On n’aurait pas dû en boire autant. Comme un bistroquet de barrière, Luc Chatel nous a vendu une vraie cascade de boissons sucrées, du jaja 30° de la rue de Grenelle. Ca devait nous faire voir la rentrée en bleu azur (plutôt que rose…). Mais voilà, avec la publication des « Regards sur l’éducation » de l’OCDE, on se réveille la bouche pâteuse et la tête cabossée. Finie la fête. Le réveil est pénible et même atroce. Mais comment soigner cette gueule de bois ?
Pourquoi parler de boissons sucrées ? Avant même que le HCE parle « d’indicateurs trompeurs », plusieurs journalistes, et le Café, ont souligné les enfumades ministérielles de la conférence de presse de rentrée. Il faut relire son dossier de presse : résultats des élèves meilleurs d’une année sur l’autre, effort salarial inégalé dans le monde, amélioration du « bien-être au travail » des personnels, réformes sans problèmes… C’est en vol plané sur tapis magique au dessus du monde réel que Luc Chatel nous a baladé. Le rapport de l’OCDE nous ramène à la réalité du système éducatif. Et elle est particulièrement affligeante.
10 ans pour rien pour les jeunes des quartiers populaires. La première leçon de l’OCDE c’est que le taux de scolarisation des 15-19 ans a diminué en France alors que partout ailleurs il augmente ! Ce chiffre correspond à une réalité bien connue : 130 000 jeunes quittent chaque année le système scolaire sans diplôme. Et à une évidence que l’OCDE pointe du doigt. Ces sortants sont des enfants des banlieues et des « CSP moins ». Parce qu’en France beaucoup plus qu’ailleurs le niveau socio-culturel de la famille influe sur la réussite scolaire. De même que l’origine : entre un jeune immigré et un indigène, l’écart de niveau de compréhension de l’écrit atteint presque deux années de scolarité. En 10 ans, les ministères Fillon, Robien, Darcos et Chatel ont sacrifié ces jeunes. ils n’ont pas bénéficié du même droit à l’éducation que leurs camarades.
10 ans pour rien pour les enseignants. Pendant ces mêmes dix années, les salaires des enseignants français ont baissé alors que partout ailleurs (sauf dans un pays) ils augmentaient. Les salaires français sont inférieurs à la moyenne des pays de l’OCDE qui compte pourtant bon nombre de nouveaux pays au PIB très inférieur au PIB français. La critique de L. Chatel, selon laquelle le calcul ne prend pas en compte les heures supplémentaires des enseignants (ou plutôt l’heure et demi en moyenne) est inepte. Cette comparaison entre pays ne prend pas davantage en compte les travaux supplémentaires dans les autres pays. En 10 ans, les ministères Fillon, Robien, Darcos et Chatel ont dégradé le métier enseignant au point d’arriver maintenant, malgré un chômage massif, à une crise de recrutement. Il faut maintenant soigner la gueule de bois.
On nous propose déjà les remèdes de grand-mère. Par exemple, le Docteur Copé et tous les rétropenseurs de l’Ecole. Revenons à l’école de grand maman. Rétablissons l’alambic en 6ème, puis en 4ème, puis en seconde et organisons le rejet précoce de tous ces jeunes potentiellement en difficulté. Du coup moins de profs, peut-être mieux payés, en tous cas avec un métier plus facile et plus d’entre-soi… Ceux qui défendent cette solution apportent leur réponse à deux questions fondamentales pour le dossier éducation : qui se soucie des jeunes des quartiers populaires et quel type d’économie la France doit-elle développer. A vrai dire ces deux questions n’en forment qu’une…
Recherche docteur désespérément. Ceux qui veulent un avenir pour ces jeunes et pour notre économie voudront apporter une autre réponse. Mais c’est là que les difficultés commencent. Démocratiser vraiment l’accès à l’éducation va nécessiter un vrai investissement. Il sera toujours plus coûteux de faire accéder au bac les catégories populaires que les enfants des couches aisées. Est-il possible de faire cet effort dans la situation économique et budgétaire actuelle ? Si on arrive à payer les enseignants, où en trouvera-t-on le nombre nécessaire ? Comment casser l’alambic et mettre en place une école inclusive ? Peut-on faire l’impasse d’une redéfinition du fonctionnement de l’Ecole et des missions des enseignants ? Et comment faire accepter cette mutation ? Le rapport OCDE finalement pose encore une nouvelle question : de tous les apprentis docteurs de 2012, lequel/laquelle a un remède à la hauteur ?