Par Adeline Sontot
L’écart entre le nombre d’inscrits au concours Des mots pour voir (3425 élèves) et le nombre de textes reçus (1194 seulement !) met l’accent sur un problème préoccupant. Au-delà des problèmes techniques inhérents à l’usage des nouvelles technologies, une incapacité croissante à suivre de manière méthodique des consignes semble envahir le système scolaire. Fiche explicative détaillée avec captures d’écran, notice en animation consultable sur le site du concours, temps supplémentaire accordé…
CONSIGNE: Ordre donné pour faire effectuer un travail. Énoncé indiquant la tâche à accomplir ou le but à atteindre.
Comprendre des consignes n’est pas une fin en soi, mais cette compétence constitue une des conditions de la réussite scolaire. Il ne s’agit pas seulement de comprendre un court discours dans ses aspects syntaxiques et lexicaux. Dans une classe, les enseignants, toutes matières confondues, donnent sans cesse des consignes que les élèves doivent exécuter. Pourtant, il arrive régulièrement que ces consignes ne soient pas suivies! Il en est de même des énoncés d’exercices ou des sujets de concours. Sur certains sujets du baccalauréat, on a observé, dans diverses disciplines, jusqu’à 30 % de copies hors sujet (notamment en philosophie et en littérature). D’où cela peut-il venir? Des élèves qui ne savent pas lire ce qu’on leur demande? Des enseignants qui rédigent mal les consignes ? D’une communication devenue obscure ?
Les témoignages abondent quant aux problèmes de consignes :
« Ils ne savent pas respecter une consigne. Ils ne savent pas lire une consigne. C’est vrai, on a remarqué cela lors des examens. Il faut les lire avec eux, il faut leur expliquer. Normalement, nos consignes sont justement faites de telle sorte qu’on ne soit pas obligé de les leur expliquer ! Je crois que si on n’intervenait pas, mes collègues et moi, ce serait une fameuse catastrophe ! Donc, je me dis qu’il y a quand même un problème : est-ce qu’ils ne font pas de compréhension à la lecture en primaire ? Ils ne lisent pas assez, je suppose. Je ne sais pas ! Par exemple, on leur demande un nom, ils mettent un nombre. Vous leur demandez une date, ils vont vous mettre le lieu de naissance. Ce sont des choses aussi aberrantes que ça»
« Comprendre la question pose problème parce que, bien souvent, les élèves ne lisent pas ce qu’on demande alors ils répondent à côté parce qu’ils ne comprennent pas. Donc c’est aussi une question de français mais qui se répercute dans le cours de math. Ils ne comprennent pas ce qu’on leur demande. »
« Le problème est qu’ils ne comprennent pas les consignes en général, que ce soit en français, en histoire ou en math. Il s’agit d’un manque d’attention portée à la lecture et à la compréhension de la consigne».
« Ils ne prennent pas la peine de lire. Je crois qu’ils sont peut-être peu habitués à lire maintenant et alors ils croient savoir, ils croient reconnaître quelque chose, ils foncent sans voir quelles sont les consignes et ce qu’on leur demande. (…) C’est vraiment ça, c’est le fait que les élèves ne sont pas concentrés, et c’est la compréhension à la lecture aussi qui ne va pas, même dans le cours de math. »
Concevoir une consigne
Concevoir une consigne de travail est une activité délicate qui mérite une certaine préparation. De la qualité de la consigne dépendra, en partie, de la qualité du travail effectué (le travail personnel de l’élève compte toutefois, quoiqu’il en pense, pour beaucoup). Quel enseignant ne s’est pas retrouvé un jour de devoir avec des réponses ambiguës et des confusions de sens, difficiles à noter ensuite? Une même consigne peut être interprétée différemment par plusieurs individus. L’enseignant doit donc rédiger une consigne qui sera comprise de la même manière par l’ensemble de ses élèves (la pédagogie différenciée via la compréhension des consignes n’est donc pas l’objet de notre propos). D’un point de vue cognitif, la lecture d’une consigne active des mécanismes de compréhension et d’interprétation qui permettent à l’élève de construire une représentation de la tâche ou du but à atteindre. Si cette représentation n’est pas correcte, la tâche ne sera pas exécutée correctement. C’est ce qu’on appelle la psychologie cognitive. Autrement dit, indiquez à un élève de conjuguer le verbe « travailler » au présent, il pourrait très bien vous décliner le présent du subjonctif (si, si, en cherchant bien, certains s’en souviennent un peu ; vaguement…). Difficile, dans ces conditions, de le blâmer, même si votre devoir portait sur l’indicatif. Que de débats alors avec la classe !
