Les élèves eux-mêmes peuvent-ils combattre l’invisibilisation des femmes dans les programmes et manuels scolaires ? Professeures de français au collège Léonard de Vinci à Belfort, Fanny Couturier et Clara Guillaudeu ont amené leurs 3èmes à concevoir une exposition numérique pour mettre en lumière des femmes, connues ou moins connues, « qui ont marqué l’Histoire et fait avancer le monde ». Chaque élève a choisi une femme politique, militante, artiste ou scientifique, mené des recherches, apporté sa contribution à l’ouvrage collectif des deux classes engagées dans le projet, présenté son travail devant ses camarades. Le projet permet aussi de travailler des compétences utiles pour l’oral du DNB et d’aider à construire son parcours d’orientation hors des stéréotypes. Il fortifie des convictions : « nous avons voulu montrer à nos élèves que notre sexe ne détermine pas notre réussite et que les femmes pouvaient réussir aussi bien que les hommes dans des milieux qui étaient encore parfois réservés à ces derniers. »
Dans quel cadre avez-vous mené ce projet ?
Nous avons mené ce projet en tout début d’année, avec le niveau 3ème, au cours de notre première séquence annuelle, sur la thématique de l’égalité hommes-femmes. Cette séquence s’inscrit dans l’objet d’étude « Dénoncer les travers de la société ». Les objectifs étaient multiples et tournaient autour de deux priorités.
D’abord présenter l’épreuve orale du DNB et ses attendus, tout en proposant aux élèves une méthodologie pour réussir cette épreuve, dès le début de l’année : comment faire une recherche d’informations efficace ? Comment construire un diaporama pertinent ? Pourquoi choisir des mots-clés plutôt que des paragraphes rédigés dans son diaporama ? Quels critères respecter lors de la prestation orale ? …
Ensuite mettre en lumière des femmes, connues ou moins connues, qui ont marqué l’Histoire, tout en montrant que parfois, selon les époques, les femmes ont dû s’imposer pour réussir dans des milieux que la société réservait aux hommes. L’objectif était aussi de travailler sur l’orientation et de montrer qu’il n’y avait pas de domaines professionnels réservés aux hommes ou aux femmes.
Comment les élèves ont-ils choisi « ces femmes qui ont marqué l’Histoire » ?
Une fois le projet présenté aux élèves, certains ont immédiatement su quelle femme ils choisiraient, mais d’autres ont eu plus de difficultés. C’est pour cette raison que nous avions élaboré une liste (non exhaustive) en amont, afin d’aiguiller des élèves. Une fois les femmes de cette liste présentées, les élèves ont pu choisir leur objet d’étude et leur binôme, dans le cas où ils souhaitaient travailler à deux. Il leur a été également possible de travailler de manière individuelle. Clara Guillaudeu a davantage axé les travaux sur les femmes de lettres, alors que Fanny Couturier a axé sur les femmes engagées, les femmes d’art et de sciences.
Les élèves ont travaillé en binômes autour de la figure féminine qu’ils avaient choisie : quelles étaient les consignes et modalités de travail ?
Nous avons élaboré et fourni aux élèves un livret de travail, qui les a accompagnés durant toute la réalisation du projet, du choix du sujet jusqu’à l’évaluation de la prestation orale. Ce livret était une sorte de carnet de bord, et nous a permis de structurer le travail et de faire travailler les élèves à leur rythme, tout en les rendant autonomes. Il nous a permis également de jeter un œil aux écrits de travail des élèves, et à toutes les étapes intermédiaires avant la réalisation du diaporama. Pour les élèves, il leur a également été utile pour prendre des notes personnelles avant d’entamer leur diaporama numérique, ce qui a considérablement restreint l’usage courant du copier-coller.
Toutes les étapes du travail ont été expliquées en tout début de projet, et figuraient sur le sommaire du livret de travail : choix du groupe et de la femme, recherche d’informations, sélection, écriture du texte de présentation, recherche d’image, création d’un diaporama, insertion dans une frise chronologique commune à la classe, présentation orale. Ainsi, lorsque les élèves avaient terminé une étape, ils pouvaient passer en toute autonomie à l’étape suivante.
