Quels freins aujourd’hui pour l’éducation à la sexualité en France ? La ministre Nicole Belloubet annonçait en juin la publication des programmes « dans les jours à venir ». Le projet de programme est prêt. Pourtant, la ministre Anne Genetet a annoncé dimanche qu’elle avait « apporté des remarques, ce qui a conduit à des modifications » aux textes proposés par le CSP. Qu’en sera-t-il ?
Des programmes d’éducation à la sexualité et à la vie affective de la maternelle à la Terminale
Le Conseil supérieur des programmes souligne la pluralité des domaines concernés, prenant en compte l’aspect biologique comme psycho-affectif mais aussi les domaines juridique et social. Toutes les disciplines, comme des heures de vie scolaire, permettent ainsi des mises en œuvre dans les classes. Les auteurs du projet du CSP précisent que « l’École doit se garder de toute intervention autoritaire ou dogmatique dans la construction de la vie affective et relationnelle ». Le cadre neutre et laïc est rappelé : « L’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité se déploie avec la neutralité et la distance exigées par le principe de laïcité ». Les programmes proposés sont guidés par des principes de progressivité, de complémentarité autour de trois axes : « se connaître soi-même, vivre et grandir avec son corps », « rencontrer les autres et construire avec eux des relations, s’y épanouir » et « trouver sa place dans la société, y être libre et responsable ».
Un enjeu de santé physique et psychologique : des programmes d’apprentissage à un comportement responsable, dans le respect de soi et des autres
« Contribuant à préparer les élèves à leur vie d’adulte, l’éducation à la sexualité se fonde sur les valeurs d’égalité, de tolérance, de respect de soi et d’autrui. Elle veille à garantir le respect des consciences, du droit à l’intimité et de la vie privée de chacun. » lit-on sur la page du ministère. Elle rappelle une démarche éducative qui vise à transmettre « des informations objectives et des connaissances scientifiques, à identifier les différentes dimensions de la sexualité : biologique, affective, culturelle, éthique, sociale et juridique, développer l’exercice critique, favoriser des comportements responsables individuels et collectifs ». Cette éducation s’inscrit dans un objectif d’éducation éclairée et responsable, d’égalité des genres. Un rapport de l’Inserm sur la sexualité des Français publié au début du mois de novembre indique une baisse de la prévention et de l’usage du préservatif en début de vie sexuelle. Les questions de la prévention comme de la protection sont bel et bien des enjeux majeurs. Un rapport de la CIIVISE de novembre 2023 relevait qu’1 homme sur 4 entre 25 et 34 ans pense qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter et qu’une fille sur 5 subit des violences sexuelles. Au regard de ces chiffres, l’éducation à la vie affective et sexuelle peut jouer un rôle dans la prévention des violences sexistes ou sexuelles et des formes de harcèlement, de violences. L’éducation à la sexualité permet d’apprendre à comprendre, voire à verbaliser, étapes fondamentales pour identifier des violences, parfois subies, par les enfants.
Des freins à la mise en œuvre
Le Code de l’éducation (article L 312-16) indique qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupe d’âge homogène. Ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines. Elles peuvent associer les personnels contribuant à la mission de santé scolaire (…) ainsi que d’autres intervenants extérieurs ».
Depuis 2001, cet enseignement est donc obligatoire, pourtant la loi n’est pas toujours, et pas partout, appliquée : un rapport de l’Inspection Générale de l’Éducation, du Sport et de la Recherche a pointé en 2021 que moins de 15% des élèves bénéficient des 3 séances par an, sans aucune sanction prévue à ces manquements. Les raisons de l’application variable et des freins à cette éducation à la sexualité et à la vie affective ne sont pas forcément idéologiques mais parfois d’ordre pratique. En effet, l’absence ou l’insuffisance de formation des personnels, comme l’absence d’heures dédiées peuvent représenter des freins. Le lien aux familles par une information est également important pour lever tout soupçon d’instrumentalisation idéologique.
L’exemple de la Suède
En Suède, les cours d’éducation à la sexualité sont obligatoires depuis 1955 pour encourager la santé et le bien-être des élèves et renforcer leur capacité à faire des choix conscients et indépendants. Les cours reposent sur une pédagogie inclusive qui prend en compte tout le monde et la pédagogie critique des normes pour favoriser la réflexivité sur la construction des normes. C’est une approche qui dépasse le sujet de la sexualité comme sexualité reproductive.
Depuis 2021, les formations à l’éducation à la sexualité sont devenues obligatoires en Suède pour le personnel enseignant.
Des organisations syndicales, la FCPE ou encore le CESE demandent à « rendre effectif le droit à l’éducation sexuelle et affective » avec la volonté de protéger les enfants mais aussi de construire des politiques publiques émancipatrices et égalitaires. Pour le CESE, « l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS) vise à générer des rapports humains de qualité, des relations égalitaires dénuées de sexisme et de préjugés, pour construire une société plus inclusive ». Sur ce sujet, une vision réactionnaire ne pourra que contribuer à renforcer des mécanismes de domination. La mission et l’ambition d’une école émancipatrice ne peuvent se faire sans volonté politique, pas plus qu’elles ne peuvent se faire sans l’adhésion des familles – qui ont besoin d’être (correctement) informées – ou encore sans formation des personnels. Trois défis pour un sujet sensible, mais dont l’actualité ne cesse de démontrer l’urgence du traitement …
Djéhanne Gani
Dans le Café pédagogique :
Sexualité : que dit le programme du CSP ?
Éducation à la vie affective et sexuelle : et si on s’inspirait de la Suède