Respecter une consigne, cela s’apprend. L’élève doit apprendre à s’organiser, dès le plus jeune âge dans un cadre donné. Qu’il s’agisse de dessiner le cochon sans déborder ou de justifier ses réponses en s’appuyant sur le texte de Victor Hugo. Il s’agit de leur apprendre et de les entraîner à :
– Repérer les contraintes
– Agir suivant des contraintes
– Vérifier qu’à chaque étape on respecte les contraintes
– Prendre une décision en identifiant les contraintes
L’apprentissage de la communication
Le langage commande l’action ; il est donc essentiel de le maîtriser pour réussir. L’apprentissage de l’orthographe et de la grammaire doit conduire les élèves à saisir que le respect des règles de l’expression française améliore la communication. Le socle commun insiste sur ce point : « adapter le propos au destinataire et à l’effet recherché, adapter sa prise de parole (attitude et niveau de langue) à la situation de communication (lieu, destinataire, effet recherché) ». Dans les matières scientifiques également, la langue française prime sur les manipulations et les raisonnements. « exprimer et exploiter des résultats d’une mesure ou d’une recherche en utilisant les langages scientifiques à l’écrit comme à l’oral », « l’observation des règles élémentaires de sécurité dans les domaines de la biologie, de la chimie et dans l’usage de l’électricité ». Plus loin encore, ce sont les compétences sociales et civiques qui s’élaborent, en apprenant à respecter les règles et à « évaluer les conséquences de ses actes ».
Les indicateurs pour une bonne consigne
L’IUFM enseigne parfois à ses jeunes enseignants la clé de la réussite d’une bonne consigne. Il faut vérifier si elle répond aux questions « qui ? quoi ? quand ? où ? pour quand ? comment ? pourquoi ? ». Cette méthode simple (-issime) ne tient pas compte de la subjectivité de l’enseignant, plongé dans son évaluation sommative, orienté vers les bonnes réponses. Des indicateurs plus précis pourraient se formuler de la sorte :
Pourquoi ce travail ? (quel intérêt retirera l’élève)
Que doit réaliser l’élève ? (un paragraphe argumenté, une simple restitution de connaissance)
Comment faire et avec quoi ? (temps imparti, matériel autorisé)
Jusqu’à quel degré d’achèvement ? (nombre de réponses acceptées, nombres de justifications attendues pour déterminer le registre d’un texte par exemple)
Pourquoi ce choix d’indicateurs? Traditionnellement, on se limite à informer l’élève de ce qu’il doit réaliser (deuxième indicateur). Les conditions dans lesquelles la tâche doit être menée sont souvent de l’ordre de l’implicite… et certains élèves échouent car ils n’ont pas intégré réellement les règles de fonctionnement imposées par l’enseignant. De plus, le fait de préciser l’intérêt de la tâche permet à l’élève de la situer dans un projet.
On observe par ailleurs que l’exercice de la reformulation aide considérablement les élèves, du collège au lycée. Lorsque les élèves parviennent à reformuler la consigne avec leurs propres mots, la communication est établie et l’exercice peut alors être réalisé correctement. Il faut vérifier la bonne formulation et la retranscription intégrale de la consigne. Le classique « Justifiez votre réponse » du lycée n’est pas toujours respectée et nuit à grand nombre de bacheliers dans les questions de français.