Concernant les modalités de travail, le projet s’est essentiellement construit en salle informatique, sur ordinateurs et tablettes. Les élèves ont utilisé les outils de recherche de leur choix pour effectuer leurs recherches documentaires et d’images pour la première partie du travail. Puis ils ont utilisé l’outil de création de diaporama en ligne de leur choix : la majorité des élèves ont choisi d’utiliser l’outil Genial.ly.
En quoi vous semble-t-il précisément intéressant de réaliser une telle exposition collective sous la forme numérique d’un diaporama interactif ?
Nous avons souhaité que cette exposition soit collective et commune à deux classes afin de présenter davantage de parcours de femmes, et de multiplier les figures présentées. Nous avions aussi pour objectif de sortir les élèves de leur noyau « classe » et d’envisager des projets qui sortent de ce noyau. C’est ainsi que nous avons proposé à ces deux mêmes classes un autre projet au cours de l’année, dans lequel les élèves ont créé une communauté de lecteurs sur Moodle pour échanger sur le livre que nous étudiions avec ces deux classes.
Pour le format numérique, les motivations étaient multiples : le numérique nous offre une meilleure visibilité des productions d’élèves, en créant des supports qui peuvent être visibles et diffusables partout : aux élèves, aux parents, aux collègues, etc… L’objectif était aussi de créer un support évolutif et « améliorable » : à l’issue de leur présentation orale en classe, les élèves ont reçu des conseils d’amélioration de leur prestation par les autres élèves et par les enseignantes, et ils ont ainsi pu bénéficier de séances supplémentaires pour faire évoluer leur diaporama. Ce support a ensuite pu être utilisé par les élèves qui le souhaitaient lors de leur oral blanc.
Il nous est apparu que le format numérique ne suffisait pas et que nous devions laisser une trace concrète et de visibilité immédiate dans notre établissement, afin de montrer les travaux aux élèves des autres niveaux. Nous avons donc créé des affiches avec les portraits des femmes étudiées, une brève présentation et le QR code donnant accès aux travaux des élèves.
En quoi le dispositif vous semble-t-il préparer à l’oral du brevet ?
Cela nous semblait important de prendre le temps de présenter et préparer cette épreuve orale, car nous avions l’impression de préparer davantage nos élèves à l’épreuve écrite de français, alors que les deux sont évaluées sur 100 points.
Ce projet nous a permis d’élaborer une méthodologie de l’épreuve orale, autour de compétences incontournables. Au cours du travail préparatoire écrit : apprendre à mener une recherche documentaire efficace, comparer les informations trouvées, vérifier ses sources ; reformuler des idées avec ses propres mots, réguler sa compréhension des informations trouvées ; être capable d’utiliser des mots-clés, de résumer et de condenser au maximum pour que l’écrit devienne un aide-mémoire de l’oral et non un support emprisonnant. Au cours de la prestation orale : adopter une prise de parole fluide et efficace ; s’appuyer sur son diaporama sans en être prisonnier ; adopter une attitude critique mais bienveillante par rapport à sa prestation ET par rapport à celle des autres (échanges de conseils entre pairs).
A l’issue de son oral en classe, chaque binôme a bénéficié d’un retour immédiat sur sa prestation, qu’il a pu noter dans son livret de travail afin de prendre en compte les conseils et de les appliquer. Chaque binôme a également reçu une fiche d’évaluation afin de situer précisément sa prestation et de savoir ce qui pouvait être encore amélioré avant l’oral blanc. Beaucoup d’élèves ont choisi ce sujet à l’oral blanc organisé dans notre collège, et nous avons été bien contentes de voir comment certains avaient fait évoluer leur diaporama et leur prestation, en suivant les conseils donnés par leurs camarades notamment.
Quelles sont vos satisfactions quant au produit final, colossal ?
