Je pratique l’éducation nationale depuis plus de 25 ans et j’ai déjà assisté (voire participé) à de nombreuses concertations, débats, colloques, conférences et autres causeries sur des thématiques diverses et variées telles que l’ouverture de l’école, la laïcité, la place de l’évaluation, l’innovation, … C’était toujours très intéressant et les rapports qui faisaient suite à ces entretiens étaient riches d’enseignements. Mais, en tant qu’enseignante, je pense que le temps est à l’action. Parce que là, ça commence à tanguer sévèrement…
Vu du terrain
Personnellement, pour en débattre tous les jours avec mes collègues, je dresse un constat alarmant, clair et douloureux à mon échelle:
– Échec de la massification et échec de l’orientation choisie ;
– Échec de l’innovation pédagogique, de la pédagogie de projet au profit du rendement ;
– Échec de la formation initiale et continue des enseignants ;
– Et surtout baisse significative du niveau des élèves. (c’est pas moi qui le dit mais tous les rapports Depp, PISA, …)
Une fois qu’on a tiré ce bilan, il faudrait tenter de l’expliquer, de trouver des pistes de progrès. J’imagine que tout le monde cogite dans les hautes sphères mais qu’en haut du phare, il n’est peut-être pas si simple de voir ce qui se passe vraiment sur le bateau. Comme, j’ai la chance de faire partie de l’équipage, je voudrais juste apporter mon regard avant d’enfiler mon gilet de sauvetage.
Échec de la massification et échec de l’orientation choisie
Je crois au concept d’éducabilité, j’estime que tous les élèves peuvent progresser et avancer à condition que les objectifs soient différenciés. Tous les élèves ne peuvent pas avoir un bac général donc arrêtons d’envoyer massivement au lycée d’enseignement général des élèves qui sont en grande difficulté en leur faisant croire qu’ils auront peut-être « le déclic ».
Quand on ne comprend que partiellement ce que dit le prof depuis plusieurs années, quand on n’arrive pas à lire un énoncé pour de multiples raisons, la réussite et, surtout l’épanouissement, au lycée est une hérésie. Ces orientations au forceps vers le lycée d’enseignement général sont trop souvent une très grande souffrance pour les élèves qui mène au mieux au constat amer d’erreur d’aiguillage, au pire à une altération durable de la confiance en soi.
Pourquoi ne pas faire un réel « bilan de compétences » dès la 4eme (pas une pseudo « usine à cases » dont on a très vite vu les limites). Des rencontres avec des professionnels, de vrais stages filés dès la classe 4eme pour les élèves identifiés comme fragiles et qui le souhaitent afin qu’ils puissent se découvrir une voie de formation qui leur correspondrait ? L’option DP3 a disparu petit à petit, à mon grand regret, car elle permettait une réelle orientation choisie et permettait aussi une connaissance plus fine de la voie professionnelle encore trop souvent dénigrée.
Échec de l’innovation pédagogique, de la pédagogie de projet au profit du rendement
Comment innover, essayer, tester (se tromper) quand chaque heure de cours doit être efficiente ? Comment organiser un projet quand tout est minuté et qu’on ne peut pas imaginer « perdre » une heure de cours avec nos élèves et encore moins « faire perdre » une heure de cours à un autre collègue ?
Les programmes sont tellement denses qu’il est juste impossible de s’essayer à une séance qui ne portera peut-être pas immédiatement ses fruits mais qu’on pourrait doubler d’une autre séance sur la même notion. Aberration de la classe de terminale : devoir quasiment terminer le programme mi-Mars pour les épreuves écrites de spécialités et avoir le sentiment d’être dans une course effrénée.
Pourquoi ne pas replacer les épreuves mi-juin afin d’avoir plus de temps pour véritablement asseoir les notions et pas simplement les survoler ? Cela permettrait aussi un travail filé sur le grand oral qui, pour l’heure, n’est traité dans la plupart des cas qu’après les épreuves de spécialités. Quel est le réel intérêt de faire apparaître les résultats des épreuves de spé dans parcoursup ?
Échec de la formation initiale et continue des enseignants
Depuis quelques semaines, je ne décolère pas (et je ne suis pas la seule) en voyant le nombre de candidats aux concours du 1er et 2eme degrés. Comment effectuer un recrutement de qualité dans ces conditions ? J’ai passé mon CAPES après une licence et une année intense de préparation à un concours alors exigeant et je ne pense pas que la masterisation ait été la meilleure idée de ces dernières décennies. Quand on se trompe, on dit toujours aux élèves que c’est bien de l’admettre. Notre système pourrait s’appliquer ce précepte ?
