Samuel, Anton et Lia se retrouvent séparés de leurs parents alors qu’un virus meurtrier menace Paris… : voilà le thème de la série littéraire « Viral » de Neil Jomunsi. Au collège Jean Macé de Mainvilliers en Eure-et-Loir, Gaelle Levesque a invité ses 5èmes à construire le synopsis d’une possible saison 2 et à en écrire intégralement l’épisode 1. Peut-on exploiter pédagogiquement le format de la série, a priori peu littéraire et peu scolaire, a priori d’une autre temporalité ? Le défi montre combien stimulante s’avère la pédagogie de la fan fiction qui remet en question l’autorité de l’auteur, la clôture de l’œuvre, les frontières entre cultures légitimes et illégitimes. Et le projet invite les élèves à habiter encore plus la littérature et le monde : en l’occurrence à aborder par l’écriture le thème du virus et, pourquoi pas, à donner aussi le virus de l’écriture ?
On connait mieux le genre de la « série télé » que celui de la « série littéraire » : en quoi cela consiste-t-il ?
La série littéraire est un format spécifique de récit écrit qui peut accueillir tous les genres. Certaines maisons d’éditions publient des séries littéraires en version papier, comme Bragelonne avec la série Les Foulards Rouges de Cécile Duquenne : chaque tome correspond à une saison de cette série. J’ai découvert ce format, il y a deux ans, à la naissance de la maison d’édition Rocambole, qui ne publie que des séries littéraires en format numérique.
Tout comme la série télévisée, la série se divise non pas en chapitres mais en épisodes et peut se décliner en plusieurs saisons. Selon la taille des épisodes, qui doivent tous être à peu près de la même longueur, la série peut avoir la longueur d’une nouvelle, d’une novella ou d’un roman.
C’est un format très contraint : chaque épisode doit et posséder un arc narratif propre, un enjeu particulier (au moins) avec un début, un milieu et une fin, et doit donner envie d’aller lire le suivant, et chacun s’inscrit dans un arc narratif plus large : celui de la série.
C’est donc un format addictif par les moyens littéraires employés pour « accrocher » le lecteur et lui donner envie d’aller jusqu’au bout.
Votre projet porte sur Viral de Neil Jomunsi : pouvez-nous présenter cette œuvre ?
Viral est une série littéraire parue en mars 2020 chez Rocambole, écrite par Neil Jomunsi. Pour l’instant seule la saison 1 a été publiée. Elle raconte l’histoire de trois enfants, Lia, Samuel et Anton qui se retrouvent séparés de leurs parents alors qu’un virus meurtrier menace Paris. La ville est placée en quarantaine et les enfants doivent se débrouiller pour retrouver leurs parents. C’est une dystopie écrite avant le confinement – qui s’ancre dans une réalité que nous connaissons bien maintenant puisque le virus en question s’appelle le CoV-41.
Pourquoi avez-vous choisi de l’aborder avec vos 5èmes ?
J’ai choisi de l’aborder avec mes 5èmes, d’abord parce que j’ai adoré lire l’aventure de cette fratrie et que je me suis dit que cette lecture pouvait plaire à mes élèves. Par ailleurs, et cela tombe bien, ce texte s’inscrit parfaitement dans le programme de français sur les thèmes du récit d’aventure et des relations avec autrui, notamment les relations familiales.
Comment avez-vous lancé la lecture ?
Comme je le fais chaque fois que j’aborde une œuvre intégrale, nous avons lu le début ensemble et la fin du premier épisode a très bien fonctionné parce qu’ils avaient tous envie de découvrir la suite, malgré quelques réticences, que les professeurs de français connaissent bien, au début. Pour créer un intérêt supplémentaire, j’ai expliqué aux élèves que l’objectif était d’écrire la saison 2 de Viral. Chacun devait lire la suite pendant les vacances avec pour consigne d’écrire, pour chaque épisode, ce qu’ils avaient retenus et quels sentiments cette lecture avait suscitée en eux. Ils avaient également à remplir des fiches personnage avec les informations contenues dans la série : âge, place dans la famille, caractère, défauts, qualités, objet fétiche, talent…
Comment avez-vous ensuite aidé les élèves à s’approprier la série de Neil Jomunsi et la spécificité du genre ?
Au retour, je leur ai fait lire un thread de Julien Simon, directeur éditorial et co-fondateur de Rocambole, qui expliquait la spécificité de la série littéraire et nous avons vérifié si ses assertions fonctionnaient sur Viral. D’abord nous avons identifié l’objectif principal des personnages afin d’identifier l’arc narratif de la saison, puis, pour chaque épisode, les élèves avaient à identifier l’obstacle (ou problème), l’objectif particulier, les enjeux (en terme de risque et de gain), la résolution de l’épisode et le moyen utilisé pour faire lire la suite. Ainsi, ils ont bien compris ce que Julien Simon explique : « chaque épisode doit être pensé comme une entité indépendante », « puis il faut accrocher, donner envie, et pour cela, rien de mieux qu’une fin ouverte sur l’épisode suivant ».
La mission confiée aux élèves a été d’en écrire la saison 2 : quelles ont été les consignes, étapes et modalités de travail ?
En réalité, la consigne était de construire le synopsis de la saison 2 (avec un synopsis par épisode envisagé) et d’écrire intégralement l’épisode 1 : c’est ce que la maison d’édition Rocambole demande lorsqu’on leur propose une série. J’avais envie de mettre les élèves en position d’aspirants écrivains.
