« Classe flexible » : si à ce nom, nombre d’entre nous visualise assez facilement un lieu organisé autour d’espaces différenciés et modulables ainsi que d’assises dynamiques, moins nombreux sont ceux qui pensent ce concept comme une pédagogie. « Cette philosophie pédagogique peut être définie, à mon sens, comme un changement de posture, physique et intellectuel, de l’élève et de l’enseignant » explique Magali Rambert-Bugeia, l’une des autrices de 21 clés de pédagogie flexible, chez Educagri Editions, dans un entretien accordé au Café pédagogique à l’occasion de la parution de l’ouvrage.
Qu’est-ce que c’est la pédagogie de la classe flexible ?
La classe flexible ou « flexible seating » est un concept qui trouve son origine aux Etats-Unis et au Canada. Il a pour but d’aménager un lieu d’apprentissage qui laisse aux apprenants la liberté de trouver la position qui leur apportera le plus de confort et de concentration en fonction de la tâche d’apprentissage qu’ils doivent accomplir. L’idée était également de lutter contre des problématiques d’ordre postural, voire de sédentarité. Elle est très souvent associée aux pédagogies actives, coopératives et différenciées. Cette philosophie pédagogique peut être définie, à mon sens, comme un changement de posture, physique et intellectuel, de l’élève et de l’enseignant. Il existe de multiples façons d’enseigner en classe flexible, car l’essentiel est d’être aligné avec ses valeurs et sa personnalité et de se l’approprier.
Vous parlez de 5 piliers essentiels et relativement invariables, quels sont-ils ?
D’abord, l’espace et le temps : le groupe classe ne va plus fonctionner d’une seule et même voix portée par l’enseignant. Chaque élève peut avancer à son rythme tout en respectant les consignes et des objectifs, des échéances, et des évaluations. Il peut être libre de son organisation aussi bien dans le travail (en groupe, seul) que dans le lieu utilisé dans son installation. L’aménagement de la classe flexible, par la multiplicité des choix d’assises et de postures qu’elle propose, répond au mieux, dans un cadre bienveillant et inclusif, à la multiplicité des besoins. Le mouvement (mais pas l‘agitation) devient légitime : en effet bouger augmente le flux sanguin et provoque des modifications dans le système nerveux ; l’imagerie médicale montre également que cela met en activité des zones du cerveau liées à l’apprentissage et favorise les connexions neuronales. Ensuite, il y a le rôle et la place de l’enseignant : il se met en retrait, devient accompagnateur et facilitateur des apprentissages. Il n’est plus le détenteur unique du savoir, même s’il reste bien évidemment responsable de la pertinence et de la valeur des contenus abordés. Et s’il co-construit le cadre et les modalités de fonctionnement avec les apprenants, il en reste le garant. Ainsi, par ce pas de côté qu’effectue l’enseignant, le face à face pédagogique se transforme en un côte à côte pédagogique.
Le troisième pilier est la place et le rôle de l’élève : il développe des compétences qui vont le rendre acteur de ses apprentissages : autonomie, initiative, respect de soi et des autres, coopération, motivation. L’erreur en particulier est reconnue, réinvestie comme vecteur d’apprentissage, et les compétences psychosociales naturellement développées. La motivation intrinsèque se trouve renforcée, voire activée, grâce au respect de quatre besoins que l’on peut énoncer sous la forme des « quatre C » : le besoin de choix, le besoin de compétence, le besoin de connexion, le besoin de compréhension.
Ensuite, le point quatrième point concerne le contenu : c’est le même que dans un cours classique mais le cours est « dans » le matériel. La place est donnée à davantage d’individualisation et d’activités variées. Une grande importance est accordée à l’autocorrection en tant qu’outil majeur du retour sur erreur tel que défini par Steve Masson. L’usage du plan de travail et de la feuille de route sont assez fréquents car ils favorisent le développement de l’autonomie (à ce sujet il est intéressant de se tourner vers le travail de Sylvain Connac) . Enfin, la pédagogie flexible reconnait la diversité des besoins comme des modes d’apprentissage et pense sa classe pour tous, et non de façon singulière. Cela permet ainsi à tous les apprenants de découvrir ce qui fonctionne le mieux pour eux, d’apprendre à apprendre afin de mieux grandir, et de réussir durablement tout en développant des compétences transversales et durables.
Enfin, l’évaluation : il s’agit de varier les modalités et les supports (écrit, oral, individuel, en groupe, créations, projets., dossiers…), les outils (grilles critériées, fichiers autocorrectifs, auto-évaluation, co-évaluation, quizz, ceintures de compétences, notation positive, évolutive, etc .), et les critères (engagement, progression, cheminement, autonomie, créativité, etc.). Évaluer différemment, c’est donner à l’élève la possibilité de connaître précisément ce qui est attendu de lui, de mesurer ses acquis, ses besoins et ses erreurs grâce à des marqueurs variés, précis, représentatifs et étayés.
Que disent à ce sujet la science et les pédagogues ?
C’est un sujet si vaste qu’il est impossible de le développer ici, mais il me semble important d’insister sur le fait que les grands principes énoncés précédemment reposent tout autant sur les pédagogies développées il y a presque un siècle par Maria Montessori ou Célestin et Elise Freinet que sur les résultats de travaux très récents de neuroscientifiques tels que Steve Masson et Stanislas Dehaene, ou encore de Grégoire Borst, Olivier Houdé, tous deux professeurs de psychologie du développement. Philippe Meirieu ne peut évidemment pas être oublié, lui qui prône et pense si justement l’élève-apprenant tout autant que l’élève-personne, et la capacité de tous à apprendre et progresser. Peut-être pouvons-nous juste mettre l’accent sur les quatre piliers de l‘apprentissage tels que les a définis S.Dehaene. D’abord, l’attention : c’est la capacité de notre cerveau à filtrer les distractions, et ainsi augmenter le nombre d’éléments sur lesquels nous nous concentrons. Ensuite, l’engagement actif : c’est se mobiliser intellectuellement (se poser des questions, résoudre un problème, concevoir un projet…), manipuler des concepts, et pourquoi pas des outils et ressources. Il y a aussi le retour immédiat sur erreur : lorsqu’il est sollicité, le cerveau émet une prédiction et il reçoit, en retour, des informations. Il établit alors une comparaison entre les deux. Le décalage éventuellement généré crée un signal d’erreur qui va permettre de corriger et d’améliorer la prédiction suivante. Enfin la consolidation permet l’ancrage dans la mémoire à long terme.
Alors, pédagogie miracle ?
Pas le moins du monde. Comme toute méthode elle ne vit et n’agit que par ceux qui s’en emparent et la font exister, évoluer, qu’ils soient enseignants ou élèves. Modestement, elle se nourrit de toute la recherche et des expérimentations qui ont lieu, du foisonnement créatif d’enseignants passionnés ; je suis consciente de ses limites et des marges de progrès, mais je constate également chaque jour dans ma classe que si je ne « gagne » pas tous mes élèves, j’en « perds » moins. Entrer en pédagogie de la classe flexible, c’est effectuer un pas de côté à la fois physique, intellectuel et symbolique. C’est se désengager des certitudes que nous avons sur ce qui nous semble être de l’ordre naturel du monde de l’école et de l’éducation. C’est abandonner la linéarité et la conformité d’un système pour, enfin, évoluer. Évoluer, au sens darwinien : s’adapter aux multiples formes de l’intelligence et des compétences humaines, aux défis du monde qui tourne non pas à l’extérieur de nos écoles, mais avec elles. C’est éduquer, non seulement des élèves, mais tout leur être.
Propos recueillis par Djéhanne Gani