Un article de Christophe Benzitoun, maitre de conférences en linguistique française de l’académie de Lorraine, publié sur le site « The Conversation France » le 5 novembre 2024, alerte sur les effets pervers de la « passion française » pour l’orthographe. Le revers de cette passion, explique-t-il, est en effet d’entretenir « une forme d’insécurité linguistique peu propice aux apprentissages » et une « peur de la faute », qui « empêche l’écriture plus qu’elle ne la stimule ». Peur d’autant plus prégnante qu’elle ne cesse d’être alimentée par des discours alarmants et déclinistes sur la « chute dramatique du niveau », ou « sur les résultats « catastrophiques » aux évaluations nationales »…
Complexité de l’orthographe et insécurité linguistique
Penser de l’apprentissage de l’orthographe qu’il pourrait être « réglé (ou devrait l’être) à la fin de l’école élémentaire » à grand renfort de « dictées traditionnelles » relève du mythe, explique Christophe Benzitoun. Il faut bien en réalité « une dizaine d’années pour espérer avoir un niveau satisfaisant » dans cette maitrise. L’orthographe française est en effet complexe, notamment en raison d’une écriture « partiellement irrationnelle », que l’on préfère maintenir en état, comme si elle participait de notre identité française. Quant aux dictées traditionnelles, elles sont des « outils de mesure du niveau et non d’apprentissage ».
En présentant par ailleurs « l’écrit correct comme étant la seule forme légitime », « tout en dévalorisant les autres formes langagières », l’école ne fait qu’entretenir une « crainte permanente d’être pris en défaut », créant, ce que le sociolinguiste américain William Labov définit comme un « sentiment d’insécurité ». Or cette peur de la faute « n’est pas propice aux apprentissages et peut engendrer une autocensure ».
Stratégie d’évitement : des attendus inatteignables ?
On remarque en effet, explique Christophe Benzitoun, « que les élèves français ont un taux de non-réponses parmi les plus élevés dans les enquêtes PISA. Ils préfèrent ne pas répondre plutôt que risquer de commettre une erreur dès lors qu’il faut rédiger ». En se focalisant « sur les échecs plutôt que les réussites », la « dictée traditionnelle » participe de ce « système décourageant », et peut même devenir « contreproductive » : on a ainsi largement documenté le fait que les élèves français « se trouvent inhibés par la peur de la faute et s’abstiennent, de ce fait, de produire une réflexion écrite ou orale ».
« Seul celui qui n’écrit pas est certain de ne pas faire de fautes d’orthographe » conclut l’auteur, qui rappelle aussi le rôle des « attendus annuels des programmes scolaires ». Porteurs d’exigences, en termes d’apprentissage de la langue, pour certains d’entre eux « hors d’atteinte pour de jeunes élèves », ils perpétuent « peut-être le mythe d’un niveau alarmant » et leurs résultats méritent donc d’ « être appréhendés avec précaution » : « quand une part importante d’élèves n’atteint pas les objectifs, ne faut-il pas aussi interroger les objectifs eux-mêmes ?
Un article stimulant à retrouver sur le site de « The Conversation ».
Claire Berest
« Enseignement du français et peur de la faute : des liaisons dangereuses » par Christophe Benzitoun. A retrouver sur le site de « The conversation »