Nous sommes très satisfaites de l’implication des élèves, car la plupart des élèves ont manifesté beaucoup d’intérêt dans ce projet, mais également de l’évolution des productions au fil de l’année. Les échanges oraux et les débats sur les productions après le passage des élèves à l’oral en classe ont permis de faire prendre davantage conscience des enjeux et des attendus de l’épreuve, et ils ont permis un « retour sur l’erreur » assez efficace. Nous sommes également satisfaites de la production commune finale, autant au format numérique qu’au format « exposition » dans notre couloir de français ! Des collègues d’autres matières ont été séduits par l’exposition et se sont engagés dans un travail sur la même thématique, pour qu’elle devienne une sorte de fil rouge tout au long de l’année. Et les élèves de travailler désormais sur des grandes femmes italiennes, anglaises, etc. Le projet évoluera encore l’année prochaine et prendra d’autres formes, c’est certain !
Des surprises ?
Nous avons parfois été surprises que des élèves proposent spontanément des femmes sur lesquelles travailler, qui ne figuraient pas dans notre liste, ou qui nous étaient carrément inconnues. Les élèves ont manifesté leur sensibilité pour certaines causes, au-delà de l’égalité hommes-femmes, comme la défense des droits humains, l’engagement dans la Résistance ou pour les droits des personnes noires, notamment en Amérique. Les échanges ont été riches, et nous ont permis d’aborder des thèmes variés, multiples, et absolument nécessaires, même si ce n’était pas prévu dans les objectifs d’origine.
Des points d’amélioration possibles ?
Concernant les marges d’évolution du projet et ce que nous changerions à l’avenir, nous pensons que les QR codes n’étaient pas forcément la meilleure idée pour un accès de tous les élèves aux travaux. En effet, l’usage du téléphone portable est réglementé dans notre établissement et les élèves ne peuvent l’utiliser que dans le cadre d’un travail pédagogique : ils n’ont pas le réflexe de le sortir durant l’interclasse pour scanner le travail de leurs camarades. L’exposition numérique se « visite » donc avec l’accompagnement d’un adulte. Nous réfléchissons à produire un support « clé en main » pour que nos collègues puissent accompagner leurs classes sur une de leurs séances pour découvrir l’exposition. L’an prochain, si le projet est reconduit, nous enlèverons les QR codes et à la place, nous demanderons aux élèves de produire, en plus de leur diaporama, une infographie qui présente la femme sur laquelle ils ont travaillé, et qui sera affichée sous son portrait.
De manière générale, en quoi vous semble-t-il important de lutter à l’Ecole contre l’invisibilisation des femmes ?
Cela nous semblait important de travailler sur cette thématique : l’égalité hommes-femmes est devenue un sujet de société majeur durant ces dernières années et cela nous semblait intéressant d’en parler également à l’école. Puisque les femmes occupent une place encore très restreinte dans les manuels scolaires, nous avons voulu montrer à nos élèves que notre sexe ne détermine pas notre réussite et que les femmes pouvaient réussir aussi bien que les hommes dans des milieux qui étaient encore parfois réservés à ces derniers : la politique, les arts, les luttes sociales, les sciences physiques, les mathématiques, l’astronomie etc… C’est important pour nos filles de savoir qu’aucune porte ne leur est fermée parce qu’elles sont filles, et important pour nos garçons d’en prendre conscience également.
Notre établissement propose quelques actions de sensibilisation à l’égalité hommes-femmes et plus globalement au respect de chacun, et cela nous semblait important d’y participer, non pas avec une action ponctuelle de plus, mais avec un projet de classes et une séquence disciplinaire complète. C’était intéressant également que les élèves aient déjà des connaissances et des prérequis lorsque, plus tard dans l’année au fil d’autres séquences, nous avons abordé l’autobiographie de Simone Veil, le film Persépolis de Marjane Satrapi, un autoportrait de Frida Kahlo, ou encore un extrait de la dystopie La servante écarlate. Cette thématique constitue le fil rouge de notre année scolaire en français, et nous sommes ravies que toutes ces femmes nous accompagnent depuis septembre !
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
L’exposition numérique