Pour éviter les erreurs :
On recense généralement trois types d’erreurs :
– la formulation (imprécisions, syntaxe complexe),
– la compréhension (confusion entre consigne, conseil, question),
– le comportement (impulsivité de l’élève)
Des consignes claires contribuent à réduire l’anxiété et le doute que certains élèves (en général la tête de classe) éprouvent quant à leur capacité à accomplir ce qu’on leur demande.
Plusieurs solutions sont formulées par les pédagogues :
– donner des consignes standardisées (au risque de leur apprendre des automatismes au lieu d’une vraie méthode),
– donner une seule consigne à la fois (à nuancer, car le jour du baccalauréat, toutes les consignes sont écrites et l’élève se retrouvera seul devant sa copie),
– analyser des énoncés de toutes les matières (souligner les mots importants, faire reformuler des énoncés mathématiques en cours de français),
– travailler sur des textes injonctifs (recette de cuisine, mode d’emploi, notices techniques)
– travailler le vocabulaire et la grammaire spécifique (les valeurs de l’infinitif, les verbes d’action de la consigne tels que « souligner, barrer, entourer »). On s’est aperçu que beaucoup de termes, habituellement utilisés dans les consignes données aux élèves, représentaient parfois une source de confusion ou d’incompréhension. Il en est ainsi des verbes « faire, analyser, comprendre, interpréter, caractériser, comparer, compléter, déterminer, imaginer… ». Il s’agit de verbes mentalistes, trop imprécis lorsqu’ils ne sont pas détaillés. Il est parfois nécessaire de les remplacer par des verbes exprimant des comportements mieux cernés. «Comparer» pourra devenir « noter par écrit, sous la forme d’un tableau… ». De plus, certains mots sont porteurs de plusieurs sens. D’une discipline à l’autre, ils peuvent même avoir une signification tout à fait différente. Le meilleur exemple se rapporte sans doute aux mathématiques (ranger, classer, ordonner, trier…). À l’intérieur même d’une discipline, certaines confusions peuvent apparaître. Nous citerons comme exemple une question posée dans le cadre du brevet des collèges en histoire: «En vous appuyant sur ce document [texte de Roosevelt], dressez un tableau de la situation économique et sociale… » Les trois quarts des élèves ont réalisé un tableau… avec des colonnes!
Les élèves ne peuvent déployer leurs connaissances sans un minimum de rigueur et de méthode. Ce sont précisément les deux qualités qui s’étiolent aujourd’hui…. Reste à espérer que l’attitude des enseignants, par leur maîtrise du langage, leur organisation du travail, l’encadrement des travaux dirigés, aura valeur d’exemplum.
Zoom sur le concours Des Mots pour voir
Pour l’année 2007-2008, ce sont 3425 inscrits, 1194 textes (soit 1000 textes perdus au moment de la saisie), 35 pays participants (la TaIwan, l’Arabie Saoudite et la Corée du Sud ont fait leur première .apparition cette année).
Le cru 2008-2009 du concours développera la dimension historique de l’art en proposant un nouveau type de sujet, au carrefour de la littérature et de l’histoire (toujours en lien avec l’image).
Bibliographie
Françoise Raynal & Alain Rieunier. Pédagogie: dictionnaire des concepts clés. ESF éditeur.1997
Gérard de VECCHI. Aider les élèves à apprendre. Ed.Hachette/Education.2000
Document d’accompagnement des programmes de la 1ère A.M. Direction de l’Enseignement Fondamental. Avril 2003.
Sur le net
Présentations diverses de consignes : un travail comparatif intéressant sur une consigne déstructurée en histoire-géographie :
http://histgeo.ac-aix-marseille.fr/a/dda/d014.htm
Les types de consignes en PDF:
http://www.ccdmd.qc.ca/media/lect_4_4-01Lecture.pdf
Exercices d’entraînement à la lecture de consignes :
http://www.enseignons.be/upload/fondamental/Francais/Savoir-lire-des-consignes.doc
http://www.ciep.fr/bibil/2006/janvier/formation.htm
http://cravie.ac-strasbourg.fr/CD_clin/Referentiel/fiche4module2.pdf