre, c’est ce qui donne sel à la vie.
La salle n’est pas sans réticence : « Sans institution juste, on risque de partir à veau-leau ». La lame de l’orateur est acérée : « Les institutions, hélas, suivent plus souvent qu’elles ne conduisent, et c’est ce que je regrette dans la démocratie d’aujourd’hui, quand le berger se laisse conduire par le troupeau, quand les lois sont issues d’événements qui a fait monter la clameur publique qui hurle à l’insécurité à la moindre péripétie, à réglementer nos peurs quand nous ne savons pas les maîtriser… Chaque fois qu’on utilise nos peurs pour nous conduire, on nous humilie.Dans un autre ordre d’idée, il cite le « détestable principe de précaution : qu’est-ce que cette idée de vivre en permanence avec un parapluie au-dessus de la tête, avec le rejet de la prise de responsabilité ? Je n’accepte pas les démissions individuelles, surtout s’il s’agit des enfants. »
« Mais pourtant, qui vole un vélo va en prison, mais qui vole des millions va au Palais Bourbon. Ce sentiment d’injustice traverse la société« . S’il acquièsce sur le fond, Montgolfier retourne l’argument avec art : « j’assume pour la prison, mais pour l’élection, c’est à vous qu’il faudrait poser la question… Pourquoi les élisez-vous ? L’injustice vient d’où ? La Justice est, comme l’éducation, un bien commun plus que des institutions. Rendre la justice, c’est d’abord la restituer, au nom du peuple français. Mais le peuple est-il vraiment intéressé pour qu’on la lui restitue ? Est-il suffisamment intéressé pour comprendre comment elle fonctionne ? Enseigne-t-on assez ce qu’est la démocratie ? »
Il conclut sur une dernière pirouette : « Mais que la justice puisse être injuste et profite davantage à ceux qui ont les moyens, j’en conviens. Mais au fait, de vôtre côté, l’Ecole est-elle toujours irréprochable ? Donne-t-elle autant aux pauvres qu’aux riches, même face aux sacro-saints concours de la République ? Je n’en n’ai pas toujours l’impression… »
La difficulté, avec les magistrats, c’est leur pouvoir du Verbe. Imparable ?