Sinon, y a-t-il un autre métier où on rencontre un professionnel référent pour nous accompagner dans une dynamique de progrès seulement 3 fois dans sa carrière ?
Sinon, y a-t-il un autre métier où on ne voit jamais un médecin du travail ? Je viens de relire les missions du médecin du travail et je me dis que ce ne serait pas du luxe qu’on les croise de temps en temps dans les établissements scolaires (Le médecin du travail conduit les actions de santé au travail pour préserver la santé des travailleurs tout au long de leur parcours professionnel. Il surveille l’état de santé des travailleurs en fonction de leur âge, des risques concernant leur sécurité, leur santé et la pénibilité au travail)
Sinon, y a-t-il un autre métier où la formation continue repose exclusivement sur le bon vouloir des salariés sans aucun accompagnement. Quand j’animais des stages ou que je participais à des formation (là, j’avoue, j’ai renoncé), je croisais toujours les mêmes collègues : les motivés, ceux qui sont déjà dans une réflexion personnelle poussée et les autres ???
Pourquoi ne pas mettre en place des conseillers pédagogiques pour le 2d degré qu’on puisse voir de manière très régulière dans un échange constructif car nous sommes tous perfectibles. Ils nous donneraient un regard externe sur nos pratiques, nous présenteraient les outils permettant de répondre à nos besoins de formation.
Baisse significative du niveau des élèves
Quand on est enseignant, on a 2 options et 1/2 : soit une notation juste au risque de pénaliser l’orientation post-bac et se compliquer les relations avec les élèves et les familles ; soit une notation « bienveillante » répondant aux attentes des familles mais aussi de l’institution; soit un entre 2.
La notation au lycée, avec l’arrivée du contrôle continu dans l’obtention du bac (bon, ça ce n’est pas vraiment un souci car tout le monde l’a) mais surtout avec la pression parcousup dès la première, devient de plus en plus problématique. La pression est énorme pour les enseignants qui peuvent être tentés d’adapter leur barème, de jouer sur les coefficients pour ne pas pénaliser ses élèves.
Cette dérive entraine forcément une chose simple : on ment aux élèves sur leur niveau réel et, alors, pour eux, pourquoi travailler plus ou différemment si les résultats sont déjà bons ?? Et après, on fait le constat l’année suivante de la fragilité des élèves qui nous arrivent et eux ne comprennent pas, ils avaient « de bonnes notes l’année précédente » !!!
Autant, sur les points précédents, j’avais des pistes de réflexion, autant sur ce sujet, je suis démunie tout autant que mes collègues. Je pense que les élèves d’aujourd’hui sont soumis à mille et une sollicitations extérieures et qu’il est difficile, dans ces conditions, de consacrer le temps nécessaire aux apprentissages. Je pense qu’on a nié trop longtemps les vertus de la répétition et, qu’aujourd’hui, il est difficile de demander à des élèves de faire 5 exercices à la maison et surtout qu’ils soient faits !! Il faudrait peut-être redorer l’image du travail personnel, fait à la maison ou sur place après les cours, qui reste indispensable à la réussite.
Je fais souvent à mes élèves le parallèle avec le sport. Quand on veut jouer correctement au tennis, l’éducateur va vous montrer le geste technique et vous allez le refaire 100 fois pour l’intégrer sans aucune certitude de devenir Nadal à la fin et pourtant vous le faites !! Pour moi, l’école, c’est un peu la même chose, mais je me trompe peut-être.
Plutôt que des débats…
Plutôt que des débats sans fin, qui vont coûter du temps et nous faire perdre de l’argent, j’aimerais des décisions de bon sens, rapides et simples à mettre en œuvre ; des propositions qui s’appuient sur le constat factuel que l’école tourne mal et qui reconnaissent que des erreurs de jugement ont pu être commises ces dernières années et qu’il est encore temps de changer de cap.
Comme je suis sur ce bateau, je garde espoir mais je constate que les mousses qui sont à me cotés commencent petit à petit à baisser les bras … J’espère que le nouveau capitaine du navire nous emmènera vers des eaux plus calmes.
Aurélie Badard
professeure