Peut-on sauver les valeurs de la République dans la division ? Trois mois après la grande manifestation du 11 janvier, c’est toujours vers l’Ecole que se tournent les responsables pour transmettre et sauver les valeurs de la République. Le 15 avril, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, et celui du Sénat, Gérard Larcher, ont chacun de leur coté remis un rapport au président de la République sur la renaissance des valeurs de la République. Malgré son âge, la République sait encore faire le grand écart car les deux projets ne traitent pas des mêmes valeurs. Ils ne sont d’accord que sur un point : c’est l’Ecole qui va régler le problème.
Rien de commun entre les rapports de Gérard Larcher, le sénateur UMP des Yvelines et Claude Bartolone, le député socialiste du 93. Le seul point commun c’est que tous deux attendent beaucoup de l’Ecole qui devrait s’engager dans des projets globaux très différents et donc peu susceptibles de faire l’unanimité chez les enseignants et les élèves.
Soumettre l’élève à une identité nationale
« La nation française, un héritage en partage », le rapport de G. Larcher, s’appuie sur une vision très traditionnelle d’une « identité nationale ». Sa définition de la nation vient de Renan. Ses inspirateurs sont de Gaulle, Pierre Chaunu, un grand historien proche du FN décédé en 2009, et Finkielkraut. Pour G. Larcher, l’identité nationale est pré existante et la capacité d’intégration du pays n’en peut plus. L’objectif c’est la soumission de tous les enfants à cette identité d’ailleurs mal définie.
Reprenant Finkielkraut, G Larcher exige que « les élèves puissent oublier leur communauté d’origine et penser à autre chose qu’à ce qu’ils sont pour pouvoir penser par eux-mêmes ». Le droit à la différence n’est une liberté que s’il est assorti du droit et de la capacité d’être indifférent à sa différence ». Cette vision d’un élève totalement déculturé en arrivant à l’école et reniant sa culture familiale est évidemment totalement irréelle. C’est l’utopie d’une éducation totalitaire. Surtout c’est en contradiction avec ce que l’auteur écrit plus loin sur la place déterminante des parents dans l’école.
Mais ce n’est pas la seule incohérence. G Larcher veut des enseignants dont l’autorité est assurée. » Cette responsabilité et cette ambition supposent, pour l’Etat, de faire respecter certaines conditions, à commencer par l’autorité du maître qui transmet à l’élève et la primauté des savoirs sur tout « pédagogisme » » Mais cette autorité est nuancée plus loin par la volonté de chefs d’établissement et de directeurs tout puissants choisissant les enseignants.
L’enseignement de l’histoire au service du roman national
La place de l’Ecole dans la politique d’intégration républicaine occupe beaucoup moins de place que la description de ce que devrait être l’Ecole pour G Larcher. Dans le rapport Larcher l’école au final est là pour transmettre « le roman national ». L’enseignement de l’histoire n’ a pas pour finalité de transmettre des savoirs et des techniques d’analyse documentaire et de développement d el’esprit critique, mais tout au contraire de diffuser des histoires, une mythologie française. » Il s’agit de donner à l’enseignement de l’histoire un sens et une portée effectives en matière de sentiment d’appartenance : grandes dates, grands personnages, grands événements, grandes idées, doivent ponctuer cet enseignement et chaque élève doit pouvoir y trouver une source d’intelligence et de réflexion, d’identification et de fierté. » Nous voilà ramenés loin en arrière…
Aussi tout ce qui peut diviser doit être retiré de l’histoire. Comme le dit Larcher, » qu’il faut s’interroger sur la tenue, à l’école, des séquences « mémorielles » qui brouillent les repères de nos enfants. S’il faut traiter et assumer les moments douloureux du passé de notre pays, il est également nécessaire de commémorer et de valoriser ses moments libérateurs. L’abolition de l’esclavage et le combat mené par Schoelcher ou par Solitude doivent être des motifs de fierté, comme peut l’être la fin du colonialisme ». Enseigner l’histoire en omettant les événements qui la rendent active dans le monde actuel au nom de l’unité nationale, quel projet pour les enseignants d’histoire-géo ! C’est pourtant bien en les convoquant qu’on en finit avec les pauvres ombres qui rodent dans l’histoire nationale.
Libérer l’engagement
« Libérer l’engagement », le rapport de Claude Bartolone, aborde la question sous un tout autre angle mais place aussi l’école au centre de sa politique avec le vote obligatoire. Pour lui, il faut » conduire à l’école une pédagogie active de la non-discrimination ». » L’échec de nos politiques d’égalité républicaine nourrit l’échec de la République elle-même. Les ségrégations et les exclusions subies nourrissent les ségrégations et les exclusions choisies. Il nous faut sortir d’une logique de chance(s) car une place dans la société, ce ne peut pas être une question de chance ou de malchance. Il nous faut retrouver les mots et les voies de l’égalité réelle « .
C Bartolone veut donc que l’Ecole favorise l’engagement concret au service de la collectivité multiple qu’est la nation. Pour cela il propose d’obliger les élèves des grandes écoles à faire un stage citoyen de 3 mois, çà l’image de ce que font déjà certaines d’entre elles. Ils souhaite le développement des Conseils de la vie collégienne et lycéenne dans les établissements. Il veut mettre en place en seconde un stage en association sur l emodèle du stage en entreprise. IL souhaite » repenser la « semaine de l’engagement lycéen » en l’ouvrant aux partenaires extérieurs de chaque établissement, notamment aux associations, et en mobilisant tous les élèves, de la seconde à la terminale » ou encore généraliser le tutorat des collégiens part des étudiants ». Une mesure plus importante serait » étendre l’éducation socioculturelle, spécificité de l’enseignement agricole, a minima aux établissements professionnels et aux établissements REP de l’enseignement général ». Cet enseignement repose sur une connaissance fine des réseaux culturels et associatifs sur le territoire. C’est une approche très concrète de la vie culturelel ancrée dans les pratiques. Pour tous les élèves il invite à » modifier le cadre actuel de la Journée défense et citoyenneté (JDC), sous la forme d’au moins une journée par an pendant trois ans. L’une de ces journées pourra être consacrée à la promotion de toutes les formes d’engagement civique ».
Coté de ces deux rapports, il y a « la grande mobilisation de l’Ecole pour les valeurs de la République » lancée en janvier 2015 par M Valls et N Vallaud-Belkacem avec ses 11 mesures. Le premier ministre ayant dénoncé « l’apartheid » au sein de la République, les mesures hésitent entre des promesses concrètes de lutter contre les ghettos scolaires et l’affichage des objets républicains. On est à mi chemin entre Larcher et Bartolone. C’est à dire pas loin de l’impuissance. La mesure 2 promet de « rétablir l’autorité des maitres et les rites républicains », une formule dont la seconde partie semble plus facile à établir que la première. « Engager un chantier prioritaire pour la maitrise du français » fait débat à travers les nouveaux programmes. Les mesures concrètes de lutte contre le décrochage ou contre la discrimination, comme les nouveaux secteurs des collèges, se développent très lentement.
Si tous ces rapports se tournent vers l’Ecole, force est de constater que la France n’est pas réconciliée sur les valeurs de la République qu’il convient de transmettre. Et que celles-ci peuvent parfois entrer en conflit avec les valeurs de l’Ecole. Affirmer les valeurs républicaines ce serait peut-être déjà prendre au sérieux les valeurs de l’Ecole au sein de l’Ecole.
François Jarraud
Intégration : Que dit le rapport Dhume ?