Nous avons fixé ensemble le nouvel objectif pour la saison 2, avec une résolution positive et optimiste. Je leur ai distribué une fiche outil avec les lieux traversés par les personnages lors de la saison 1, les accessoires qu’ils possèdent et une carte de Paris. Par groupes de 3, ils ont réfléchi à leur saison 2, à l’aide d’un tableau à remplir en guise de brouillon, reprenant les entrées étudiées pour la saison 1 : obstacle, objectif de l’épisode, enjeu(x), résolution, ouverture. Puis ils ont rédigé ensemble un synopsis au présent par épisodes envisagés (5 ou 6), avec pour consigne de faire apparaître les sentiments des personnages, l’enjeu et l’ouverture vers le prochain épisode. Chaque synopsis d’épisode devait faire au moins sept lignes. Enfin, la dernière étape, a été la rédaction individuelle de l’épisode 1 devant respecter tous les indices relevés lors de la lecture de la saison 1 : les personnages et leur caractère, le point de vue…
Je voudrais préciser, parce que c’est ce qui peut inquiéter quand on se lance dans un projet qui peut paraître ambitieux, que cette séquence a duré environ cinq semaines (sans compter le temps de lecture à la maison).
Quelles ont été pour les élèves les difficultés, intérêts et plaisirs d’un tel travail collaboratif et créatif ?
D’abord, la majorité des élèves a beaucoup aimé lire ce texte : c’est une première victoire pour moi. Je pense que beaucoup iront lire la saison 2 lorsqu’elle sortira, rien que pour confronter leurs hypothèses avec les choix de l’auteur.
La première difficulté qu’ils ont rencontrée, rapidement dépassée, est le respect du genre du texte : ce texte se situe dans un présent alternatif et, au départ, certains glissaient vers la science-fiction, voulaient ajouter des zombies par exemple. Mais, une fois cela recadré, ils ont eu beaucoup de plaisir à envisager la suite et à rédiger leur synopsis de saison 2. Ils se sont alors posé des questions d’écrivains : qu’est-ce que des militaires ont dans leur sac ? Où se trouvent les catacombes ? Combien de temps faut-il pour aller à pied jusqu’à l’A86 ? Quelle résolution pourrions-nous faire pour que ça donne envie d’aller lire la suite ?
La difficulté majeure rencontrée à ce moment-là a été de créer de véritables enjeux. Comme certains écrivains aspirants, certains groupes contournaient la difficulté évitant ainsi aux personnages d’être confrontés à de gros problèmes, ce qui affadissait l’intérêt de l’épisode. Nous avons dû les pousser pour qu’ils n’hésitent pas à donner des enjeux forts. Le fait de travailler en groupe à cette étape a permis une émulation intéressante, suscitant des débats entre eux sur les choix les plus judicieux.
Lors de la rédaction individuelle de l’épisode, beaucoup d’élèves ont eu du mal à développer pour passer du synopsis au récit. Ils avaient l’impression d’avoir tout raconté et il a été compliqué de leur faire comprendre que, désormais, il fallait tenir le lecteur en haleine : nous avons ainsi abordé les notions de rythme du récit (ce qui est un peu compliqué pour des 5è à mon avis), de point de vue (il devait être interne et ne pas changer). Je leur ai montré qu’on pouvait faire passer des émotions et des sentiments par le biais du dialogue.
Enfin, ce qui a permis de maintenir l’intérêt sur l’ensemble du projet est l’idée d’envoyer le meilleur synopsis et les meilleurs textes à Neil Jomunsi. Les élèves ont eu un retour très positif et valorisant de sa part et nous attendons de pouvoir organiser une visio conférence avec l’auteur pour une discussion qui promet d’être riche.
En quoi consistent votre accompagnement et celui du professeur-documentaliste durant ce travail de conception et d’écriture ?
Avec mon collègue professeur-documentaliste, nous avons été des béquilles aidant çà et là les groupes en fonction de leurs besoins, leur permettant l’accès à des ressources pour qu’ils puissent résoudre leurs problèmes, réorientant parfois leurs idées afin qu’elles respectent le format de la série littéraire. Nous nous sommes souvent sentis inutiles, et c’est très bien !, parce qu’ils travaillaient seuls. Finalement le plus gros du travail a été la préparation du projet et la mise en place pratique.
Quels enseignements tirez-vous d’un tel projet sur les métamorphoses du champ littéraire et les horizons pédagogiques que cela ouvre ?
Il me semble que le format de la série littéraire est « dans l’air du temps » et peut attirer les élèves vers la lecture parce qu’il offre une efficacité et une satisfaction immédiates par les moyens littéraires employés ainsi qu’une impression de rapidité, qui casse l’idée préconçue de nombreux élèves que la lecture prend du temps, est ennuyeuse et demande beaucoup d’efforts.
Par ailleurs, ce format est intéressant pour travailler l’écriture d’invention parce que l’épisode doit respecter un schéma narratif complet et peut être court : l’élève peut avoir la satisfaction d’avoir un texte intégral tout en ayant une perspective de suite. Ainsi ceux qui le souhaiteraient pourraient écrire l’intégralité de leur série. Il me semble que c’est un projet qui nourrit les élèves, des plus fragiles aux plus compétents.
Enfin, la préparation en amont me semble en soit intéressante parce que c’est un véritable travail d’écrivain « architecte » qui permet de donner du sens et de la valeur au brouillon.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Présentation du projet
La spécificité de la série littéraire par Julien Simon
La série de Neil Jomunsi est à retrouver sur la plateforme Rocambole
Autour des fan fictions