Collectifs, conseils de jeunes, mouvements de jeunes : que sait-on de l’éducation que les jeunes reçoivent dans ces espaces qui souvent échappent à l’Ecole ? Dix ans après « L’éducation buissonnière » d’Anne Barrère, Valérie Becquet éclaire ces espaces plus ou moins obscures dans un nouveau numéro de la Revue internationale d’éducation de Sèvres (n°88). Si l’engagement des jeunes peut prendre bien des formes, il n’est pas sans entretenir une dialectique avec l’Ecole. Entre une société qui a sa conception de la formation des jeunes et des adolescents qui en ont une autre, se nourrit un rapport où parfois ce sont les jeunes qui changent l’Ecole. La particularité de la Revue de Sèvres est de nous offrir un tour du monde de ces voies d’éducation.
Sortir de l’espace scolaire
« Ce dossier propose de sortir de l’espace scolaire pour interroger ces relations au prisme des espaces non scolaires d’engagement des jeunes ». Pour ce numéro 88 de la Revue internationale d’éducation de Sèvres, Valérie Becquet, qui coordonne le numéro, a retenu 9 pays : Singapour, le Maroc, la Suède, la Bulgarie, le Canada, le Royaume Uni, le Chili, la Turquie et la France. Autant d’exemples fort différents mais réunis par cette problématique commune de la formation des jeunes.
Il y a 10 ans, Anne Barrère, à partir de l’exemple français, faisait le portrait d’une « éducation buissonnière » qui transformait les jeunes. Les exemples réunis par la revue montrent la variété des espaces de formation des jeunes hors l’école. Ca peut être des mouvements sociaux de défense de grands causes comme l’environnement ou les droits des LGBTQi+. Ca peut etre des collectifs,parfois institués en association, parfois pas, voire des groupes reposant sur des réseaux sociaux. L’engagement peut prendre la forme de dispositifs officiels par exemple autour de la citoyenneté , comme les conseils de jeunes.
En résonnance avec l’Ecole
Ce qui est particulièrement intéressant pour nous, acteurs de l’Ecole, c’est de voir à quel point ces formes d’engagement extra scolaires peuvent entrer en résonnance avec l’Ecole. Et cela même si souvent les compétences acquises dans ces formes d’engagement ne sont pas reconnues et même pas utilisées par l’Ecole.
La Revue donne des exemples particulièrement intéressants. Par exemple les contestations à Singapour qui, quoique encadrées fermement par le gouvernement, ont réussi à faire bouger les lignes. La mobilisation des jeunes pour les migrants, l’environnement et la cause LGBTQI+ a abouti. Ces mouvements de jeunesse ont fait bouger l’Ecole en modifiant les programmes d’éducation civique.
Un autre exemple intéressant est le Chili. Les jeunes ont boudé les associations institutionnelles traditionnelles. Il sont préféré des coordinations et se sont lancés dans des occupations des lycées en 2006. Finalement ces lycéens ont fait bouger la façon de faire de la politique. Ils ont fait évoluer la société et arrivent au pouvoir avec les élections actuelles.
Un autre exemple est donné par le Maroc où des jeunes réunis sur les réseaux sociaux font là aussi bouger la société dans ses valeurs. « Face à une école qui ne joue pas efficacement son rôle d’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’Homme et à une famille dans laquelle le débat sur ces questions se heurte à un fosse générationnel, les réseaux sociaux offrent l’avantage d’un ente soi permettant aux jeuens d’échanger » écrit C. Hbila. C’est finalement hors du cadre scolaire que s’enseigne une nouvelle citoyenneté.
Engagement et soft skills
IL y a aussi des exemples de travail en commun entre l’univers scolaire et les formes d’engagement des jeunes. La Suède montre l’exemple de structures poreuses entre école et la société civile autour des pratiques artistiques. Ce sont soit des mouvements d’éducation populaire fournissant des formations artistiques soit des « écoles de culture » municipales proposant des services identiques.
Au final on peut se demander si ces formes d’engagement n’apportent pas aux jeunes des formations qui manquent à l’univers scolaire. Ils apprennent à s’exprimer, à parler en public, à s’organiser, à capitaliser les compétences qu’ils acquièrent dans les relations avec les autres, y compris parfois les autorités.
Cet engagement des jeunes c’est un peu l’université des compétences sociales, ces fameuses « soft skills » que les autorités académiques souhaitent faire entrer dans l’Ecole. C’est peut être qu’elles s’acquièrent. Et ce ne sont peut-être pas les autorités académiques qui réussiront à les faire entrer dans l’Ecole.
François Jarraud
S’éduquer par l’engagement, Revue internationale d’éducation de Sèvres, n°88, ISBN 978-2-85420-631-9